Chapitre 12 : Les messagers de Salarin (première partie)

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Un doux automne s'est installé en Rankir lorsque Kaïra regagne sa cité. Son royaume étant situé très au sud des royaumes habités, les saisons y sont moins marquées que vers les Hautes Terres. L'hiver notamment y est plus court et rarement très froid.

La jeune souveraine retrouve avec joie son palais, sa ville, ses proches. Flonara lui a remis les clés du royaume et elle reprend ses prérogatives. Ses journées sont bien remplies, sa charge toujours prenante. Ce qu'elle a vécu à Altassaïr lui est aussi utile. Elle possède désormais une vision plus large de son devoir vis-à-vis de son peuple. Mais elle ressent aussi plus fortement la solitude, surtout depuis que le Grand Maître et Maître Olaf sont repartis, avant que l'hiver ne s'avance trop dans les grandes contrées. Elle est toujours sans nouvelles d'Owen, mais jamais elle ne manque, chaque soir et chaque matin, de penser à lui. Parfois, dans le secret de son lit, il lui arrive de regarder son disque en se demandant ce qu'il devient, s'il est parvenu à remplir sa mission.

Oui, la solitude lui pèse, car hormis Flonara, elle n'a guère de compagnes de son âge avec lesquelles elle pourrait parler, échanger, se confier. Sa charge royale la maintient dans une certaine distance avec tous, y compris ceux qui lui sont les plus proches et les plus fidèles, ses servantes, Dame Hilayna ou même Limur. Dans ces moments-là, il lui arrive de songer au jeune prince Jarbek. Sans vouloir s'immiscer dans les affaires de son puissant voisin et n'ayant aucune envie d'avoir des contacts réguliers avec les autres princes, elle a pourtant fait le choix de mener une correspondance amicale avec lui.

Un soir, alors que ses suivantes l'ont laissée seule, elle se relève, s'approche de la fenêtre de sa chambre et cherche l'étoile d'Owen. Depuis quelques temps, elle lui apparaît moins lumineuse, comme dans une brume. Elle ignore ce que cela signifie, si le ciel en cette période de l'année est moins clair, mais une sourde inquiétude emplit son cœur. Est-ce qu'Owen n'est pas en danger ?

**

L'hiver apporte aussi avec lui la nouvelle de la mort du roi de Salarin. Kaïra fait parvenir ses marques d'amitié à Jarbek, mais des messages plus convenus et polis aux autres membres de la fratrie. Elle imagine que les tensions et les intrigues vont se développer dans le royaume voisin et elle n'est pas étonnée de recevoir, par un matin froid mais ensoleillé, la visite d'envoyés du prince Bramé.

C'est toute une délégation, ayant voyagé avec un certain faste, qui se présente en effet au palais. L'homme qui la mène est un des nobles du royaume, Messiar, parmi les plus influents et les plus fidèles à Bramé. D'emblée, il déplaît à Kaïra, mais aussi à Dame Hilayna. Ni l'une, ni l'autre ne peuvent supporter ses petits yeux vifs, son regard insistant, son air présomptueux et autoritaire. Kaïra se dit qu'il est le digne serviteur du prince…

Il est porteur d'une lettre, une demande en mariage tout ce qu'il y a de plus officielle, qu'il remet non à la reine, mais à Lorrek, toujours Premier Conseiller. Il ne voit Kaïra que lors d'un repas, donné en leur honneur. Ce repas est beaucoup plus simple et convie moins de monde que lors de la venue des Gardiens des Origines. Il se déroule aussi dans une des salles de réception du palais, et non dans les jardins, les conditions hivernales ne s'y prêtant guère. Les trois conseillers sont présents, ainsi que Dame Hilayna. Elle n'avait pas forcément prévu d'y assister, mais apprenant par Lorrek le contenu de la lettre, elle s'y est invitée.

Kaïra parle peu au cours de ce repas, mais écoute beaucoup. Ce sont essentiellement Van'dal et Flonara et, dans une moindre mesure Lorrek car il s’est déjà entretenu avec l'envoyé de Bramé, qui font la conversation, s'inquiétant du deuil qui a touché le royaume voisin. Messiar n'hésite pas à répondre :

- Notre peuple a été très marqué par le décès de notre roi, même si nous nous y attendions, hélas, depuis quelques temps. Nous avons décrété un deuil de deux mois. Les funérailles ont été grandioses, beaucoup de gens y ont assisté. Notre roi était très apprécié.

- C'était un bon souverain, répond Lorrek qui avait eu l'occasion de le rencontrer à maintes reprises avec le père de Kaïra.

- Il faut espérer que votre prochain souverain sera tout autant sage et avisé, renchérit Van'dal.

- Il le sera. Notre prochain roi connaît ses devoirs envers les siens. Il souhaite également la paix avec ses voisins, dont vous faites partie. Il espère même une entente plus étroite entre nos peuples.

L'allusion n'échappe à personne autour de la table. Kaïra garde son visage royal, fermé et n'a guère de difficulté à le faire : Messiar lui est antipathique, autant que Bramé avait pu l'être. Il est évident que pour le chevalier, c'est Bramé le futur roi. C'est Van'dal qui répond :

- Nous avons tous intérêt à une bonne entente entre royaumes voisins. Nous avons toujours privilégié la diplomatie et la paix, en lien avec les préconisations des Gardiens des Origines.

- Les Gardiens ont parfois une vision fermée et passéiste de certaines prérogatives. Il peut être nécessaire d'accepter des évolutions.

Ces mots font frémir Kaïra et laissent sans voix les conseillers. Remettre en cause, à mots à peine voilés, l'Ordre des Gardiens, leur semble très grave. Messiar comprend aisément qu'il est allé trop loin et précise, mais sans convaincre :

- Il n'est bien entendu pas question de s'opposer aux préconisations des Gardiens, et encore moins de douter de la sagesse et des réflexions du Grand Maître, mais il nous semble que, parfois, il serait possible de discuter de certaines choses.

- L'Ordre des Gardiens a contribué depuis des temps anciens à la stabilité de notre monde, dit Kaïra, prenant ainsi la parole avec fermeté. Ils sont au service de tous. Ils connaissent aussi notre monde, alors que nous-mêmes n'en avons bien souvent qu'une vision partielle, car ils voyagent, écoutent les uns et les autres. Leur rôle est essentiel. Sans eux, notre monde serait voué au chaos.

Messiar la fixe d'une manière qui la fait trembler intérieurement. Elle imagine alors que Bramé l'a informé de l'intervention d'Owen, à Ménaru, et sent poindre un nouveau danger, une nouvelle menace.

- Bien entendu, Majesté, répond Messiar d'un ton obséquieux.

- Je pense que ces questions sont trop graves et trop sérieuses pour être débattues ici-même, intervient d'un ton froid et le plus hautain possible Dame Hilayna qui, tout comme Kaïra, s'est pour l'heure retenue de participer activement à la discussion.

Son intervention fait détourner le regard de Messiar qui fixait un peu trop longuement la jeune reine, ce dont Hilayna s'est parfaitement rendu compte.

- Vous avez raison, Dame Hilayna, répond Messiar, je ne voulais pas parler de choses aussi graves, pardonnez-moi. Me permettrez-vous, Majesté, de visiter un peu votre cité ? Je ne suis jamais venu jusqu'ici et je serais curieux de la découvrir.

Cette demande n'enthousiasme guère Kaïra, mais elle répond :

- Je m'entretiendrai demain avec mon Conseil concernant la demande du prince Bramé. Je vous ferai savoir notre réponse rapidement, afin que vous puissiez la faire parvenir au prince dans les plus brefs délais.

Messiar incline simplement la tête. Il a parfaitement compris qu'il n'est pas forcément le bienvenu en Rankir, mais que, pour des raisons de bonne entente entre les deux royaumes, on a accepté sa visite. Bramé lui avait confié d'évaluer le fonctionnement de cette société et plus précisément comment vivaient ensemble les trois peuples, pour exploiter d'éventuelles failles ou, au contraire, utiliser certaines forces. Il n'apportera pas forcément beaucoup de réponses à son suzerain, mais espère cependant le satisfaire.

Il prend congé peu après, laissant la reine et ses conseillers. Van'dal commence à évoquer certaines discussions menées au cours du repas, mais Hilayna lui fait comprendre que la reine est fatiguée et qu'il sera toujours temps, le lendemain, lors d'un Conseil, de les aborder.

Pour la première fois de la soirée, le visage de Kaïra s'éclaire un peu, offrant à sa dame de compagnie un petit sourire de remerciement. Dame Hilayna l'accompagne jusqu'à sa chambre, suivie par ses gardes, puis veille à ce que les préparatifs de la nuit de la reine se déroulent au mieux.

Quand enfin, Kaïra se retrouve seule, elle a bien du mal à retenir l'envie de porter son disque sacré devant l'étoile d'Owen.

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