Chapitre 12 (deuxième partie)
- C'est non.
La voix calme et posée de Kaïra retentit dans le silence du Conseil. Ne sont présents que Lorrek, Van'dal et Flonara. La Delphinienne hoche la tête d'un air entendu. Et si Van'dal veut encore avancer d'autres arguments, elle sait déjà qu'aucun ne pourra convaincre Kaïra.
La reine poursuit :
- Et ce sera sans appel. Je n'épouserai pas le prince Bramé. Ni le prince Galiané, d'ailleurs. Ni l'un, ni l'autre ne m'ont fait bonne impression. Ils sont mus tous les deux par des ambitions personnelles. Et Bramé semble prêt à remettre en cause l'Ordre des Gardiens ! Comment pourrais-je m'unir à un homme tel que lui ! Alors que les Gardiens ont toujours été les bienfaiteurs de notre royaume !
- Majesté, intervient Lorrek avant que Van'dal puisse prononcer le moindre mot, nous prenons acte de votre décision. Néanmoins, il va bien falloir que vous commenciez à songer à prendre époux. Même si ce n'est pas avec un prince de Salarin.
- Ceci est une autre question. Je ne souhaite pas l'aborder maintenant.
- Comme il vous plaira, Majesté. Je vais me charger de rédiger votre réponse.
- Cela pourra-t-il être fait pour la fin de journée ? demande la reine avec plus de douceur.
- Oui, bien entendu. Je vous le ferai savoir.
- Bien, ainsi ce messager pourra repartir rapidement. Je ne l'apprécie pas plus que le prince qu'il sert.
Les trois conseillers ont du mal à réprimer un petit sourire, car tous ont alors à l'esprit la même pensée : "Et Dame Hilayna non plus ne l'apprécie guère..."
Kaïra fait alors lever la séance et regagne la Grande Salle. Elle doit y recevoir plusieurs petites gens, Flonara et Van'dal l'accompagnent. A la fin de ses entretiens, elle voit avec regrets que le jour tombe déjà. Elle aurait aimé se promener un peu dans ses jardins et se dit qu'elle devra remettre cela à demain. Après un repas qu'elle prend seule, Lorrek lui rend visite et lui fait lire le courrier qu'il a préparé pour Bramé.
- Cela est dit en termes fort diplomatiques, Lorrek. Merci. Je vais apposer ma signature et mon sceau.
Elle se lève et s'approche d'un petit secrétaire dont elle ouvre un des tiroirs. Elle en sort son sceau. Puis elle remet la lettre à Lorrek.
- Majesté, dit celui-ci. Je comprends vos raisons et je partage votre avis. Bramé est un homme trop colérique et ambitieux. Mais n'oubliez pas que nous sommes leurs voisins. S'il devient roi, il pourra être une menace.
- Il ne pourra l'être. Le Grand Maître interviendrait.
- Certes...
Le front de l'Aérien est soucieux. Des temps difficiles s'annoncent, il le craint.
**
La nuit est belle et profonde. Le chant de la rivière coule en une douce mélodie. Kaïra marche sous le ciel étoilé. L'air est doux. Elle se sent heureuse. Elle ressent profondément dans sa chair, la vie. Elle est la vie.
Elle lève les yeux vers la voûte étoilée, trouve sans peine l'amas d'étoiles et l'étoile solitaire, en chemin. Il est en chemin. Elle peut déjà entendre sur la terre sèche les sabots d'Ingir qui résonnent dans l'air pur. D'abord très léger, ce bruit devient plus fort jusqu'à emplir tout l'air autour d'elle, comme un chant envoûtant.
Owen... Owen... Owen...
Les sabots résonnent, résonnent, tournent autour d'elle, elle ne sait plus d'où ils proviennent, dans quelle direction il va arriver.
Elle comprend soudain que ce n'est pas un seul cheval, mais plusieurs qui arrivent. Ou alors est-ce l'écho qui lui renvoie ce bruit sans fin ?
N'est-il pas en chemin ? Il vient. Il vient. Elle en est certaine. C'est Ingir qu'elle entend. C'est Owen qui vient. Il ne peut en être autrement.
Owen... Owen... Owen !!!
Elle se redresse d'un bond dans son lit, un filet de sueur coule de son front.
Elle a encore devant les yeux l'image d'Ingir sans cavalier, traversant une plaine infinie.
**
Elle reprend difficilement son souffle, porte la main à sa poitrine. Son cœur battant la chamade, au rythme des sabots d'Ingir. Etait-ce son cœur qu'elle entendait ainsi dans son rêve ?
Elle rejette ses draps et se lève, s'avance vers sa fenêtre. La nuit est belle et profonde, froide comme le sont les longues nuits d'hiver, même en Rankir. Un peu de givre s'est formé dans les branches des arbres et sur les rosiers de Maître Gafori. Demain, oui, demain, elle se le promet, elle ira dans ses jardins. Elle a besoin de marcher au-dehors, elle a besoin de respirer l'air pur. Si elle pouvait… Si elle pouvait, elle monterait Sylmaria et partirait pour une longue promenade dans la plaine.
Elle appuie son front contre la vitre, ferme les yeux. Son cœur n'a pas encore retrouvé son rythme normal. Où est Owen ? Elle lève les yeux vers le ciel, cherche son étoile et frissonne. Une longue traînée lumineuse traverse le ciel entre l'étoile d'Owen et l'amas d'étoiles, comme pour les séparer.
"Owen, mon aimé. Je pense à vous chaque jour. Chaque soir et chaque matin. Vous avez pris mon cœur, j'ai gardé le vôtre. Ne vous éloignez pas trop de nous ! Restez en notre monde !"
Elle demeure ainsi, longtemps, à scruter le ciel, à chercher le repos de ses tourments dans les dessins des jardins. Ce n'est que lorsque pointe l'aube, pâle lueur blanche, qu'elle regagne son lit, froid. Elle s'y couche en refermant ses bras autour de ses jambes, comme pour se recroqueviller, comme pour se blottir et se protéger. Les yeux fermés, le sommeil la reprend.
La douceur des lèvres d'Owen sur les siennes, la force de ses bras, la tendresse de ses mains sur son corps, lui en elle, elle en lui, sa chaleur. Sa chaleur. Qui lui manque terriblement.
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