Chapitre 25 (deuxième partie)
Après les mots d'Alora, il est difficile aux autres Gardiens ou Gardiennes de trouver quelque chose à dire. Ils sont cependant quelques-uns à apporter de menues précisions, notamment sur l'ordre de manifestation des Esprits, ce qui peut avoir son importance, ou sur des signes. Beaucoup ont vu une tête humaine à l'un des longs cous du monstre.
Avec sagesse, le Grand Maître décrète le repos pour tous. Chacun regagne son abri, sa chambre. Owen est un des derniers à quitter les abords du feu qui s'éteint doucement. Il n'a pas sommeil, malgré les heures qui se sont écoulées. Il s'éloigne un peu du campement, marche le long de la rivière. Il siffle doucement, un léger bruit de sabots se fait entendre. Ingir s'avance, le rejoint. Il la flatte tranquillement. Elle vient poser sa tête sur son épaule.
- L'heure est très grave, Ingir. Je ne sais pas ce qui sera décidé. Mais je sais que nous devons retourner en Rankir. La reine et la licorne sont en danger. Je dois être avec elles.
Ingir pousse un très léger hennissement, à peine audible.
- Oui, et tu es inquiète aussi pour Sylmaria, sourit tristement Owen. J'espère que notre décision interviendra rapidement. Chaque jour qui passe et la menace peut grandir.
Il reprend sa marche le long de la rive, la jument le suit. La nuit est claire, les étoiles brillantes. Leur douce clarté se reflète dans la rivière. Il songe à tout ce qui s'est dit, après la visite sur l'Ile. Il a écouté chacun avec beaucoup d'attention, notant bien chaque détail, chaque ressenti : il a le sentiment que toutes ces impressions seront importantes. Mais il a été très marqué par le témoignage de la jeune Alora. Ce qu'elle a vu l'a renvoyé à sa propre expérience. Non lors de cet échange avec les Esprits, mais lors de son parcours dans la grotte sacrée alors qu'il n'était encore qu'un appelé. Cette vision de l'épée de feu, il l'avait eue. Et là... là, Alora l'a vu, lui-même, tenant cette épée. L'Esprit du Feu cherchait-il à faire comprendre qu'il aura lui-même à affronter le Seigneur des Ténèbres ? Il ne doute pas un instant qu'une part du combat se fera contre le sinuire, mais il ne pensait pas que cela prendrait une telle forme. Néanmoins, si cela doit être son destin, il l'assumera.
"Je dois me préparer", songe-t-il. "Et à affronter bien pire que ce que je pensais. Maintenant, l'ennemi prend corps. Il a aussi un visage : Bramé est l'un des serviteurs du Seigneur des Ténèbres. Mais il n'est pas cet Esprit. Simplement son bras. Couper le bras ne serait que renvoyer à plus tard le combat final."
Il s'arrête. Une pâle lumière vers l'est lui fait comprendre que l'aube n'est plus très loin. Il sort son disque sacré. Celui-ci a pris une teinte légèrement rouge. Mais il reste lumineux. Il le contemple un moment, puis le range.
- Allons, dit-il à Ingir, retournons au camp. Il faudrait que je dorme un peu.
**
Depuis le départ des Gardiens, Kaïra a tenu son rôle de reine. Elle a refusé de rencontrer les princes de Salarin, chacun lui ayant demandé une entrevue. Elle a beaucoup à faire et reçoit aussi plusieurs visites de certains délégués de son royaume, Aériens, Humains ou Delphiniens. Elle écoute chacun, rend la justice, prend des décisions. Mais elle s'offre cependant chaque jour une promenade dans ses jardins : en cette saison, les roses embaument et les autres fleurs ne sont pas en reste. Le petit rosier rapporté de Petimont est couvert de boutons et, régulièrement, Maître Gafori lui en fait porter. Elle en a ainsi toujours une, ouverte, dans sa chambre.
C'est par une fin de journée bien occupée, alors qu'elle revient d'une promenade d'après dîner, qu'un nouvel événement se produit.
Nijma et Nuka ont terminé de la préparer pour la nuit. Elle est maintenant seule, mais ne s'est pas encore décidée à se coucher. Comme chaque soir, elle s'approche de sa fenêtre et lève les yeux vers le ciel. L'étoile d'Owen brille doucement, toujours rassurante. Elle la fixe un long moment, ses pensées sont toutes tournées vers le jeune homme. Lorsque, soudain, la voix douce de la licorne se fait entendre. La gracieuse créature est toujours présente à ses côtés, la suivant presque comme un petit chien fidèle. Plus personne ne s'étonne maintenant de sa présence. Chacun s'y est habitué.
Sans l'épée rien ne pourra le chevalier
Le Feu son bras devra porter
Mais à lui seul vous ne devez songer
A l'enfant maintenant vous devez penser.
Ainsi la licorne a parlé.
Dès les premiers mots, Kaïra s'est retournée vers la licorne. Celle-ci s'est redressée et se tient, debout, au milieu du tapis.
Kaïra la fixe un long moment, ne bouge pas. La licorne soutient son regard. Il émane d'elle tant de douceur et de beauté, qu'une fois de plus, Kaïra se sent très émue. Elle finit par porter sa main tremblante vers son ventre. Alors, la licorne incline légèrement la tête et se couche à nouveau sur le tapis. Elle ne dira rien de plus et ne bougera pas de la nuit.
Kaïra tourne à nouveau la tête vers le ciel. L'étoile d'Owen est toujours là, mais, déjà, Kaïra sait qu'une nouvelle étoile s'allume dans l'univers.
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