Chapitre 30 : Le petit peuple dessous la terre (première partie)
Owen et ses compagnons ont quitté le village en milieu de journée, après avoir apporté leur concours pour parfaire les soins des blessés. Olek n'est pas en mesure de les accompagner, mais ils conviennent de repasser par ici sur le chemin du retour, ou de lui faire savoir, par la magie des disques, à quel endroit ils se rendront.
A nouveau, le jeune Gardien mène le trio, toujours plus loin vers l'ouest. Lorsque la nuit tombe, ils poursuivent encore leur chemin jusqu'aux dernières lueurs du couchant, avant de faire une étape. Autour d'un petit feu, ils prennent un bon repas avec les provisions données par les villageois. Puis Olaf et Owen se partagent la veille. Le jeune homme se relève en pleine nuit, laissant alors son ami prendre quelques heures de repos bien méritées.
Ils se sont arrêtés non loin du rivage et il peut entendre le ressac contre la falaise. Alors qu'un fin croissant de lune se lève, il sort son disque sacré et l'observe longuement avant de le porter vers l'astre de la nuit. La lumière éclaire le disque et Owen y recueille les derniers signes des Esprits. Il sait qu'ils ne sont plus très loin d'un des accès au monde des profondeurs, le domaine des Gronfalls. Siwu est-il passé par ici ? C'était en tous les cas l'accès le plus proche et le plus sûr depuis Rankir. Après… Il leur faudra peut-être cheminer longuement dans les cavernes avant de les trouver. Il espère cependant que cela ne leur prendra pas trop de temps : les jours sont comptés pour se mettre sur la trace du Seigneur des Ténèbres.
Il réveille Olaf et Alora avant l'aube et le soleil levant les voit déjà galoper en longeant les falaises. Deux heures après son lever, ils parviennent à un endroit où le paysage s'adoucit quelques peu. Les falaises commencent à laisser place à de petites criques, puis à une grande plage. Au bout de celle-ci se devine une caverne. Quelqu'un les y attend et sa vue réjouit le cœur d'Owen : c'est Limur.
Accompagné de la petite escorte d'archers Aériens, Limur veille sur l'entrée de la grotte. Il leur est impossible d'entrer dans le monde des profondeurs, au risque d'y mourir en touchant le sol. De même, les chevaux de la reine et de ses suivantes sont restés cachés dans l'entrée de la grotte. Les yeux perçants de Limur ont su distinguer les trois cavaliers bien avant qu'ils ne s'engagent sur la grève et il a reconnu aisément Owen et Olaf. Son cœur s'en est réjoui. Il n'oublie pas l'inquiétude de sa reine quand ils sont arrivés jusqu'ici, sa crainte qu'Owen ne les retrouve pas malgré les propos réconfortants de Siwu. "Nous ne les aurons pas attendus trop longtemps", songe-t-il en s'élevant un peu au-dessus du sol et en volant à leur rencontre.
- Limur ! s'exclame Owen. Heureux de vous trouver si vite, ami !
- Et moi, heureux de vous voir arriver si vite... Je vous guettais. La reine est en sécurité. Messire Siwu l'a conduite dans les cavernes, mais mes hommes et moi ne pouvions malheureusement pas les suivre… Nous sommes restés à l'extérieur pour veiller.
- Et surveiller.
- Aussi.
Puis l'archer se tourne vers Olaf et dit :
- Maître Olaf, je suis heureux de vous voir également. Vous n'êtes que trois ? demande-t-il en regardant vers Alora.
- Oui. Alora est une appelée. Elle possède déjà un savoir important. Nous sommes venus aussi vite que possible, mais trop tard pour votre ville, hélas.
- Je m'en doutais. Le combat était terrible…
- Nous avons traversé un village qui avait recueilli des blessés et, parmi eux, notre compagnon, Maître Olek. Il nous a raconté ce qui s'était produit.
- Je suis heureux de savoir qu'il a survécu… J'espère que les familles auront pu se mettre à l'abri, également.
- Dame Flonara nous a rassurés à ce sujet. Plusieurs ont trouvé refuge dans les grottes. Maintenant que l'armée s'est éloignée, ceux qui restent vont aider les réfugiés et soigner les blessés. Nous avons promis de revenir.
- Merci à vous. Mais ne tardez pas, je vais surveiller vos chevaux. La reine sera heureuse de vous revoir.
- Je n'en doute pas, répond Olaf avec un mince sourire.
Owen est déjà descendu de cheval et fait rentrer Ingir dans la caverne. Alora le suit avec sa propre monture, puis Olaf. Ils sont à peine entrés qu'ils entendent un hennissement heureux. Owen sourit, alors qu'Ingir renâcle. Elle a reconnu Sylmaria et les deux juments se saluent avant même d'être en présence. Owen laisse Ingir le guider jusqu'à l'endroit où les chevaux ont été rassemblés. Là, ils sont accueillis par deux Gronfalls.
- Oh, Messires les Gardiens ! Bienvenue !
- Merci de votre accueil, je vous salue, amis.
- Siwu est passé par ici… Il nous a confiés les chevaux. Il est impossible qu'ils aillent plus en avant. Laissez-nous les vôtres, nous saurons nous en occuper.
- Je vous remercie, dit Owen en dégageant déjà les rênes d'Ingir. Je vous présente Maître Olaf et Alora qui m'accompagnent.
- Bienvenue à vous, saluent-ils en chœur en se penchant légèrement vers l'avant.
- Merci à vous, répond Olaf en souriant.
Les mimiques des petites personnes sont toujours drôles à voir. Mais bien vite, la gravité de la situation refait surface. Le premier à avoir parlé reprend :
- Siwu a conduit la reine et ses dames en sécurité. C'est par là, Maître Owen. Remontez en laissant toujours le petit ruisseau sur votre droite. Vous arriverez dans une poignée d'heures dans une grande salle. Le chemin est aisé.
- Merci, mes amis. Nous vous confions nos montures.
- Nous en prendrons soin, dit-il alors que lui-même et son compagnon saluent à nouveau bien bas.
**
Le chemin est aisé en effet, et les deux Gardiens et Alora avancent facilement dans les profondeurs de la grotte. En chemin, Owen explique à Alora comment les Gronfalls se sont installés, au fil des âges, sous la terre. Certaines parois portent d'étranges signes et dessins, d'autres sont gravées, preuves de l'art typique de ce peuple. Mais ces dessins sont aussi, pour ceux qui en connaissent la signification, des guides pour parcourir les grandes étendues creusées dans la terre. Owen a appris à en déchiffrer une partie, lorsqu'il a séjourné parmi les Gronfalls quelques années auparavant.
Il s'était retrouvé seul, au retour d'une mission confiée par le Grand Maître. Pris sous un violent orage, il s'était perdu. Se fiant à Ingir, il s'était enfoncé dans une forêt ancienne et s'était retrouvé à l'entrée d'une grotte, à demi-cachée par des fougères et du lierre. Il s'y était abrité, puis reposé. A son réveil, l'entrée de la grotte n'était plus accessible : l'orage avait déversé des torrents de boue, la condamnant totalement. Pris au piège, il s'était alors enfoncé un peu plus dans la grotte, avait erré dans les dédales plusieurs jours, avant de rencontrer Siwu. Celui-ci l'avait guidé, parfois non sans mal pour Ingir, à travers les méandres des profondeurs. Il avait ainsi fait connaissance avec plusieurs habitants de ce peuple si particulier. Il avait pu quitter leur monde par un autre chemin, bien loin de là où il était entré. Cette expérience avait été importante pour lui, le mettant à l'épreuve pour survivre, consolidant ses capacités physiques, mais aussi mentales, pour garder espoir et volonté.
Très vite, Alora perd la notion du temps qui passe et devient incapable de dire depuis combien de temps ils cheminent alors qu'autour d'elle, tout ou presque se ressemble. Le chemin qu'ils empruntent est cependant toujours faiblement éclairé par d'étranges lueurs semblant sortir de la pierre. Enfin, ils débouchent sur une grande cavité où l'éclairage est un peu plus important. Le ruisseau qu'ils suivaient s'est élargi en une large vasque d'où émerge une lumière douce, plus importante que celle qui éclairait le chemin. Ce sont les pierres, aussi, qui apportent la lumière, mais elle est décuplée par l'eau. La hauteur de la cavité se perd dans les ombres et Alora serait bien incapable d'en donner une mesure. Elle n'a pas encore été formée à définir les lieux d'après les sensations qu'elle y éprouve et les impressions qui s'en dégagent, même si elle possède des aptitudes pour cela. Olaf le comprend et se dit que s'ils restent quelques heures ici, il pourra l'y initier.
Plusieurs silhouettes se détachent, grandes et petites. L'une déjà s'est relevée du siège où elle était assise. Mais sa voix n'a pas le temps de se faire entendre, car celle fluette et enjouée de Siwu la prend de court :
- Ah ben, c'est pas trop tôt ! Nous commencions à nous demander où vous étiez passés… C'est bien la peine d'avoir des pouvoirs de Gardiens pour traîner autant en route…
Owen va pour répondre, mais déjà une ombre s'avance, pleine d'espérance.
- Owen ?
Il se tourne vers la silhouette dont le visage s'éclaire doucement en passant plus près de l'eau. Son propre visage s'illumine d'un sourire et après avoir vu tant de morts et ressenti le désespoir, son cœur retrouve foi et courage en voyant Kaïra s'approcher. En quelques pas, il est près d'elle, lui ouvre les bras et elle vient s'y jeter avec soulagement. Sans se soucier de la présence des autres, Olaf, Alora, les suivantes, les Gronfalls, il l'enlace étroitement puisant autant de force en elle qu'il lui en donne.
- Vous avez fait diligence..., soupire la reine.
- Nous sommes venus aussi vite que possible, mais trop tard cependant, hélas.
- Que reste-t-il des miens ?
- Beaucoup de morts, ma mie, mais beaucoup de vivants encore. Les Delphiniens ont survécu, et des villages ont été épargnés. Les blessés sont secourus. Nous avons apporté notre aide là où il était possible tout en faisant route pour vous retrouver. Comment allez-vous ?
- Bien. Bien, maintenant, soupire Kaïra en laissant reposer son visage contre le cœur d'Owen. J'ai eu si peur pour vous… au point de regretter de vous avoir appelé, de vous avoir mené vers un combat sans issue.
- Il n'est pas sans issue. Mais nous aurons le temps d'en reparler. Il y a beaucoup à faire. Beaucoup qui peut encore être fait. Ne baissons pas les bras, même si l'ennemi gagne en puissance.
A cet instant, et alors qu'Olaf salue Dame Hilayna, deux Gronfalls se rapprochent. Siwu annonce :
- Vous avez fait une longue route, vous apprécierez sûrement de boire et manger un peu. Au cas où tu en douterais, cher ami, dit-il en s'adressant plus précisément à Owen, la reine a apprécié notre nourriture et nos boissons.
- Comment aurais-je pu me plaindre, Messire Siwu ! Vous et les vôtres avez tant fait pour nous ! Nous avons trouvé ici un refuge et un asile, sans vous, j'aurais été emportée par l'ennemi, répond Kaïra avec sincérité.
Owen salue à son tour Dame Hilayna et se dit heureux de revoir également les quatre suivantes de la reine. Il voit ensuite s'approcher plusieurs Gronfalls, dont un ne lui est pas inconnu : il se trouvait parmi la délégation présente à Petimont, lors de la réunion des Régnants. Il s'avance vers Owen et ce dernier s'incline devant lui :
- Messire Awenar, je suis heureux de vous revoir et d'autant plus que nous allons avoir besoin de vous.
- Nous parlerons sérieusement de tout cela, Maître Owen. Mais prenez place et restaurez-vous. J'espère que cette collation ne vous rappellera pas de mauvais souvenirs…
Owen sourit de l'allusion, mais Kaïra s'en étonne. Owen explique :
- J'ai survécu à de longues journées et nuits d'errance dans ce monde en me nourrissant de racines et d'eau, mon aimée. Mais la nourriture des Gronfalls est tout à fait mangeable pour nous, humains. Vous avez pu le constater vous-même. Néanmoins, Siwu et les siens se moquent toujours de moi à ce sujet.
- Je comprends, sourit Kaïra en posant sa main sur son bras.
Ce moment de détente est apprécié par tous et il n'est pas encore fait allusion au combat qui s'annonce, ni à la bataille de Rankir. Owen sait qu'il faut prendre le temps d'aborder les choses avec les petites personnes et qu'aller trop vite serait leur manquer de respect. Néanmoins, il ne veut pas non plus perdre de temps. Il sait que, sans les Gronfalls, il ne pourra pas trouver l'épée de feu qui, seule, leur permettra de combattre le Seigneur des Ténèbres.
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