Chapitre 32 : La mort d'Onev (première partie)

6 minutes de lecture

Petit retour en arrière encore et changement de lieu...

****

Le jeune prince Jarbek a toujours trouvé fort ennuyeuse la vie au palais. Sa mère est morte en le mettant au jour, près de quatorze étés plus tôt. Son père était toujours très occupé par les affaires du royaume et il arrivait parfois qu'il ne le voie pas pendant plusieurs journées d'affilée. Ses frères et sa sœur ne se sont jamais particulièrement occupés de lui, aussi passe-t-il beaucoup de son temps à diverses activités, tant intellectuelles que physiques. D'assez frêle constitution, il n'aime pas particulièrement manier les armes lourdes, mais devient, au fil du temps, assez habile au poignard. Il est entraîné par un des meilleurs maîtres d'armes du royaume, un fidèle de son père et un des rares hommes à ne pas avoir succombé aux promesses des princes ou de la princesse.

Mohéric aime son métier et il a bien vite compris que le jeune prince ne pourrait tenir une épée, aussi a-t-il privilégié pour lui la maîtrise d'armes plus petites et moins lourdes, comme le poignard.

Ce matin-là, il se trouve en plein entraînement quand le Gardien Onev s'approche et l'observe.

- Bonjour, Maître Onev.

- Bonjour, Altesse. Bonjour, Messire Mohéric. Puis-je rester un moment avec vous ?

- Oui, bien sûr, répond le jeune prince, heureux d'avoir un peu de compagnie.

Il n'a guère pu profiter des Gardiens lors du récent passage du Grand Maître, même si celui-ci s'est entretenu plusieurs fois avec lui, mais il se souvient que Kaïra lui avait parlé un peu de leur savoir et de leur rôle. Il avait apprécié, d'ailleurs, d'avoir passé quelques moments en compagnie de la reine et de Maître Olaf, lorsqu'ils étaient revenus de la réunion des Régnants.

Onev observe un moment le jeune homme. Depuis que ses compagnons sont partis pour Rankir, il a cherché à passer le plus de temps avec les uns et les autres, à observer ce qui se trame dans la capitale du grand royaume de Salarin. Il a bien perçu des signes de complots, de trahison, la peur chez certains, l'outrecuidance chez d'autres. Il prend bien soin de noter toutes ces impressions, mais il perçoit aussi d'autres signes, plus souterrains, plus sombres, plus inquiétants.

En ce matin-là, il prend vraiment plaisir à rester avec le jeune prince et son professeur. A la fin de la leçon, Jarbek s'approche de lui en épongeant son front.

- Votre Altesse, vous êtes encore jeune, mais déjà bien habile, dit le Gardien.

- Vous trouvez ? J'ai encore bien des progrès à faire... Mohéric n'est pas facile à toucher.

- Il est beaucoup plus grand et fort que vous, mais vous avez la souplesse et la rapidité pour vous.

Le prince sourit doucement. Il perçoit, au ton du Gardien, que ce dernier ne lui fait pas là de compliment gratuit, pour s'attirer on ne sait quelle faveur. Il demande :

- Maître Onev, il fait bon en ce midi. Accepteriez-vous de partager mon repas au-dehors ? J'aime en cette saison profiter de ce que mes appartements donnent sur les jardins.

- Volontiers, Altesse, je vous remercie. Je vous rejoins tout à l'heure, dit le Gardien en saluant le tout jeune homme.

**

Peu après, il le retrouve en effet installé à une table richement garnie. Le jeune prince l'invite à prendre place à table, ce que le Gardien fait avec plaisir. Jarbek s'enquiert d'abord auprès d'Onev si son séjour lui est agréable et s'il apprécie la ville de Sala.

- Votre capitale est belle, Altesse. J'ai beaucoup voyagé au cours de ma vie, et je pense que c'est une des plus belles villes que j'ai pu voir. J'ai beaucoup aimé aussi la capitale du royaume de Lessar, fort différente, mais à l'architecture complexe et très ouvragée.

- Vous avez dû voir beaucoup de pays, de peuples, au cours de vos voyages.

- C'est le rôle aussi des Gardiens de se rendre là où leur aide peut s'avérer nécessaire. Mais nous ne nous rendons pas qu'auprès des nobles ou des Régnants. Nous allons aussi voir des villageois, des pêcheurs, des paysans.

- C'est un beau rôle que vous avez là. Vous êtes-vous déjà rendus en Rankir ?

- Oui, du temps du roi Gondir, le père de l'actuelle reine. Je n'y suis pas retourné depuis.

- Vous ne connaissez pas la reine Kaïra ?

- Je l'ai vue quand elle était toute jeune enfant, elle avait environ 6 ans. Je ne l'ai pas revue récemment. Mais elle a eu l'occasion de séjourner chez vous, je crois, au retour de la réunion des Régnants.

- Oui, l'été dernier. Pensez-vous que l'un de mes frères pourra obtenir sa main ?

Onev garde un moment le silence. Même si Jarbek est encore bien jeune, il lui semble déjà avisé et intelligent.

- Connaissez-vous le principe de l'épreuve du Blanc Cerf ? lui demande-t-il sans répondre à sa question.

- J'ai lu ce qu'il en était dans notre Grimoire des Traditions, répond Jarbek. Je passe beaucoup de temps dans la bibliothèque, j'aime étudier les traditions anciennes, mais aussi lire les récits des voyages que nous possédons. J'apprends ainsi à connaître des peuples que je n'aurai peut-être jamais l'occasion de rencontrer, des pays où je ne pourrai jamais aller.

Onev hoche lentement la tête et dit alors :

- L'épreuve du Blanc Cerf est une très ancienne pratique. Elle est tombée en désuétude et nous avons été assez étonnés, je vous l'avoue, que la reine de Rankir la demande. Mais rien ne pouvait s'y opposer. Chacun des prétendants doit lui apporter le cadeau ayant, pour lui, le plus de prix. Je pense que vos frères ont, chacun, apporté un présent de grande valeur. Maintenant, les prétendants sont nombreux, car tous, quelle que soit leur origine, peuvent prétendre à la main de la reine. Il ne sera pas simple de les départager.

- J'ai entendu dire que mes frères avaient fait préparer de fort beaux bijoux. Mais je ne pense pas que la reine Kaïra soit touchée par un tel présent. Je pense qu'elle accorde plus de prix à la noblesse des sentiments, à la grandeur d'un cœur généreux, qu'à celle de pierres, même parmi les plus précieuses.

- Vous connaissez mieux la reine que moi, Prince Jarbek, je ne saurais le dire. Mais je sais simplement qu'elle est fort appréciée de son peuple et que, malgré sa jeunesse, elle sait déjà prendre des décisions, même difficiles. De ce que j'ai entendu dire, son règne s'annonce comme un grand règne.

- Si elle épouse l'un de mes frères, elle viendra sans doute vivre ici.

- Seriez-vous content de sa présence ?

Jarbek réfléchit à son tour.

- J'en serais heureux, car j'ai apprécié sa visite l'an passé. Nous avons beaucoup parlé tous les deux et nous entretenons une correspondance régulière. Mais je ne suis pas certain qu'elle serait heureuse, parmi nous. Elle m'est apparue assez préoccupée. Elle souhaitait aussi regagner sa cité, car cela faisait un moment qu'elle en était absente, même si elle était confiante en sa conseillère à qui elle avait laissé le soin d'administrer son royaume.

- C'était compréhensible : tout Régnant aime rester en ses terres, son rôle est d'y exercer son autorité. Si jamais l'un de vos frères emporte sa main, l'union de vos deux royaumes formerait une entité comme il n'y en a encore jamais eu en notre monde, fait remarquer Onev.

- Certes, mais cela rendrait ce royaume difficile à gouverner : il serait si étendu qu'il faudrait plus de deux semaines pour aller de l'est à l'ouest et du nord au sud. Je me souviens que mon père rencontrait déjà des difficultés dans nos terres, car les gens de l'est sont bien différents de ceux qui vivent plus au sud, et qui sont proches des gens de Rankir. Il n'était pas toujours aisé de concilier les intérêts des uns et des autres ! Aujourd'hui, mon frère Bramé a pris possession de la ville de Ménaru et de toutes les terres allant jusqu'à Petimont et jusqu'à la grande forêt de Lanomeur.

- Diriger un royaume est difficile, vos frères ont chacun des qualités.

- Mais aussi des défauts..., soupire Jarbek. Ils sont très ambitieux, l'un comme l'autre. Je crains qu'il ne sorte rien de bon de ce qui les oppose, alors qu'ils pourraient, en œuvrant ensemble, assurer la prospérité de notre peuple et maintenir la paix que notre père avait su asseoir.

Onev ne dit rien, mais il est assez d'accord avec le jeune homme. A le côtoyer ainsi, il se fait l'idée lui aussi que le meilleur souverain pour Salarin serait certainement le dernier enfant du précédent roi.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0