Chapitre 1.11

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Je bouquine penaude, étalée sur mon lit, en mangeant une banane. De l’autre main, mes doigts jouent avec une aiguille à couture. Réflexe que j’adopte de plus en plus pour abandonner celui d’annoter chaque livre qui me tombe sous le bras.

Maudit réflexe d’ex-étudiante en lettres. Encore maintenant, réaliser que les études sont finies pour moi est une entreprise alambiquée. On dirait même que ça me manque. Peut-être aurais-je dû écouter maman et mes enseignants et poursuivre avec un doctorat…

Je secoue la tête pour me concentrer sur ma lecture. Encore me fallait-il un sujet sur lequel soutenir une thèse. Finalement, terminer l’université et la quitter est une très bonne chose. Enfin libre, sans responsabilité, aucune. Les quelques souvenirs de certains chargés de TD qui me reviennent suffisent à me provoquer des sueurs froides, de toute façon.

Je pense à mes anciens camarades de promo. Plus particulièrement à Anaïs et Valérian. Bien que je sois plus proche de ce dernier, mes deux amis me manquent autant. Je suis partie sans leur adresser des adieux plus formels et les regrets ne tardent pas à me dévorer. Surtout lorsque vibre mon portable sur une notification d’un message de Valérian.

Je reporte la lecture du message pour me remettre à lire. Nerveusement, au fur et à mesure que s’écoulent les mots et les phrases, puis les paragraphes fluidement sous mes yeux, je frotte l’aiguille entre mes doigts avant d’y reporter mon regard. Elle est fine, d’un gris métal profond et très pointue. Plus je la regarde, et plus je songe à combien il serait simple de l’avaler.

Je ne sentirai rien, mais peut-être qu’à l’intérieur, elle déchirerait quelque chose jusqu’à me tuer ?

Avec une rapidité et une facilité déconcertante, je la glisse à l’intérieur de la banane. Une bouchée et tout serait fini.

Adieu, Joseph. Adieu maman. Votre œuvre s’achèvera ici, avec mon témoignage dans la chambre que m’ont gentiment aménagée Rei et Fuyu.

Personne ne me regrettera. Après avoir passé leur existence à massacrer tout ce qui bouge, je me demande sérieusement lequel des deux m’a le plus bousillée.

La porte s’ouvre brutalement sur Fuyu, qui vient de rentrer du travail, vu l’heure. Elle porte d’ailleurs son uniforme d’enseignante et est toujours couverte de son manteau et son sac pendouille à son épaule. Un gigantesque sourire diabolique aux lèvres orne son visage joyeux.

— Yuna ! Elle crie. J’ai besoin de toute ton attention !

Mon portable vibre et sonne bruyamment, lorsqu’elle termine sa phrase, ce qui attire son radar à chochotte, évidemment… Ma soeur me le pique sans retenue sous mes indignement quand elle beugle :

— Nom d’un garçon au chignon. On dirait qu’on tient notre homme !

— Arrête ça, bordel !

— C’est bien LE Valérian, celui que j’ai vu en te rendant visite ??

Elle semble dérouler le message d’un coup de pouce et elle ouvre la bouche pour le lire mais je lui subtilise mon téléphone des mains d’un mouvement furtif de main

— T’es chiante !

— C’est toi, qu’es chiante ! râle-t-elle. Mais je me souviens bien de lui ! Il te souriait un peu trop à mon goût

Je planque mon portable sous mon matelas, en même temps que la banane, sans me faire voir par ma frangine.

— C’est parce qu’il est gentil et bien éduqué, contrairement à toi.

— Non mais, l’autre ! T’es de mauvais poil, aujourd’hui.

— Je t’emmerde. Bon, tu me voulais quoi ?

— Bah rien.

— T’es sérieuse ? Tu viens m’emmerder et tu me dis qu’il n’y a rien ?

— Mais Yuna, pète un coup ! Je rigole… enfin, non. Je venais juste t’annoncer qu’on est mardi aujourd’hui…

Lorsqu’elle est partie ce matin, je me prélassais au lit, profitant de la quiétude matinale, du silence et du frais sortant de la fenêtre. Cet instant où le seul bruit qui stimule l’espace est celui du silence le plus total et la tranquillité me manquait. A Paris, impossible d’en bénéficier. Je croyais qu’elle avait oublié cette stupide blague.

Mais non. On parle de Shim Fuyumi.

— T’es sérieuse ? C’était censé être la blague du retour…

— Eh ! Mais que vois-je ? Tu te défiles ?

— Non…

— Alors embrouille-moi ! T‘étais à deux doigts de me bouffer le bras, à l’instant.

— Putain Fuyu, si tu veux t’embrouiller, vas emmerder Rei. C’est ton mec, il sert à ça.

— Alleeeeez ! Stépléééé ! J’ai passé une journée de merde. J’ai besoin d’engueuler quelqu’un.

— Il s’est passé quoi ?

— Bah dispute-moi et je te dirai.

— Vas mourir.

Rei débarque à son tour et Pochi suit. C’est un squat ici ?

— Il va falloir que je m’habitue à vos cris… depuis que tu es là, Yuna, chaque jours on n’entend que vous, rit-il.

— Rei ! Mon sauveur ! Dis-moi comment tu la supportes, je t’en supplie !

Pochi se poste entre nous, apparemment passionné par ce qu’il se passe. C’est suspect, il est presque dix-sept heures et il ne dort pas, il y a anguille sous roche. Rei ne comprend pas spécialement l’ironie de ma phrase puisqu’il fronce les sourcils et rétorque :

— Pourquoi je ne supporterais pas Fuyumi ? C’est ma femme. C’est normal.

Oh misère… je retrouve le Rei que j’ai connu : chiant à en mourir. Plusieurs fois, avant d’apprendre à le connaître, je l’ai élu dans ma tête le type le plus ennuyeux que la terre ait porté. Sans exagération : il n’avait aucun sens de l’humour, zéro second degré et par-dessus tout : il bosse dans la compta. Il commençait à faire des progrès ces dernières années, alors pourquoi ce revirement ?

— Rien, laisse tomber…

— J’vous dérange ? Intervient Fuyu.

— Franchement. Heureusement qu’il n’y a pas de gamins à la maison, j’imagine pas le carnage…

Silence de mort. Fuyu ne dit plus rien, Rei baisse la tête et même Pochi me juge. Tout allait si bien, pourquoi a-t-il fallu que j’ouvre ma bouche ? Qu’est-ce que j’ai dit, en fait ?

Reijiro et Fuyumi ne veulent pas d’enfants, si j’en crois les dires de ma sœur. Au début, lorsqu’elle m’a annoncé ce choix, j’ai été déconcertée : Fuyu rêvait d’être mère, quand on était petite. Même devenue une adolescente florissante, elle est restée accrochée à ce but. Puis subitement, elle a changé d’avis. Je n’ai jamais remis en question cela : c’est elle qui décide. Mais au fond de moi, je sais ce qui motive ce retournement. Je l’ai compris à l’instant où Fuyu me l’a dit. C’est Rei qui ne veut pas d’enfant et Fuyu, parce qu’elle l’aime et craint de le perdre, n’a pas discuté et s’est soumise à cette décision. Et peut-être que le souci est bien plus profond mais Fuyu ne parle pas énormément de ses problèmes de couple, si ce n’est l’angoisse et tous les problèmes liés à son cancer. Cette maladie s’est imposée et a marqué une interminable parenthèse dans leur vie, leur empêchant même d’avoir des prises de tête conventionnelles ni de profiter de leur amour et des joies de la vie commune. Et ils peinent à sortir de ce cercle. De toute façon, ce ne sont pas mes oignons, mais les leurs. Puis avoir une Fuyu dans sa vie est un phénomène en soi, donc une deuxième, version mini…

Consciente du froid que je viens de jeter involontairement, il ne me reste que deux solutions : me taire à jamais et quitter la pièce, ou alors moins extrême : faire une blague.

La première solution étant la plus sage, je prétexte aller préparer un thé. Pochi me suit, mais je suis certaine qu’il a un service à me demander, ce filou !

En rejoignant la cuisine, un long soupir de soulagement me traverse et je m’y enferme. Rapidement, je me passe quelques poignées généreuses d’eau glacée au visage.

Mais cela ne calme pas la boule au ventre qui me torture. Pourtant, je devrais être soulagée : Fuyu ne semble pas m’avoir aperçu glisser une aiguille dans mon fruit. Et puis, autre chose : elle n’est pas au courant encore pour les lettres de motivation que j’ai envoyées à quelques universités tokyoïtes pour un poste d’enseignante, avant de décider de rester à Hiroshima. Elle ne peut pas savoir de toute façon.

Détends-toi Yuna. Tu es diplômée, tu vas vite trouver un travail et Rei va remonter la pente. Quelques fois, maman viendra mais cela ne signifie pas qu’une catastrophe va arriver.

Bonjour :)
Ceci est le dernier chapitre de la première partie ^^ merci d’être arrivé jusque là, pour vos lectures et retours encourageants. J’aurai jamais pensé que mes écrits vaudraient le retour.
J’ai bien entamé la seconde partie qui s'intitule Les vacances de Sara et Sonoka mais pour l’instant, une mini-pause s’impose pour trouver mieux trouver mes mots et me repose surtout de tout ce petit monde.
Merci encore et belle journée / soirée à vous <3

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