Chapitre 2.3
Ce n’est pas l’envie de rembarrer Fuyu et lui demander d’arrêter de délirer qui manque. Mais ce serait incroyablement égoïste de ma part. Souvent, j’ai essayé de ne pas prendre en compte les émotions des autres. Parce que accouplées aux miennes, elles explosent, moi avec, très souvent. Dans le malheur d’autrui, j’ai essayé d’échapper au mien et ça a été un échec lamentable. Alors j’ai décidé de devenir une machine et me couper des autres, de moi-même. Quitte à blesser. Quitte à passer pour la cinglée de service.
— Pourquoi tu dis ça ?
Ma main effleure la poignée. Qu’est-ce que je suis censée faire ?
— Parce que c’est ce que je ressens.
Lentement, je me retourne vers ma sœur. Elle rampe jusqu’au rebord du lit et s’y assoit. Son regard me supplie de rester avec elle. De l’écouter.
Ce ne sont pas mes affaires mais voir ma soeur penser à se séparer de mon beau-frère, c’est comme détruire un de mes piliers. Le bonheur de Fuyu est ce qui compte le plus pour moi. Mais ce qu’elle a construit avec Rei m’a redonné tant de foi et d’espoir. Même s'il est maladroit et parfois complétement con, qu’il lui a menti, presque trahie, je ne pouvais pas imaginer quelqu’un d’autre autant aimer Fuyu que lui. J’espérais qu’une simple conversation réglerait tout ça.
Le bonheur et l’amour, ça n’existe pas ? Fuyu et moi n’y avons pas droit ?
Fuyu est chagrinée à l’idée d’avorter, parce qu’au fond, elle aurait préféré que tout soit différent et qu’elle puisse garder et élever l’enfant à naître, je le sais.
Je souffle et prends place au bord du lit, aux côtés de Fuyu. En me souriant, elle fond contre mes bras. N’ayant d’autre choix que d’accepter sa chaude étreinte, je passe délicatement les mains sur ses cheveux. Il y a quelques nœuds qui s’y sont glissés. Je les regarde. C’est la pire situation pour m’en rappeler mais autrefois, j’étais si jalouse de ses beaux cheveux noirs et longs, soyeux et fins. Elle veille toujours à en prendre soin, comme de la prunelle de ses yeux, à côté des miens, toujours en bataille, parce que bousillés à cause des multiples coloration, et si courts qu'ils encadrent parfaitement mon visage. Alors y voir des nœuds me bouleverse presque. Je ne veux pas, je ne peux pas voir ma sœur noyée dans autant de tristesse.
— S’il te plait, explique-moi.
Fuyu ne dit rien, alors je présume qu’elle s’est brièvement assoupie. Mais après vérification, ses yeux sont grands ouverts et ses doigts se resserrent autour des miens.
— Ça fait deux mois, chuchote-t-elle.
Je déglutis de soulagement. Pas trop avancé.
— Je l’ai appris la semaine dernière, quand je me suis rendue compte que j’avais un grand retard. Tu sais, avant, je n’y prêtais pas trop d’attention et sincèrement, je ne m’en inquiétais pas. Je t’avais dit que ce n’est pas totalement au point à ce niveau-là.
J’en connais bien la raison, malgré ses trente printemps. Comme je suis à court de mots, je caresse l’épaule de ma sœur, comme pour lui signaler que je suis encore là, que j’écoute.
— C’est uniquement quand je m’en suis rendue compte que j’ai tiqué. Sauf que… je n’avais que des nausées. Et encore, pas toujours. Comme si il n’y avait rien. Donc j’étais loin de m’imaginer que ça pouvait être ça. Alors au doute, j’ai fait un test, juste pour en être sûre. Vraiment, si je te dis que j’ai failli tomber dans les pommes, je ne plaisante pas.
J'acquiesce d’un hochement de tête compatissant.
— Et alors… dans la panique, j’ai appelé maman. Tout de suite, elle m’a donné le nom de ce médecin, sans poser de questions, ni un détail. Elle m’a dit qu’il valait mieux que je n’en parle pas à Rei. Ni à toi. Bref, elle m’a convaincue que ça serait mieux pour tout le monde.
— T’as déjà vu maman prendre une bonne décision, toi ?
— Bah oui ! elle répond, piquée au vif.
Rei vient nous sauver d’un probable stupide crépage de chignon en frappant à la porte, avec délicatesse. Depuis l’extérieur, il nous informe qu’il a dressé la table et que c’est l’heure de manger. Fuyu fait mine de s’endormir aussitôt alors je comprends ce qu’il me reste à faire. Doucement, je me retire de l’étreinte pour laisser ma soeur seule.
— Elle dort.
Je referme vite derrière, un peu gênée, sous les yeux impuissants de mon beau-frère.
— Je vais veiller sur elle. Toi, vas manger avec Pochi. Et garde l’assiette de Fuyumi dans un coin. Elle a besoin de manger.
— Qu’est-ce qu’elle a ?
Il dirige une main vers la porte, ce qui a pour effet d’accélérer mon rythme cardiaque. Non ! non ! Vite, je m’interpose en remuant les bras.
— Elle va bien ! Tu la verras après. Elle est fatiguée, donc je vais rester avec elle.
Mes excuses sont bidons, et j’ai la crédibilité d’un collégien… même si je devine aisément que Rei n’en pense pas moins, il a la délicatesse de ne pas discuter et capitule de toute tentative de me tenir tête. Il sait qu’on lui cache quelque chose. Ses épaules s'affaissent en signe d'approbation et il s’en va. Ses pas claudicants m'angoissent autant qu’ils me peinent. Le voir à presque quarante ans, une jambe en moins, et forcé à se déplacer en canne me déprime à un point inimaginable. Je retourne aussitôt dans la chambre où Fuyu est sagement assise en tailleur sur le lit, en train de visiblement m’attendre. Son sourire en coin exprime avec éloquence toute sa gratitude. Il est évident que maman serait derrière tous ces secrets. Les cachotteries ne vont pas à Fuyumi. Surtout avec Rei. Fut un temps, j’étais jalouse de le voir devenir si proche d’elle, de devenir son confident, son monde…
Peut-être est-ce pour cette raison que la culpabilité a eu raison de moi, lorsqu’il était cancéreux… Mes tripes remuent de honte. Je ne veux pas me souvenir de ce que j’ai ressenti ! C’est mal. C’est mal.
— Il est parti, c’est bon.
Je bénis le ciel et surtout mon beau-frère d’être arrivé au moment où une tension électrique s’annonçait. Je vais pouvoir bondir sur autre chose discrètement. En temps normal, Fuyu aurait inspiré puis pleuré avant d’affronter Rei, réclamer des explications bien méritées, puis composé avec. Qu’est-ce que maman cherche, exactement ?
— Il s’est passé quoi, ensuite ? je demande en m’avançant jusqu’au lit.
Mes lèvres brûlent de lui exposer ma vision des choses. De lui sommer de tout dire à Rei. De régler cette histoire comme des adultes, avant que cette histoire ne la dévore de l’intérieur. Peut-être que cela signera la fin de son histoire avec Rei. Mais je ne veux pas que tout finisse encore dans la violence.
— Quand j’ai appelé maman, c’était pendant la pause déjeuner après avoir effectué le test. C’était au boulot. J’étais tellement sous le choc que je n'arrêtais pas de bégayer. En fait, je racontais n’importe quoi. Et elle, elle a su avoir les mots. Elle m’a dit de me calmer, qu’elle contrôlait la situation, qu’elle a un ami à Hiroshima pas loin de la maison qui fait avorter sans autorisation. Enfin, ce qu’il me faut. Maman est au courant pour Rei, qu’il ne peut pas avoir d’enfant. Ou non. Mais tu vois ce que je veux dire.
Je dois me faire violence pour ne pas exprimer mon agacement. Non, mon égoïste me perdra. Pourquoi l’idée de me réjouir que ma sœur ait trouvé une solution si vite et si facilement m’exaspère à ce point-là ?
Je serai jalouse ?
Je balaye vite cette hypothèse de ma tête. Non.
Ce qui m’effraie c’est la suite. Très peu de médecins acceptent de faire avorter sans une signature du père. C’est rare, si ce n'est impossible. Pas à cause d’une quelconque morale ou d’un cas de conscience. Tout ce qui les motive, c’est la peur de se faire prendre, ni plus, ni moins et perdre ainsi leur liberté pour pourrir en taule, ou pire perdre leur réputation et leur intégrité. Il n’est guère étonnant que ma mère ait dans son cercle un malade prêt à contourner la loi. Je ne fais d’ors et déjà pas confiance à ce type. S’il est prêt à faire avorter sans autorisation, de quoi d’autres il serait prêt ? De quel genre de praticien est-il lui-même entouré ?
J’aimerai partager mes réserves à Fuyu mais cela ne suffirait qu’à l’accabler plus qu’elle ne l’est…
Je dois avant tout penser au bien de Fuyu.
— Alors… je me suis calmée. J’ai soufflé. Et j’ai disons réussi à me “blinder”, avec le travail. En fait, ce n’est même pas ma grossesse qui me fait peur. Je suis juste… je ne comprends pas pourquoi Rei m’a menti comme ça. Si tu savais comme je lui en veux ! Je ne devrais pas dire ça mais je me suis retenue toute la semaine pour ne pas juste lui hurler dessus. Je l’ai haï pour ça. Et ce sentiment, je n’arrive pas à le mettre de côté. A chaque fois que je regarde Rei, je vois celui que j’aime et celui que je déteste le plus au monde.
Elle prend une longue inspiration. Les yeux reflètent toute la tristesse de ma sœur. D’un regard, elle me la transmet et a pour effet de me faire frémir de douleur.
— Comment t’as réussi à cacher ça, si efficacement ? Je n’ai rien vu… je suis tellement désolée. Mais je n’ai vraiment rien vu.
— Ne t’excuses pas… Tu ne crois pas que tu n’as rien vu, justement parce que j’ai tout fait pour ?
La seule chose que je parviens à faire est de nonchalamment hausser les épaules. Elle me masse l’épaule. Sa douce expression me réconforte.
— Maman dit que c’est le bon choix. Et je la crois. Elle dit qu’il n’y a pas pire qu'un enfant non désiré. Que ça va me bousiller la vie. A moi et à Rei.
Ça, ça m’est adressé. Et je le sais. C’est à moi que maman pensait lorsqu’elle a dit ça. Elle ne m’a jamais caché que j’étais un petit démon qui lui gâchait la vie. Alors pourquoi n’a-t-elle pas avorté ? Le manque de scrupule ne lui a jamais fait défaut et ce n’est certainement pas un pélo comme Joseph qui s’y serait opposé. Il songeait à mettre les voiles, durant la propre grossesse de maman, puis à ma naissance, qu’est-ce qu’un avortement lui aurait fait comme effet ? Mais tout bien réfléchi, le début des années 2000, ce n’était pas comme aujourd’hui. C’était certainement beaucoup plus tabou. La parole des femmes ou leur avis, ce n’était même pas un sujet… même une femme comme Sonoka, persuadée d’être une marginale parmi les marginaux, ne pourra jamais s’extraire des diktats japonais, à moins d’y perdre bien plus que du crédit.
Je pense à ma mère. Peut-être qu’au final, ce n’était même pas une question de préjugés. A voir comment les choses ont tourné entre mes parents, je n’ai aucun mal à imaginer que je n’étais qu’un jouet à chantage efficace pour ma mère.
Pourquoi ce genre de pensées m'envahit maintenant ?
— Elle a sûrement raison, je murmure finalement.
Fuyu me sourit timidement. Ses traits semblent plus apaisés, tandis que les miens se font violence pour rester tendus afin de m’empêcher de laisser s’échapper un flot de larmes de rage et de tristesse. Ma soeur rampe vers moi et attrape mes mains.
— Merci de m’avoir écouté, Yuni. Si tu n’étais pas là, je ne sais vraiment pas comment j’aurais fait
Elle prend une pose. Son regard s’affaisse et elle semble vouloir m’éviter.
— Le seul souci, maintenant, c’est l’argent. Déjà que je ne serais pas du tout remboursée, il va me faire payer une somme en plus, pour le risque qu’il prend…
— Tu comptes faire quoi ?
Elle hausse les épaules.
— Ben, payer. Et donner des leçons en plus pour que ça ne se voit pas aux yeux de Rei.
— Combien il demande ?
— Au total, cinquante mille six cent dix yens [environ 315 euros]
Je me retiens de pousser un cri de stupeur. C’est plus que ce que je n’ai jamais eu dans mon compte de toute ma vie ! Bordel… si seulement j’avais pu trouver vite un travail.
— Mais il est sérieux ? Et tu vas trouver cette tune où ?
— Parle moins fort… j’en sais rien, moi. Je dois déjà lui être reconnaissante de me traiter dans le plus grand secret. Je vais me débrouiller !
J’essaye de couvrir l’angoisse que me provoque cette magouille. Y a quelque chose qui cloche. Fuyu a bien fait de me réclamer pour l’accompagner. J’irais régler le compte de ce type comme il se doit. J’aurais dû me douter qu’il ne le ferait pas gratuitement. Je prends Fuyu dans mes bras.
— Tu veux manger… histoire de reprendre des forces et penser à autre chose ? Surtout avec… enfin, tu sais.
Après s'être défaite de notre étreinte, elle secoue faiblement la tête. Sa réaction m’inquiète. Elle me rappelle l’époque des vieux travers de Fuyu. Je ne veux plus la voir se noyer dedans. Pas maintenant. Je me demande si je ne devrais pas récupérer une assiette et lui faire terminer son contenu de force. Cette idée folle me traverse quand je me souviens de mon dernier déjeuner avec elle : mais oui ! Le directeur ! J’ouvre la bouche pour réclamer des détails et une explication, mais ma soeur me devance :
— Non… enfin peut-être après. Il faut que je te parle, Yuna, d’ailleurs. Par rapport à maman.
Nous y voilà. A l’heure actuelle, j’aurais mille fois préféré me terrer trois kilomètres sous terre et ne jamais revenir parmi les vivants, après avoir compris pour la énième fois tout ce que je représente pour ma mère. Mais je n’ai pas le choix. Au moins pour Fuyumi.
— Ecoute…
Le ton qu’elle emploie est de mauvais augure. Mon cœur s’affole à nouveau. Qu’est-ce qui va encore nous tomber dessus ?
— Maman et tante Sara viennent de perdre leur père.
— Quoi..? je murmure d’une voix sourde.
Je tente de rassembler des souvenirs ou autre information sur le père de ma mère – mon grand-père – mais rien ne me vient. Le néant. Pour une raison très simple : je ne l’ai jamais connu. Personne dans la famille n’a un jour songé à nous le présenter. La seule chose que nous tenons de lui est son nom de famille : Shim. Initialement, il se nomme Simon. Puis, il est arrivé au Japon, avec l’envie de se fondre parmi le peuple Japonais, à commencer par son mariage avec une des leurs, puis dans cette volonté de s’inscrire en eux, a abrégé son nom Simon, à résonance bien trop occidentale par Sim, qui a fini par donner lieu à Shim. C’est ce nom qu’ont pris Sara et notre mère, qui l’a donné à Masa, son défunt mari, puis Fuyu à Rei, quand ils se sont mariés. Rei n’a plus de famille alors il n’a pas tenu à perpétuer son nom, par la suite.
Une fois, Fuyu m’a raconté qu’elle a vu une photo de lui. Elle était encadrée et accrochée sur le mur en face du plan de travail de la cuisine, qui donne directement sur la porte d’entrée, dans la maison de ma mère. Moi, je ne l’ai jamais vu. Il n’y a aucun cadre, dans le foyer de notre enfance. C’était donc avant ma naissance. Ma sœur non plus ne s’en rappelle plus très bien mais m’a assuré qu’il ressemblait beaucoup à notre mère et qu’il était d’une grande beauté. Sara, sa sœur, a davantage pris de leur maman, la fameuse Yuna, première du nom.
Hormis cela, nous n’avons aucune information sur ce personnage. Ni son visage, son prénom et encore moins les raisons qui l’ont mené au Japon. C’est un mystère qui n’en est pas un, comme ni Fuyu, ni moi ne l’avons jamais réclamé, de toute façon.
Toutes deux élevées par leur grand-mère, je ne suis guère étonnée de n’avoir jamais rencontré mon aïeul. D’un coup, l’annonce de sa mort me fait l’effet d’une tornade. Qu’est-ce qui fait que nous n’avons jamais connu un membre de la famille aussi important que le grand-père ?
Fuyu soupire.
— On ne le connaissait pas. Y a pas de quoi être triste. Et honnêtement, j’ai l’impression que maman s’en fichait totalement.
J’aurais volontiers ajouté que maman se fout de tout en général mais heureusement, mes lèvres ne me trahissent pas.
— Mais qu’est-ce qu’on a avoir avec ça ?
— Il va être enterré… ce qui est logique. Mais avant, maman… et tante Sara veulent qu’on se voient, toutes les trois. Elles veulent nous parler avant qu’elles ne l’enterrent.
Moi qui espérais qu’il ne serait pas nécessaire d’ouvrir le dossier Sara.
Sara est la sœur jumelle aînée de Sonoka. De fausses jumelles. Si physiquement, elles ont peu en commun, c’est également le cas de leurs caractères. Les deux ont beau avoir été élevées dans un environnement similaire, avoir été conçues et évoluées neuf mois dans les mêmes entrailles, nourries du même sein, elles ne pouvaient pas être plus différentes. Si Sonoka semble abriter un véritable démon en elle, Sara est un amas de douceur, de gentillesse et de bonté. A une sœur près, elle aurait pu être ma mère. Et j’en aurais été bien heureuse… différente, aussi, peut-être ?
Mais comme si ce n’était pas suffisant, Sonoka martyrise Sara dès qu’elle en a l’occasion. J’ignore quand tout a démarré et pourquoi notre mère semble tant en vouloir à Sara mais il y a toujours eu un rapport de force existant entre les deux. Heureusement, son aînée sait se défendre. Paradoxalement, maman semble d’une certaine manière affectionner sa sœur, bien que ce soit étrangement témoigné. Personne n’y comprend quelque chose, mon père le premier. Elle ne nous parle jamais d’elle et de son côté, Sonoka inspire une grande indifférence à notre tante. Cela ne nous a jamais empêché de la connaître et de bien nous entendre avec elle. Au contraire, elle qui n’est pas mariée et qui n’a pas d’enfants, nous couvre d’énormément d’affection, jurant avec sa relation avec notre mère.
Je soupire d’exaspération. La dernière chose qui me fait envie, c’est de revoir ma mère. Voilà plus d’un mois que je suis revenue à la maison. Maman va avoir du mal à croire que mon retour n’est pas définitif et nous voilà à nouveau repartis pour un tour de phrases rabaissantes, d’allusions. Un cercle infini…
Si seulement je ne m’étais pas promis de ne pas quitter ma sœur. Et maintenant n’est certainement pas le bon moment. Sara sera présente, et si nous nous retrouvons dans un cadre si épineux, je crains le pire.
— On doit aller la voir dans quelques jours. Je sais que ça ne te fait pas plaisir… mais fais le, au moins pour moi. D’accord ? Promis, je ferai tout pour que ça ne dégénère pas. Tu peux compter sur moi.
La dernière chose dont j’ai envie est de contrarier ou blesser ma sœur. Qu'est ce que les deux sœurs avaient de si important à nous dire sur leur père ?
J’accepte et après nous être échangé quelques banalités, pour apaiser la lourde atmosphère, Fuyumi s’assoupit malgré elle, épuisée mais soulagée. Je ne saurais rien pour cette fois de l’épisode directeur… mais Fuyu n’a sûrement pas besoin de se remémorer cet instant. Je la couvre et pars rejoindre Pochi et Rei. Avant de m’en aller, je l'observe avec affection, profondément endormie.
Je n’ai qu’elle dans la vie…
Cette nuit, la maison est plongée dans un silence presque réconfortant. Comme une pause dans le chaos. Pochi finit par venir me rejoindre. Il s’allonge au bord de mon matelas. Paisible. Voilà l’état où se trouve la maison. Ma tête ne peut s’empêcher d’imaginer ce que le couple a pu se dire, mais rien de plausible ne sort. Peut-être n’ont-ils pas causé du tout. Fuyu a réussi à s’endormir, en serrant fort son ancien doudou contre elle, comme toujours. Rei également.
Mais ce n’est pas mon cas.
Je toise rageusement le mur en face. Du bout des doigts, l’aiguille va et vient dans une danse effrénée.
Mes mains moites suent à son contact et pourtant, j’y trouve comme un étrange apaisement.
Tout va bien. Si un jour, tout devient ingérable, je pourrais toujours partir.
Soudainement, la porte s’ouvre en trombe, sans préavis. Je ferme les yeux avec force et envoie l’aiguille à l’autre bout de la pièce. L’invitée surprise s’approche de moi, sous ses pas lourds. Fuyu. Elle s’allonge, comme la dernière fois, contre moi. Elle marmonne :
— Je sais que tu ne dors pas. J’ai envie de roupiller à côté de toi, Yuna.
J'acquiesce silencieusement et l'accueille dans mes bras, avec douceur. Elle s’y blottit volontiers. Son sommeil d’aplomb la rattrappe très vite et en sombrant alors qu’elle s’est à peine assoupie, ma soeur chuchote et je dois me faire violence pour comprendre un traître mot :
— Je suis contente que tu sois ici. J'espère que tu vas rester ici pour toujours.
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