5. Le choix

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"Tu deviens complètement folle, Liva. Complètement folle, je te dis... C'est impossible, c'est totalement impossible... C'est illogique, ça ne se peut pas. Maman est morte. Elle est morte, elle n'est plus là... Elle te manque et tu cherches juste à la revoir, c'est ce qui s'est passé..."

La jeune fille se balançait d'avant en arrière en se laissant aller contre l'étagère, qui tremblait dangereusement à chaque secousse. Le visage toujours dans les mains, elle ne retenait pas ses larmes, bouleversée par sa vision.

- Eh, qu'est-ce qui t'arrives ? questionna la femme qu'elle avait un instant pris pour sa mère. T'es pas en train de péter les plombs ?

Elle l'avait rejoint et s'était arrêtée à l'autre bout de l'étagère, mais ne pouvait voir le visage de Liva, plongé dans l'ombre.

- J'appelle le sergent, continua la femme, il va te dégager, ou peut-être te remettre les idées en place à l'aide de son flingue.

- N-non... Non ! bégaya Liva, la face ruisselante de larmes. Fais pas ça, je vais bien. Je...

Mais son interlocutrice s'était déjà détournée en reniflant d'un air impérieux.

Liva chercha son couteau à tâtons et le trouva accroché à sa ceinture, à-côté de son arme à feu. Elle ne pouvait pas, ne voulait pas se laisser tuer ; et cela risquait de lui arriver si la femme parlait.

La jeune fille se fit violence pour bouger et se releva prestement, bien que chancelante. Elle contourna l'étagère et arriva dans le dos de la femme. D'un geste rapide et avisé, elle pressa une main contre la bouche de celle-ci et planta la lame du couteau dans son dos de l'autre. Elle la retira d'un coup sec tandis que la femme poussait des exclamations étouffées et réitéra son acte quatre fois, avant que son corps inerte ne s'écroule mollement dans une gerbe de sang.

Liva lâcha la femme, qui avait les yeux grands ouverts dans une expression muette d'épouvante. Elle passa les bras sous ses aisselles et la traina le long d'un rayon plus sombre. Lorsqu'elle vit le dos d'un soldat à sa droite, elle s'empressa de laisser tomber le cadavre et recula sans bruit.

"J'ai vu ma mère... pensa-t-elle, toujours sous le choc. Oui, c'était bien elle, il n'y a pas de doute... Est-ce qu'elle... Est-ce que j'ai eu cette apparition pour me transmettre un message ? Le message de ne pas obéir ? De ne plus me laisser faire et d'empêcher la destruction des restes de notre bien-aimée culture ?"

Liva réfléchissait à toute vitesse, malgré le trouble qui embrumait son esprit. Sa mère chérissait les livres, mais plus encore, s'était toujours battue pour permettre l'accès à la lecture, à l'écriture aux plus démunis, aux personnes illettrées, immigrées... Ça avait été le combat de sa vie. Pour elle, brûler un livre était violer la conscience, profaner la vérité, faire taire le savoir, et elle avait transmis ses valeurs à sa fille.

"Pardon maman, pensa cette dernière, sans savoir si sa mère pouvait réellement l'entendre. Pardon de ne pas te faire honneur, de détériorer ta cause... Mais si tu me voyais... Je n'ai plus le choix, je dois le faire."

- Qu'est-ce qui lui arrive, à celle-là ?

La voix nasillarde d'un soldat la tira de ses réflexions et elle sursauta. Il ne s'adressait cependant pas à elle mais au cadavre de la femme, qu'il remuait du bout du pied.

Instinctivement, Liva se précipita sur lui et l'acheva à son tour aussi rapidement et subrepticement que possible. Elle ne pouvait pas se permettre d'être repérée... Mais comment allait-elle pouvoir s'en sortir, à présent qu'elle avait tué deux de ses collègues ? De la main du sergent ou de leurs autres chefs, c'était normal et accepté, mais elle, n'en avait pas le droit. Elle ne pourrait pas justifier ses actes et se ferait à son tour liquider.

"Est-ce que je vais être coincée, sans pouvoir cacher ce que j'ai fait ? s'inquiéta-t-elle. Si c'est le cas... Il faudrait que je tue tout le bataillon... Et ensuite... Ensuite, je pourrais fuir. Je serais libre."

L'espoir commençait à poindre en elle, alors qu'elle n'en avait plus ressenti une once depuis un mois. Se pouvait-il vraiment qu'elle s'échappe ? En abattant aussi discrètement que possible chacun de ses congénères, avait-elle la moindre chance de retrouver sa liberté ?

Elle n'en avait aucune idée, mais si elle entrevoyait le soupçon d'une opportunité, elle n'allait certainement pas laisser filer sa chance sans la tenter. Comme elle se le répétait souvent, elle n'avait absolument plus rien à perdre.

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