38. Fin d'une ère - Partie 3

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Dans un brouillard de douleur et de fièvre, Mezhelan entendait vaguement la voix des guérisseurs murmurer autour de lui, leurs paroles floues atteignant à peine son esprit.

"…sa gorge est sévèrement endommagée… difficultés à respirer… peu probable qu'il puisse parler à nouveau…"

"…son poignet se ressoudera bien s'il ne le bouge pas…"

"…côtes cassées, il doit se reposer correctement…"

Mezhelan sombra de nouveau dans l'obscurité, tourmenté par des cauchemars fragmentés. Des images de griffes acérées, de voix sifflantes et de créatures démoniaques tournaient en boucle dans son esprit, chaque souvenir plus vivide et terrifiant que le précédent. La douleur physique se mêlait à la détresse mentale, le plongeant dans un abîme sans fin. Il se voyait enchaîné, incapable de bouger, étouffant pendant que des démons tournaient autour de lui avec des expressions moqueuses et effrayantes. Ils parlaient dans une langue inconnue, mais savait qu'il était question de domination, de pouvoir et de destruction. Il sentait leurs griffes lacérer sa peau, leurs dents mâcher sa chair. La douleur était insoutenable et il luttait pour se libérer, mais chaque tentative était vaine, renforçant son sentiment d'impuissance et de désespoir.

Soudain, une lumière douce et rassurante perça les ténèbres de ses cauchemars. La douleur s'atténua, remplacée par une chaleur réconfortante. Il se sentit tiré vers la surface, vers la conscience. Ses paupières lourdes s'ouvrirent lentement, dévoilant un plafond familier. Il était dans sa chambre et s'y sentit en sécurité. La fièvre avait finalement disparu, et bien que la douleur le cisaillait à chaque inspiration, elle lui semblait presque supportable.

Mezhelan tourna doucement la tête et vit Amos, endormi à côté de lui. Il voulut l'appeler : ses lèvres formèrent le A de son prénom, mais une douleur fulgurante lui traversa la gorge. Son apprenti tenait fermement sa main gauche, sa tête reposant à moitié sur le lit et à moitié sur un livre ouvert. Le dessin sur la page représentait une trachée humaine. Il observa son visage avec tendresse, sentant une profonde gratitude l'envahir.

Le jeune homme avait veillé sur lui, refusant de le quitter, et essayait sans doute de trouver une solution à ses blessures. Cette loyauté et cet amour étaient des piliers sur lesquels il pouvait s'appuyer sans crainte. Il repensa à son visage inquiet au moment de son retour et se revit en train de pleurer dans ses bras : cela le rendit honteux. Quel spectacle pitoyable avait-il donné ?

Il remarqua ensuite que son poignet droit avait été solidement bandé de sorte à être immobilisé, et aussi que ses côtes douloureuses limitaient ses mouvements. Incapable de parler, il serra délicatement la main de son garçon dans la sienne.

Amos ouvrit les yeux et, voyant son maître éveillé, murmura avec un soulagement visible : "Papa… !" Ses yeux s'agrandirent, reflétant un mélange de surprise et de joie. Avant de lui laisser le temps de répondre, il ajouta : "Ne parle pas. Les guérisseurs ont dit que ta voix… était sans doute perdue." Il serra plus fort sa main dans la sienne : "Mais je suis tellement heureux que tu sois en vie. Je vais trouver une solution, je te le promets."

Ces mots touchèrent profondément Mezhelan. Mais pourquoi son disciple devrait-il trouver une solution à ce problème ? Cela ne concernait que lui. C'était son rôle de veiller sur Amos, et non l'inverse. Il se rappelait les nombreux jours passés à lui enseigner, à le guider et à le protéger. La pensée de voir les rôles inversés le dérangeait profondément. Il fronça les sourcils en secouant la tête, refusant d'accepter cette inversion des rôles, et cela lui provoqua une nouvelle douleur dans le cou.

"Quoi, non ?" s'étonna Amos : "Tu sais déjà que ce que je vise, ce sont les soins ! Je ne passe pas autant de temps avec le croque-mort parce que j'apprécie l'ambiance de sa cave !" affirma-t-il en se redressant pour regarder son livre ouvert : "Je dois juste… me focaliser sur la gorge, pour l'instant…" Puis, avec un sourire pour dédramatiser, il ajouta : "Tu seras mon premier cobaye vivant, c'est tout."

Le coin des lèvres de Mezhelan se recourba légèrement. Son cobaye ? Il n'était tout de même pas gêné. Mais il se contenta de tendre la main pour envoyer deux doigts dans son front, le réprimandant à sa manière : 'J'ai de la chance…' pensa-t-il.

"Pardon…" s'excusa aussitôt le jeune homme en s'attrapant le front, avec un faux sourire coupable.

Puis, Mezhelan regarda enfin autour de lui, constatant que plusieurs de ses meubles avaient été déblayés pour faire de la place à des linges, des onguents et autre matériel de soin. Il y avait également une bassine d'eau qui devait servir à sa toilette : comme cela était gênant. Combien de temps avait-il été inconscient ? Et combien de temps avait-il erré dans le vide ?

À cet instant, Eärwen entra discrètement dans la chambre, apportant avec elle son assurance naturelle : "Maître Mezhelan, vous êtes réveillé." constata-t-elle en approchant du lit, posant une main sur son front pour vérifier sa température : "Votre fièvre est tombée. C'est bon signe."

Le mage se laissa faire en la fixant avec une expression surprise, il acquiesça alors légèrement avant de se tourner vers Amos, cherchant des réponses à sa présence.

Ce dernier répondit à son expression interrogative : "Dame Eärwen a été d'une grande aide en ton absence."

La femme précisa avec un sourire : "Et Amos n'a pas quitté votre chevet depuis votre retour."

Mezhelan, ne sachant comment l'exprimer autrement sans mots, reprit la main d'Amos dans la sienne, puis inclina la tête vers Eärwen avec reconnaissance. Il fronça ensuite les sourcils pour leur faire comprendre qu'il voulait savoir quelque chose. Ses lèvres formaient aussi distinctement que possible des syllabes sans émettre de son : "Combien de temps ?"

"Tu veux savoir combien de temps il s'est passé ?" demanda Amos.

L'homme hocha faiblement la tête en réponse.

"Tu as disparu pendant huit jours, et tu as été inconscient les trois jours suivant ton retour." expliqua Amos.

Mezhelan cligna lentement des yeux, absorbant cette information. Onze jours. Il avait été absent et inconscient durant onze jours. Cela expliquait pourquoi son corps était si faible et pourquoi il se sentait autant perdu sur la temporalité. Il réalisa soudainement à quel point il avait soif et faim, une sensation de vide douloureux se faisant sentir dans son estomac. Son regard se posa vers un pichet d'eau posé non loin.

Amos remarqua son regard et se précipita pour lui apporter de l'eau. Il aida son maître à se redresser légèrement et lui tendit le verre.

Mezhelan le porta à ses lèvres, mais dès qu'il avala, une violente quinte de toux le secoua. L'eau jaillit de sa bouche, et il serra les dents, le visage contracté de douleur.

Inquiet, Amos récupéra le verre pour le poser derrière lui : "Je vais essayer quelque chose." dit-il en plaçant immédiatement ses doigts sur la gorge de son maître, tandis qu'une légère lueur verte en émanait.

Mezhelan sentit une sensation de chaleur apaisante envelopper sa gorge, et la douleur immédiate s'atténua. Légèrement surpris, il chercha le regard de son disciple.

"Ça ne soigne pas… mais ça doit soulager un peu, en principe…" précisa Amos, espérant avoir aidé.

Mezhelan hocha légèrement la tête, voulant signifier que ça l'avait effectivement soulagé. Puis, il tendit les doigts en direction du verre, qu'Amos lui remit dans les mains. Il prit plus de précautions, laissant glisser l'eau dans sa gorge plutôt que de l'avaler, mais le réflexe revenait parfois malgré lui.

Le jeune homme, confirmant avec un certain soulagement qu'il s'en sortait, ajouta : "Je vais demander à ce qu'on t'amène de la soupe, quelque chose de facile à avaler." Puis il sortit rapidement de la chambre pour transmettre ses instructions à leurs domestiques.

Mezhelan ne savait pas si son disciple en avait conscience, mais la chaleur apaisante persistait dans sa gorge, offrant un soulagement temporaire. Il était fier de lui : il démontrait déjà des progrès notables en magie de guérison alors qu'il empruntait cette voie depuis peu de temps.

Eärwen prit la parole : "Je vais vous laisser, Maître Mezhelan. Je suis ravie de vous voir réveillé et vais porter cette bonne nouvelle à mon roi. Je reviendrai vous voir bientôt. Vous êtes un pilier pour lui, alors guérissez vite, d'accord ? Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je serais heureuse de vous aider." Elle posa brièvement une main réconfortante sur son épaule, transmettant toute sa sincérité et son soutien.

Mezhelan acquiesça avec reconnaissance, puis la regarda disparaître dans un portail.

Hans, le majordome, entra discrètement dans la chambre avec un bol de soupe fumante rapidement après : "Maître." dit-il avec respect : "Je suis soulagé que vous ayez repris connaissance. J'apporte une soupe légère pour vous aider à reprendre des forces."

Mezhelan fit un signe de remerciement de la tête, acceptant l'aide d'Hans pour s'asseoir et boire lentement la soupe. Chaque gorgée apaisait peu à peu la douleur lancinante dans son ventre vide, et avec elles revenait une vigueur qui réchauffait chacun de ses muscles affaiblis.

Amos revint peu après, un sourire de soulagement sur le visage en voyant que son maître parvenait à ingérer la soupe sans difficulté majeure : "Comment te sens-tu ?" questionna-t-il calmement.

Mezhelan lui fit un sourire et leva le pouce.

Ce geste amusa Amos, qui regarda Hans débarrasser et ressortir : "Je pense qu'un bain te ferait du bien, aussi. Et je me doute que tu préférerais que le roi ne te voit pas… comme ça." proposa-t-il.

Bien que gêné par l'idée, Mezhelan constatait une nouvelle fois combien Amos le connaissait bien. Même s'il avait reçu une toilette superficielle durant son inconscience, il sentait que ses cheveux étaient gras et savait qu'il ne devait pas avoir bonne mine. Il concéda alors d'un hochement de tête.

"Je vais demander à Hans de revenir tout de suite pour aider." répondit Amos en se levant pour aller le chercher.

Le convalescent ne put que soupirer face à cette situation frustrante. Sans évoquer ses limites pour se faire comprendre, il était actuellement totalement dépendant des autres. Doucement, il se tourna pour s'asseoir sur le bord du lit. S'il y allait tranquillement, il pouvait au moins faire ça seul, ses jambes n'étaient pas blessées après tout. Il prit appui sur sa main gauche, puis se leva lentement, chaque mouvement lui rappelant ses os fracturés.

Hans entra, portant des serviettes propres et une expression de sollicitude. Lorsqu'il le vit debout, il s'approcha immédiatement pour l'attraper sous le bras avec préoccupation : "Maître, vous devriez y aller progressivement. Ne prenez pas de risques pour l'instant…"

Mezhelan sourit légèrement à son inquiétude.

Amos revint à son tour dans la pièce, le front plissé d'inquiétude, mais il s'abstint de commenter, choisissant d'observer à la place.

Hans soupira légèrement, puis poursuivit : "Nous allons vous aider à prendre un bain. Cela vous fera du bien."

Hans et le jeune homme aidèrent le magicien à se diriger vers la salle de bain adjacente. L'eau chaude et parfumée l'attendait déjà, dégageant une vapeur apaisante. Avec une grande délicatesse, ils l'aidèrent à se dévêtir et à entrer dans l'eau et, pour la première fois depuis son réveil, Mezhelan se sentit un peu plus humain.

Amos resta à ses côtés, veillant à ce que tout se passe bien : "Prends ton temps. Rien ne presse." dit-il.

Mezhelan ferma rapidement les yeux. Il n'avait pas l'intention de se presser et, de toute façon, il n'avait pas la force de le faire. Le souvenir de cette figure monstrueuse léchant son sang, lui fit passer de l'eau plusieurs fois sur sa bouche et son visage, tentant d'en effacer les sensations. Mais ses muscles tendus parvinrent à se relâcher progressivement sous l'effet de l'eau chaude, la saleté et les résidus de son calvaire se dissolvant avec elle.

Amos continuait de lui parler, veillant à ce qu'il soit à l'aise, tandis qu'Hans, avec des gestes assurés, le lavait avec autant de respect et d'attention qu'il était possible de le faire. Bien que la situation fût gênante, il ne put nier le bien-être que cela lui procurait. Ça apaisait autant sa douleur que ses tourments, et il se sentit lentement revigoré. Il appréciait grandement ce moment de calme avant la visite inévitable du roi. Ils se montraient vraiment aux petits soins pour lui.

Le mage se mit à réfléchir à la suite des événements. Comment pourrait-il expliquer au roi ce qu'il avait vu ? Privé de sa voix et de sa main droite, cela semblait impossible. Pourtant, il savait que le souverain et son garçon avaient des questions légitimes. Mais voulait-il vraiment assombrir leur monde en révélant ce qu'il avait vu ? Il n'en était pas certain. Les images d'un monde meurtri, de démons, de griffes et d'un langage mystérieux s'imposaient en flèche dans son esprit. Il savait que dévoiler ces horreurs ne ferait que semer la peur et l'incertitude. Peut-être valait-il mieux garder le silence, ou du moins, ne pas tout révéler. Mais mentir au roi… pouvait-il réellement se permettre de le faire ?

Détendu par le bain, Mezhelan fut raccompagné dans son lit, se sentant un peu plus digne et rafraîchi. On lui prépara une plume et du papier pour qu'il puisse communiquer par écrit pendant la visite.

Le souverain entra finalement dans la chambre. Accompagné de quelques conseillers, il s'approcha du lit, le visage marqué par la préoccupation : "Mezhelan, je suis soulagé de te voir réveillé. Nous avons été très inquiets pour toi."

Amos, debout à côté du lit de son maître, s'inclina respectueusement avec une expression sérieuse.

Mezhelan fit un signe de tête courtois en réponse, appréciant les mots du roi.

"Qu'est-ce que c'était ? Qu'est-ce qui t'a mis dans cet état ?" demanda ce dernier d'un ton grave.

L'homme pensa immédiatement : 'Un démon.' Cependant, la plume dans sa main gauche tremblante, écrivit laborieusement : "Je ne me souviens pas." Les mots tracés sur le papier lui semblèrent aussitôt étrangers. Il les regarda, surpris, sentant une vague de confusion le submerger. Une étrange sensation de malaise l'envahit, mais il ne pouvait pas le formuler.

Le roi fronça les sourcils : "Tu ne te souviens de rien ?"

Mezhelan secoua lentement la tête tandis qu'il évitait le regard de son souverain, ses pensées devenant étonnamment confuses.

Le roi, visiblement contrarié mais ne voulant pas l'accabler, fit signe à ses conseillers de se retirer. Il resta silencieux un moment, puis conclut : "D'accord. Repose-toi, Mezhelan. Nous en reparlerons."

Le mage acquiesça, mais une ombre planait sur son esprit. Il savait que quelque chose en lui avait changé, bien qu'il ne fût pas en mesure de l'identifier.

Le roi se tourna vers l'apprenti : "Prends soin de lui, Amos."

Ce dernier hocha humblement la tête : "Bien sûr. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, Majesté."

Alors que le roi passait la porte pour ressortir, Mezhelan regardait Amos avec culpabilité. Sa main gauche reprit la plume pour maladroitement écrire quelques mots à son attention : "Je suis désolé." L'idée de provoquer de l'inquiétude et de la peine chez lui, le tourmentait davantage que ses propres blessures.

Amos prit le papier et le lut, puis envoya deux doigts dans le front de son maître, imitant pour la première fois ce geste qu'il répétait si souvent : "Ça va aller !" affirma-t-il avec un sourire.

Mezhelan se sentit amusé et s'installa plus confortablement sous ses draps, sentant ses paupières s'alourdir rapidement. Il se laissa emporter par un sommeil troublé, ses pensées tourbillonnant dans un mélange de confusion et de peur. Il se voyait encore enchaîné, incapable du moindre mouvement. La vision de ce démon et de ses terrifiantes pupilles fendues qui l'observaient avec une intensité hypnotique, n'avait de cesse de le hanter. Mais ce cauchemar restait moins violent que les derniers.

La créature murmurait des paroles incompréhensibles, mais pas de manière menaçante, plutôt d'un ton qui susurrerait des promesses alléchantes. Elle s'approcha jusqu'à être si proche qu'elle put forcer son front contre le sien : "Łɐıƨƨə-ɯoı ənʇʁəʁ, əʇ ɕə ɯonđə nouƨ ɐppɐʁʇıənđʁɐ."

Le mage se réveilla en sursaut, la respiration haletante, les yeux écarquillés, pendant qu'une douleur aiguë lui traversait le thorax.

Dans cette chambre plongée dans l'obscurité, seule la lueur de la lune filtrant par la fenêtre, éclairait faiblement l'espace. Et Amos, assoupi sur une chaise à ses côtés, affichait une expression paisible.

Mezhelan se laissa doucement retomber sur l'oreiller, ses battements de cœur ralentissant progressivement. Il espérait que ces cauchemars cesseraient vite de le tourmenter, parce qu'ils lui laissaient un étrange sentiment de mal-être. Ils avaient quelque chose de… terriblement réel.

Prochainement : Amos

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