40. Fin d'une ère - Partie 5

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"Ça ne te ressemble pas. Tu n'aurais jamais fait ça avant… !" cria Amos, les yeux brûlant de déception et de colère.

À l'écoute de cette accusation, Mezhelan sentit son cœur se briser. Parce qu'il savait qu'il avait raison, mais il ne pouvait pas admettre cette vérité. Il était terrifié à l'idée de lui faire du mal. Il devait le protéger, même si cela signifiait se comporter comme une ordure. Il força son visage à rester impassible, réprimant la tristesse qui montait en lui : "Je ne voulais pas que tu viennes. Alors si je te déçois, va-t'en." répliqua-t-il d'une voix froide et détachée.

Amos resta un moment sur place, puis, visiblement bouleversé, tourna les talons et s'engouffra silencieusement à l'intérieur d'un portail.

Mezhelan le regarda disparaître, désormais seul avec sa culpabilité. Il avait cette sensation de doucement se fissurer, mais ne pouvait faire que l'ignorer. Chaque jour, il se sentait un peu plus impuissant face à la présence malveillante qui le tourmentait, semblant prête à exploiter la moindre de ses faiblesses. La distance qu'il imposait était la seule idée qu'il avait pour garder ses proches en sécurité.

Après avoir expliqué la situation à l'homme qui avait envoyé la requête au château, le mage se téléporta directement dans sa chambre, évitant ainsi de croiser qui que ce soit. Il attrapa le livre en cuir qu'il consultait sans relâche depuis son retour, le plus étoffé qu'il ait pu trouver au sujet des démons. Chaque page tournée était une prière de désespoir, un appel à une solution qui tardait à venir. Il espérait comprendre ce qui lui arrivait, faire cesser ces cauchemars, trouver des réponses.

Au milieu de sa lecture, il sentit soudainement une présence derrière lui. Il se retourna brusquement, mais il n'y avait personne. Malgré ses efforts pour se calmer, une angoisse sourde le tenaillait, et chaque ombre de la pièce le rendait un peu plus nerveux. L'impression d'être constamment épié ne le lâchait pas, et chaque fois qu'il faisait de nouvelles recherches, il était immédiatement puni par des cauchemars plus cruels. Amos, ainsi que toutes les personnes importantes pour lui, souffraient à chaque fois qu'il fermait les yeux.

Et cette nuit-là, le cauchemar fut particulièrement épouvantable. Il se retrouva dans une pièce sombre, les murs et le plafond suintant d'une substance noire et visqueuse jusque sur le sol.

Amos était là, agenouillé et enchaîné au centre de la pièce, les yeux grands ouverts et emplis de terreur : "Papa, aide-moi !" supplia-t-il d'une voix tremblante.

Une immense silhouette sombre se matérialisa derrière lui, ses yeux rougeoyants perçant l'obscurité comme des braises ardentes.

Un frisson mordant traversa l'échine de Mezhelan, lui glaçant les veines au passage.

Le démon se lécha les lèvres, se délectant de sa peur. Il approcha jusqu'à attraper les cheveux d'Amos pour lui tirer la tête en arrière, puis approcha les mâchoires de son cou.

"Non, pas lui !" implora Mezhelan, tombant à genoux : "Je ferais tout ce que tu veux, mais laisse-le."

La créature ne répondit pas, mais un frémissement de plaisir traversa son corps. Il écarta les doigts de son autre main, et ses longues griffes éraflèrent la nuque de sa victime.

Le magicien voulut intervenir mais ses jambes refusèrent de bouger : "Arrête, je t'en supplie ! Prends-moi à sa place !" hurla-t-il.

Mais le démon n'en eut que faire. Il planta ses doigts acérés dans le dos d'Amos, savourant sadiquement chaque petit instant pendant qu'il les enfonçait, le lacérant lentement de bas en haut. Le subtil bruit de déchirement de la tunique du jeune homme s'accompagnait de ses cris d'effroi tandis qu'un flot carmin se mettait à recouvrir le sol. La créature apprécia la vue, puis passa en face de lui pour ériger, progressivement, des tranchées sanguinolentes sur son ventre, ouvrant sa chair à vif au passage de ses griffes. Il poursuivit ainsi, répandant toujours plus de sang, de manière particulièrement macabre et insoutenable.

"Non, je t'en prie, arrête ça !" supplia Mezhelan, les larmes aux yeux. Les hurlements étaient terribles et l'odeur lui donnait la nausée. Il hurla, insulta, adjura, mais le démon était sourd à ses supplications et continua sa séance de torture.

"Regarde-lə ƨouɟɟʁıʁ, ᙏəʑħəlɐn. Ƈ'əƨʇ á cause đə toi. ʆə ʇ'ɐı pouʁʇɐnʇ đęɉá dit đə ʇə tenir ʇʁɐnɋuıllə."

Mezhelan pleurait de désespoir : "Alors punis-moi, punis-moi ! Pas lui… non. Il n'a rien fait…"

Les yeux de la créature s'illuminèrent d'un éclat vicieux : "Ƈ'əƨʇ toi ɋuı fais ça, ʁəƃɐʁđə ! Ƈ'əƨʇ toi ɋuı inflige ɕəʇʇə douleur."

L'homme baissa les yeux et vit ses propres mains enfoncées dans l'abdomen d'Amos. Il tenta de reculer, de les retirer, mais ses muscles n'en faisaient qu'à leur tête. Il put sentir chaque sensation de la tripaille entre ses doigts, de l'humidité chaude à la granulosité visqueuse. Et tandis qu'il les tirait dans un gargouillement répugnant, les lamentations et l'odeur métallique qui en découlèrent retinrent toute son attention.

Comme si cela était insuffisant, il plongea rapidement ses doigts pourpres dans le visage de son fils pour créer encore plus d'atrocité. Chaque geste était accompagné d'une douleur lancinante dans ses propres doigts, comme s'il était puni en même temps que sa victime. Il enfonça lentement les pouces dans ses yeux, créant une cascade funèbre sur ses joues. Les hurlements étaient assourdissants, mais ses mains bougeaient d'elles-mêmes, traçant des lignes cramoisies dans sa chair, ses ongles acérés le déchirant comme du papier mouillé.

Les gestes de Mezhelan se poursuivirent sans son accord, guidés par une force maléfique. Mais bientôt, un sourire crispé et incontrôlable orna ses lèvres tandis que l'agréable odeur dans l'air l'invita à se lécher les doigts. Le goût, riche et ferreux, éveilla en lui une satisfaction étrange, un frisson troublant qui courut le long de sa colonne vertébrale.

Amos gémissait, agonisant, tandis que ses yeux crevés semblaient le dévisager avec horreur : "Papa, pourquoi… ?" dit-il, la voix pleine de détresse et de trahison.

Mezhelan se réveilla en sursaut, couvert de sueur. La réalité était à peine moins horrible que le cauchemar, car les deux se confondaient de plus en plus. Il avait le sentiment que c'était bien plus que de mauvais rêves, que c'était des avertissements. Il se rallongea, le cœur battant à tout rompre et légèrement nauséeux.

Sa seule source de soulagement était d'imaginer qu'Amos était actuellement en train de dormir paisiblement dans sa chambre.

Les jours défilèrent et devinrent indistincts, dans un mélange de terreur nocturne et de tourments diurnes. Chaque tentative de résistance se soldait par des douleurs insoutenables ou des visions encore plus terrifiantes. La peur de s'endormir l'incita rapidement à passer des nuits blanches, mais sa volonté érodée par le manque de repos engendra d'autres problèmes, le rendant de plus en plus irascible. Il comprit que c'était bien plus qu'un traumatisme à surmonter lorsqu'il commença à perdre le contrôle de son corps, forcé à agir contre sa volonté même lorsqu'il était éveillé.

Amos et les domestiques, autrefois source de réconfort, étaient dorénavant des personnages récurrents dans ses visions horrifiques. Le démon le forçait à les voir souffrir, à les voir mourir de mille façons atroces. Mezhelan sentait la distance s'installer, non pas par choix mais par nécessité. Il devait les protéger de lui-même. Paradoxalement au fait qu'il les aimait, il ne se sentait serein que lorsqu'il était loin d'eux, trouvant ses brefs moments de répit dans la solitude de ses missions, qui finirent néanmoins par lui être interdites par le roi.

Ce dernier devait avoir remarqué ses changements de comportement et prit cette décision en conséquence. Son garçon avait même commencé à être envoyé en mission à sa place, alourdissant son fardeau et, fragilisant un peu plus son mental. Privé de son échappatoire, il se demandait s'il pourrait tenir le coup. S'ils n'avaient plus besoin de lui, alors à quoi servait-il ?

Marqué par des cernes de plus en plus profondes, Mezhelan s'acharna à chercher des réponses dans la bibliothèque, essayant de trouver un sens à ce qu'il vivait, mais revenait sans cesse aux mêmes manuscrits. Et puis, une phrase lui sauta un jour aux yeux : les démons peuvent infiltrer l'esprit des mortels… Cela lui apparut soudain comme une évidence. Cette vérité était juste trop difficile à accepter. Il l'avait pourtant compris depuis déjà quelque temps : il était possédé. La connaissance de cette réalité ne lui apporta aucun soulagement, seulement une nouvelle couche de détresse. Ce monstre s'insinuait un peu plus dans son esprit à chaque instant, contrôlant ses actions et le poussant à bout. Comment pouvait-il lutter contre une force aussi puissante, surtout lorsqu'il était constamment surveillé ?

Peu de temps après cette découverte, à court d'idées et de plus en plus désespéré, Mezhelan décida d'essayer d'en parler avec Amos. Ce dernier semblait se détacher de lui, parvenant à remplir ses missions seul et ne cherchant plus ses conseils comme auparavant.

L'homme se dirigea résolument vers sa chambre, bien décidé à tout lui avouer. Ce n'était pas la première fois qu'il se tenait là, hésitant, avant de faire demi-tour. Car à cause de son comportement, son disciple avait commencé à nourrir du ressentiment envers lui, il le savait. Mais cette fois, il prit son courage à deux mains et frappa doucement à la porte.

Amos ouvrit, à la fois surpris et inquiet en scrutant son visage : "Maître ? Est-ce que tout va bien ?" demanda-t-il.

Le magicien ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son n'en sortit. Il sentit une pression énorme sur sa poitrine, l'empêchant de respirer correctement. Chaque fois qu'il croisait le regard de son garçon, un frisson étrange le parcourait. De plus en plus souvent, il ressentait un désir insoutenable de lui faire mal, de lui hurler dessus sans raison valable. Il fit un pas en arrière en se tenant le cou, essayant désespérément de libérer les mots qui se débattaient pour sortir.

"Que se passe-t-il ?" s'inquiéta Amos dans une forme d'incompréhension.

Mezhelan secoua la tête, se démenant contre une entrave intangible. Derrière un voile de brouillard, il réussit finalement à articuler quelques mots : "Rien… tout va bien. Désolé… je suis fatigué."

Amos resta figé, mais finit par hocher la tête avec une déception perceptible.

Mezhelan retourna dans son bureau, le cœur lourd et les épaules voûtées sous le poids de son impuissance. Il était bel et bien seul dans cette lutte. Il ne pourrait bénéficier d'aucun soutien, et cela signifiait s'enfermer encore plus dans sa solitude. Il sortit finalement du papier d'un tiroir, puis approcha un encrier avant d'en saisir la plume : "Amos, si tu lis ces mots…" commença-t-il à écrire, interrompu soudainement par un toquement à la porte.

"Quoi ?" souffla-t-il rapidement lorsqu'il vit son majordome apparaître dans l'encadrement.

Hans fronça légèrement les sourcils et annonça avec hésitation : "Il est encore venu, Maître… Je ne sais plus quoi lui dire…"

"Règle le problème définitivement, dis à la garde de lui interdire l'accès au château." ordonna-t-il, se levant pour brusquement attraper le battant de la porte. Lorsqu'il s'approchait trop près des autres, leurs battements de cœur résonnaient si fort à ses oreilles qu'il éprouvait l'envie de les arracher pour retrouver le silence. Ses doigts serraient d'ailleurs si fort le bois métallisé que ses jointures en devinrent blanches.

Hans se figea un instant, l'air un peu surpris mais aussi un peu peiné : "Entendu… Maître." répondit-il.

Mezhelan repoussa aussitôt la porte pour refermer, avant de tourner la clé dans la serrure.

Cette nuit-là, il fut de nouveau plongé dans le cauchemar.

Il vit d'abord Amos et Soren, tous deux sur les bords d'un grand lac familier, riant ensemble avec des expressions paisibles. Ils ramassaient des pierres plates, les faisant ricocher sur l'eau.

"Papa, regarde ça !" dit joyeusement le jeune homme en se tournant vers lui.

Mais avant que Mezhelan ne puisse répondre, la surface du lac se teinta de rouge. Leurs yeux s'écarquillèrent tandis que des chaînes surgirent des eaux et s'enroulèrent autour de leurs chevilles. Ils chutèrent lourdement et furent tirés en direction des profondeurs sanglantes.

Le démon apparut au même moment dans un craquement sinistre, et sa simple présence rendit le tableau encore plus funeste.

Le père et l'ami en lui voulurent immédiatement les rejoindre, les aider, leur éviter la noyade et l'horreur, mais il fut totalement incapable de se mouvoir bien que les lourdes chaînes autour de lui ne l'entravaient pas. Il ne put que les regarder, impuissant, pendant qu'ils se démenaient pour leurs vies. Leurs corps étaient traînés inexorablement vers le lac, leurs ongles crissant contre la roche et la terre sableuse.

Amos, le visage tordu par la terreur et l'effort, tenta d'enfoncer ses doigts dans le sol boueux, ses bras tremblant sous la tension tandis que des éclats de peau s'arrachaient pour exposer sa chair vive, laissant des traînées de sang à son passage.

À côté de lui, Soren hurlait, mais ses cris s'éteignaient par moments en gargouillis étouffés, la boue s'infiltrant dans sa bouche chaque fois que son visage frappait le sol.

Leurs jambes, écrasées par la pression des chaînes, convulsaient dans des spasmes grotesques, tordues comme si elles tentaient de fuir malgré elles. Et le sol, maculé d'hémoglobine et d'eau stagnante, exhalait une odeur âcre et fétide. Des murmures rauques emplirent aussitôt l'air, émanant des profondeurs rougeâtres comme si la masse liquide appelait d'elle-même ses victimes afin de se sustenter de leurs os.

Les cris de Soren furent les premiers à s'éteindre tragiquement, avalés par la surface du lac dans un silence pesant.

Pendant ce temps, des larmes silencieuses coulaient sur les joues du mage. Pourquoi le torturait-on ainsi ? Pourquoi devait-il assister à ça, encore et encore ?

Et la créature, toujours présente, sembla se réjouir à la simple vue de son visage éploré. Son expression se tordit par une forme de sadisme pervers.

En face d'eux, Amos commençait à se débattre dans l'étendue écarlate, accompagné par des bruits d'éclaboussures et de respirations grossières, luttant tant bien que mal pour maintenir la tête hors de l'eau.

Toutes ces souffrances étaient insupportables à Mezhelan, et en particulier celles de son garçon. Il se débattit pour avancer, mais une force invisible le retenait, et il ne parvint rien de plus qu'à provoquer quelques tremblements dans ses membres : "J'en peux plus ! Je t'en prie, laisse-les… !" cria-t-il dans un sanglot déchirant, ses mains plaquées contre son crâne, tandis qu'une pluie de larmes brûlantes creusait des sillons sur ses joues.

Prochainement : Mezhelan

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