Chapitre VII : Dans les vallons de mousse

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 Clématite huma avec délice l’odeur sauvage de la sève de pin. Elle plongea son doigt dans la goutte qui suintait et l’enfourna.

  • Hum…Délicieux.

 205 voulut sa part et lécha l’écorce avec force claquements de mandibules. Sa cavalière éclata de rire.

  • Gourmande !
  • Chut, lui intima Cerfeuil.

 Il était descendu de sa fourmi et tendait l’oreille. Puis il s’approcha prudemment du bord de la branche et regarda en dessous. Instantanément, il pâlit et ses yeux s’agrandirent. Curieuse et un peu effrayée par le regard du guide, elle le rejoignit et s’agenouilla sur l’écorce. Ce qu’elle vit fit se glacer son sang et balaya toute son assurance. Sa voix trahit sa panique lorsqu’elle souffla :

  • Un Méga !
  • Il monte à l’arbre ! On est fichus !
  • Qu’est-ce qu’on peut faire ?
  • Rien ! Il est mille fois plus grand que nous et bien plus rapide !

 D’un même mouvement, les deux Myrmidons remontèrent sur les fourmis et galopèrent vers le bout de la branche. Les insectes, fatigués par les heures de voyage de la journée, ralentirent bientôt. Une main énorme agrippa alors la branche. Elle leur coupait la route. Une autre main la rejoignit, tenant un livre titanesque. Puis un corps, large comme un tronc, manifestement féminin. Terrifiés et fascinés, les deux petits êtres restèrent immobiles jusqu’à ce que retentisse un coup sourd. Ils tournèrent la tête d’un mouvement unanime. La Méga avait repéré les fourmis. Elle frappait sur la branche dans l’espoir de les déloger. Clématite déglutit. Elle n’avait pas une chance sur mille d’échapper aux effroyables coups de boutoir qui faisaient vibrer la branche.

 205, désorientée, ne l’écoutait plus et secouait la tête pour se débarrasser du harnachement. Le bruit était assourdissant et des éclats de bois et d’écorce volaient de partout. La Méga avait décidé d’exterminer l’insecte importun. Les coups se rapprochaient. Clématite avait perdu Cerfeuil de vue. Elle sauta à terre et tenta de guider sa monture avec son joug. La fourmi se laissa faire. La Myrmidone se recroquevilla pour éviter un éclat qui frôla son épaule. Un autre la heurta dans le dos. Elle tenta d’accélérer, mais renonça vite. Soudain, un coup énorme fit trembler le sol si fort qu’elle fut projetée à terre. Elle crut entendre la voix de Cerfeuil crier son nom, mais à peine se fut-elle relevée que le livre les cueillit, fourmi et cavalière, et les expédia dans les airs.

 « Oh, non, pas encore » songea-t-elle.

 Par chance, elle ne toucha pas l’arbre et la mousse du sous-bois amortit sa chute. Instinctivement, elle se mit en boule, roula, se cogna contre une racine et termina sa course contre un cloporte qui s’enfuit aussitôt.

 Après les quelques minutes nécessaires pour distinguer le haut du bas, elle se leva, grimaça et frotta son genou endolori. Puis elle tourna sur elle-même. Sa fourmi reprenait ses esprits à quelques pas de là.

  • Cerfeuil ?

 Elle fut surprise par sa propre voix, rendue aiguë par l’angoisse. Les coups, là-haut, avaient cessé. Il n’y était donc plus. Ou alors sous forme de crêpe. Elle frémit. Elle avait déjà vu un malheureux scarabée se faire réduire en bouillie par un Méga. Triste spectacle. Les Mégas ne supportaient donc aucun être vivant ? Que les insectes leurs avaient-ils donc fait ?

 Rapidement, elle enfila ses gants à épines et voulut grimper. Un cri la figea.

  • Cerfeuil !

 Son ami venait vers elle d’une démarche mal assurée, souriant.

  • Tu vas bien ? Tu n’es pas blessé ?
  • Un peu. J’ai perdu ma fourmi. Et toi ?
  • Tout va bien. Même 205 va bien. J’ai rebondi comme une balle de toc-feuille. Ces mégas sont décidément très joueurs !

 Il la regarda, surpris, puis éclata de rire. Il s’arrêta brusquement, se tenant le bras.

  • Qu’est-ce que tu as ? Aïe, tu es salement touché, constata la Myrmidone en apercevant la large plaie.
  • J’ai atterri sur un lit d’épines…
  • Assieds-toi là.

 Elle ouvrit la petite pharmacie que 205 portait. Les outils étaient intacts. Avec un coton, elle désinfecta le bras. Ses gestes se firent doux, précis, attentifs. Cerfeuil frissonna quand sa main frôla son épaule, faillit se retourner, mais se retint de bouger. Puis elle banda l’estafilade et se redressa.

  • Voilà, c’est fini, tu peux bouger. Je sens que tu en meurs d’envie. Je vais chercher 339 !

 Elle s’élança sur la mousse vallonnée. Le Guide, pensif, s’allongea sur le moelleux tapis. Il s’attendait à méditer longtemps, les yeux vissés dans le ciel, mais il s’endormit.

  • Ho, Cerfeuil ! Tu dors ?

 Il se redressa d’un bond.

  • Ben non, grommela-t-il, tu m’as fait peur.
  • Oh, excuse-moi, sourit Clématite.

 Elle tenait 339 par la longe. La fourmi avait perdu un sac, mais elle allait bien. Cerfeuil se leva péniblement.

  • Tu pourras repartir ?

 Il grimaça.

  • Pas sûr.

 Mais le chemin n’est plus très long jusqu’à l’orée et l’entrée de Noïter. On peut camper ici. Clématite promena son regard autour d’elle. Les racines de l’arbre formaient de doux vallons moussus qui se dépliaient et se repliaient à perte de vue comme les vagues d’un lac vert. L’endroit était idyllique, en effet.

 La Myrmidone aida Cerfeuil à s’installer sur la fourmi puis, tenant les deux bêtes par la longe, elle chercha un coin dépourvu de mousse pour planter la tente. Quelques collemboles s’enfuirent à son approche. Elle attacha les deux insectes à une branchette et se débattit un moment avec la toile qui refusait de s’arrimer. Plusieurs fois, son Guide voulut l’aider, mais elle le força à rester assis. Le soir descendait lentement le long du tronc. Le froid sur la mousse humide gagnait du terrain et s’infiltrait partout. Clématite remit sa veste. Cerfeuil lui tendit un briquet.

  • On va geler si on ne se réchauffe pas. Mets-toi sur une pierre, sinon le feu ne prendra pas. Tu as repéré du bois sec ?
  • Oui, un peu plus bas. J’y vais, ne bouge pas.
  • Où veux-tu que j’aille ? marmonna Cerfeuil trop bas pour qu’elle l’entende.

 Elle disparut en sautillant dans la pente verte. Il se leva malgré les recommandations de la Myrmidone et piocha une couverture dans le chargement de 339. Il frissonna, s’enveloppa dedans et se réinstalla. Il resta longtemps immobile, fixant d’un regard vide le sillon laissé par Clématite.

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