Chapitre VIII : Châtaigne

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  • Du bois sec, du bois sec, tu parles, ronchonna Clématite, des allumettes oui ! Et encore !

 Elle considéra d’un œil navré son maigre chargement de bois, puis le jeta par terre.

  • Pff...

Monter et descendre sans cesse les pentes commençait à la lasser. Elle s’éloignait un peu trop du campement provisoire, mais elle ne se voyait pas revenir sans une quantité de bois suffisante. Elle grimpa une dernière fois à une racine et admira le couchant. Sa lueur dorée et pourpre semblait réchauffer tout ce qu’elle touchait, à commencer par le cœur de la Myrmidone.

 Elle baissa les yeux et poussa un cri de joie. Une énorme branche à moitié pourrie reposait sur le sol vert. Elle bondit et entama sa descente prudemment ; la pente glissait. Une fois qu’elle eut atteint la branche, elle n’eut plus qu’à arracher des poignées de bois pour se constituer une provision conséquente. Soudain, elle s’interrompit. Un parfum qu’elle connaissait bien lui parvenait. Laissant là son fagot de brindilles, elle suivit la trace odorante jusqu’au vallon suivant.

 Son odorat ne l’avait pas trompée : une châtaigne se dressait devant elle, lisse et superbe. Ragaillardie à l’idée du plat sublime qu’elle allait pouvoir préparer, elle tenta d’attaquer la carapace du fruit avec son couteau vert. Mais elle dut vite se rendre à l’évidence : elle n’était pas même rayée. Il fallait retourner à la tente chercher sa hache. Elle se retourna en maugréant. Ce qu’elle vit la figea sur place.

 Un lézard. L’un des plus terribles fauves que comptait Elakiste. Le reptile la considérait d’un œil gourmand et sa langue tâtonnait déjà à l’extérieur.

 « Rien ne me sera donc épargné... »

 Elle s’efforça de se calmer. Le moindre geste donnerait au lézard l’occasion d’attaquer, et là, elle serait perdue, quoi qu’elle puisse faire. Sans bouger, elle examina les lieux autour d’elle, cherchant un objet utile. Rien. Cerfeuil était trop loin et hors d’état d’intervenir. Elle n’avait même pas d’arme. Son pauvre petit couteau ? Dérisoire, songea-t-elle en voyant les pattes de l’animal, chacune grande comme un lit. Même une lance ou un Dard n’aurait pas suffi. La situation était désespérée. Un lézard contre un Myrmidon désarmé ! Elle aurait ri de cette histoire si ce n’avait pas été la sienne, tant le combat paraissait improbable. Et inégal.

  • Hé, par ici !

 Elle sursauta. Cerfeuil ? La voix lui semblait différente. Elle chercha autour d’elle.

  • Oui, toi ! Prépare-toi à sauter !
  • Quoi ?

 Elle n’obtint pas de réponse. En haut de la pente à l’opposé de celle par laquelle elle était arrivée, une autre châtaigne, qui elle avait encore sa bogue armée de redoutables piquants, commença à rouler. Elle se dirigeait droit vers le lézard. La pente accélérait sa course. Le reptile hésita puis, préférant renoncer à sa friandise plutôt qu’affronter le projectile, disparut avec une rapidité étonnante. Mais la terrible arme filait maintenant vers Clématite.

 Elle n’eut que le temps de se projeter de côté, s’enfonçant dans la mousse. L’énorme masse heurta sa châtaigne, puis s’immobilisa. Clématite reprenait son souffle dans son trou de mousse quand une main descendit jusqu’à elle pour l’aider à se relever. Après une hésitation, elle la saisit.

 Ce n’était pas Cerfeuil. L’adolescent qui la regardait avec un visage inquiet paraissait avoir quinze ans à peine, un regard vif et des cheveux en bataille.

  • Tu n’as rien ? Tu as eu vraiment chaud ! Je m’appelle Pavot, et toi ?

 En effet, il était vêtu de pétales roses-rouges et fripés comme du papier crépon.

  • Heu...Clématite. Dis donc, je te dois une fière chandelle ! Sans toi, j’étais morte ! Comment as-tu fait, d’ailleurs ?
  • Oh, ce n’est pas difficile. Cette châtaigne est coincée là depuis très longtemps, retenue seulement par un bâton. Il a suffi d’un coup de pied. Heureusement que tu n’as pas bougé.
  • Tu connais bien la région.
  • C’est normal, je vis ici. Et toi, qu’est-ce que tu fais là ?

 Elle hésita un instant, mais ce garçon lui inspirait confiance.

  • Je suis à la recherche de ma sœur, elle a été enlevée il y a deux jours. Ou trois.

 Soudain, il lui sembla que cela faisait une éternité qu’elle avait quitté Perchette.

  • Tu es partie seule ?
  • Non, je voyage avec un Guide, Cerfeuil.
  • Il ne doit pas être bon, ton guide, pour te laisser partir seule dans un coin pareil, fit remarquer Pavot avec mépris.
  • Il est blessé, le défendit Clématite, je lui ai interdit de bouger.
  • Vous n’avez qu’à venir chez nous ! Myosotis le soignera. C’est ma sœur.
  • Bon, céda la Myrmidone, je vais le chercher. Je vous ramènerai de la châtaigne !
  • Attends, lui intima –t-il.

 Il détacha de son dos une hache qu’elle n’avait pas vue et frappa sur la coque de toutes ses forces. La fente laissa voir la chair blanche. Il sourit. Elle se rendit soudain compte qu’elle ne l’avait pas encore vu sourire. On aurait dit qu’il le faisait pour la première fois.

  • Merci encore !

 Elle s’éloigna en lui faisant des signes de la main et, pensive, retourna chercher son bois. Elle retrouva facilement le chemin jusqu’au camp.


 Elle trouva Cerfeuil emmitouflé dans une couverture, le regard dans le vague. Il s’illumina en la voyant arriver.

  • Clem ! Tu étais longue, je me suis inquiété !
  • J’ai une bonne excuse, signala Clématite en attachant son bois sur le dos de 205, je me suis fait attaquer par un lézard.
  • Un lézard ?!

 Il avait bondi, terrifié. Elle le força à se rasseoir.

  • Calme-toi, je m’en suis sortie, tu vois. C’est grâce à Pavot...
  • Mais un lézard ! Comment peux-tu...Pavot ? entendit-il enfin.
  • Il m’a sauvé la vie et il nous invite chez lui ! Sa sœur pourra te soigner, expliqua-t-elle en repliant déjà la tente.
  • Bon, je suppose que je n’ai pas vraiment le choix ?
  • Non, en effet, sourit la jeune fille.

 Elle le souleva et l’installa sur le dos de 339, puis monta devant lui. Il s’accrocha à son dos tandis qu’elle attachait 205 à leur selle. La fourmi n’appréciait guère le poids supplémentaire que représentait Clématite et avançait lentement. La nuit était prête à tomber lorsque l’étrange attelage atteignit la châtaigne ouverte. Pavot les attendait là, avec un grand sourire et un panier déjà rempli de morceaux de chair du fruit.

  • Je suppose que tu es Cerfeuil, le fameux Guide ?

 Son ton n’était pas moqueur mais franc, presque admiratif, ce qui surprit agréablement Cerfeuil.

  • Et tu dois être Pavot. Merci encore d’avoir sauvé Clématite. J’ai été incapable de...
  • Cerfeuil ! le réprimanda-t-elle aussitôt avec des yeux sévères, tu étais blessé ! Ne te culpabilise pas pour rien, ce n’est pas toi qui m’a envoyé le lézard !
  • Elle a raison, intervint Pavot. Bon, la nuit tombe, il va falloir y aller.

 L’adolescent connaissait en effet très bien le coin et les guida sans hésitation à travers le dédale de sentiers qui s’entrecroisaient dans la pénombre naissante. Cerfeuil était un peu jaloux de cette connaissance et de ce rôle qui lui revenait, mais il ne put que constater l’habileté de Pavot : il ne fit pas la moindre erreur et leur présenta sa maison avec un large sourire satisfait.

  • Mon humble demeure !

 Il s’agissait d’une noix, posée en équilibre précaire au sommet d’une colline. Trois de ses fenêtres rondes étaient éclairées et projetaient des cercles de lumière sur la mousse. Une cheminée fumait. Les fourmis furent parquées dans une sorte de courette à l’arrière. Pavot toqua doucement à la porte.

  • Myosotis ? Je suis là, je t’amène deux visiteurs.

 La porte s’ouvrit, dévoilant un intérieur chaleureux et une jeune femme d’environ vingt ans, avec une chevelure bleu ciel et des yeux d’or qui paraissaient étrangement vides. Elle sourit.

  • Bienvenue, entrez, dit-elle d’une voix chantante. Excusez le désordre, d’habitude personne ne passe par ici.

 Elle virevolta aussitôt à l’autre bout de la pièce.

  • Elle est aveugle, leur glissa Pavot, mais pour soigner, y’a pas mieux !

 Elle débarrassait une table basse avec une adresse étonnante. Cerfeuil et Pavot s’installèrent sur le canapé en cuir de souris tandis que Clématite s’emparait avec autorité du panier de châtaigne.

  • Je parie que vous n’avez jamais goûté la châtaigne caramélisée à la Gentiane ? Vous m’en direz des nouvelles !

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