Chapitre IX : Le bon chemin

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 Cerfeuil savourait à la moindre bouchée le succulent dîner de Clématite. Il repoussa son assiette. D’où tenait-elle cette recette ? Il faudrait qu’il se la procure. Elle ravissait tous les convives. En face de lui, Pavot plaisantait et riait à gorge déployée. Myosotis, plus discrète, allait et venait sans cesse, de sorte que la table était toujours couverte de bonnes choses. Quand à Clématite...

 Il se tourna vers elle. La Myrmidone discutait avec Pavot, piochant de temps à autre dans le plat devant elle, tout à fait à l’aise. Il éprouva en léger pincement au cœur, mais se raisonna aussitôt. Elle avait sûrement beaucoup d’autres amis chez elle, il ne pouvait pas être jaloux chaque fois qu’elle s’en faisait un nouveau. Qui aurait pu résister à cet enthousiasme débordant ? Il se força à sourire et tendit la main vers le plat. Ce mouvement lui arracha une grimace.

  • Cerfeuil ? C’est ta blessure ?

 Malgré la douleur, il se réjouit que Clématite s’inquiète un peu pour lui. Il acquiesça, les dents serrées.

  • Vous êtes blessé ? Il fallait me le dire ! Venez, venez.

 Myosotis l’entraîna sur une banquette et défit le bandage. Elle effleura la blessure avec des gestes précautionneux.

  • Elle n’est pas très profonde, ça ne devrait pas poser de problème. Pavot ?

 Aussitôt, l’adolescent ouvrit un tiroir et en retira un superbe coffret de bois massif au couvercle marqueté. Sa sœur l’ouvrit, révélant un intérieur doublé de velours violet et divisé en petits compartiments contenant diverses plantes séchées. Une douce fragrance en émanait, qui rappela à Clématite l’odeur de la prairie sèche en été. A nouveau la nostalgie lui pressa le cœur. Myosotis choisit une plante avec un soin infini, la huma, puis la pila en fine poudre à l’aide d’un petit mortier. Puis elle y mêla un peu d’eau, transformant le tout en une pâte verte qu’elle appliqua sur la blessure. La douleur cessa instantanément et Cerfeuil se détendit. Elle cassa ensuite une feuille dans un pot près d’elle et la noua pardessus son cataplasme, ce qui provoqua une délicieuse sensation de fraîcheur. Puis elle remit un bandage neuf. Le Guide se releva. Il ne ressentait plus la moindre gêne et conservait sa totale liberté de mouvement. La Myrmidone aveugle était décidément une infirmière hors pair. Il surprit le regard admiratif de Clématite.

  • Je pourrais apprendre ?
  • Bien sûr, répondit Myosotis, mais il vous faudrait plus de temps. Car vous allez repartir demain, je suppose ?
  • Oui, c’est vrai, reconnut la voyageuse avec un soupir. J’espère que Mauve est toujours...

 Cerfeuil posa la main sur son épaule.

  • Courage. Il y a de l’espoir.

 Elle se dégagea. Il remarqua que ses yeux brillaient. Des larmes ?

  • Tu dis ça à tout le monde.

 Il s’enhardit et lui prit la main.

  • J’en suis persuadé.

 Elle releva la tête. Il avait vu juste.

  • Merci, murmura-t-elle.

 Puis elle toussa et détourna la tête. Pavot se racla la gorge.

  • Vous ne pouvez pas dormir ici, nous n’avons que deux lits. Je suis désolé...
  • Ce n’est pas grave, nous avons une tente, répondit Cerfeuil. Nous...
  • Oh, mais j’ai une idée, s’exclama soudain Myosotis, pourquoi ne pas les mettre au grenier ? Nous pouvons suspendre les hamacs pour eux. Ce sera bien mieux que dehors. Il fait vraiment froid par chez nous.
  • Bonne idée, sœurette !

 Clématite sourit.

  • Merci à tous les deux. Vous êtes vraiment formidables !

 Pavot sourit modestement.

 Myosotis les invita à monter l’escalier. Clématite et elle suspendirent au plafond deux hamacs rouges. Le grenier n’offrait que peu de place à cause des réserves pour l’hiver, et une douce odeur de foin y régnait. Une petite fenêtre laissait voir le ciel maintenant étoilé. Myosotis leur alluma une petite lampe de chevet.

  • Je suis désolée, nous, n’avons que ça pour vous éclairer…
  • Ce sera parfait, Myosotis, merci, la rassura Cerfeuil.

 Elle sourit et descendit l’escalier avec l’aide du Guide qui la tenait par le bras. Puis il remonta. Il trouva Clématite accoudée à la fenêtre, contemplant le ciel et savourant l’air du soir, le regard vissé dans les étoiles. Ses cheveux volaient un peu dans le vent froid. Il hésita à lui parler, mais s’aperçut qu’il ne savait pas quoi lui dire.

  • Nous repartons demain.

 Il sursauta. Était-ce vraiment la voix de Clématite ?

  • Oui. Promis. Nous retrouverons Mauve.
  • Chaque jour que je passe sans elle me paraît vide.

 Il sentit sa gorge se serrer. Des jours passés avec lui…

  • Sauf quand tu es là.

 Elle s’était retournée et lui souriait. Il la rejoignit.

  • Elle te manque.
  • Énormément. Et songer qu’elle est en danger… Peut-être déjà morte…

 Il sentit le frisson qui la parcourut.

  • Je ne pense pas. S’ils ont enlevé ta sœur, ce n’était sûrement pas par hasard. Ils ont besoin d’elle, d’une manière ou d’une autre. Ils ne la tueront pas.
  • Et s’ils veulent un renseignement ? S’ils la torturent ?
  • Et s’ils l’avaient enlevée précisément pour que tu la suives ? Tu y as pensé ?
  • Bien sûr. Mais je ne vois pas en quoi je pourrais leur être utile. Mauve a plus de vingt ans, elle est douée dans toutes sortes de choses. Moi, je ne suis rien de spécial.
  • Tu es Clématite, c’est bien suffisant, rétorqua-t-il. Personne ne t’en demande plus.
  • Quoi qu’il en soit, si j’apprends qu’ils ont fait du mal à ma sœur… Je les étriperai tous un par un !

 Cerfeuil jeta un regard à ses poings serrés. Elle en était tout à fait capable.

  • Hou là, à leur place, je me méfierai, se moqua gentiment Cerfeuil.

 Elle se retourna vivement vers lui. Il crut alors qu’elle était vraiment vexée, mais il aperçut le sourire dans la pénombre. L’instant d’après, il recevait un coussin sur la tête.

  • Je vais t’apprendre, moi !

 La lutte s’arrêta quelques instants plus tard. Essoufflés, pantelants, ils se regardèrent et retinrent un fou rire.

  • Bon, hoqueta Clématite, je ferais mieux de dormir.

 Elle enleva sa veste, puis enjoignit à Cerfeuil de sortir. Elle se dévêtit et enfila une robe de nuit. Elle grimaça. Les nuits ici paraissaient plus froides qu’à Mijoyax, elle aurait dû prendre quelque chose de plus chaud…Puis elle rappela Cerfeuil, déjà en pyjama. Avec un soupir, elle s’étendit dans son hamac et ramena ses bras sous sa tête.

  • Le voyage durera encore combien de temps, d’après toi ?

 Elle n’obtint en réponse que le silence. Elle se redressa.

  • Cerfeuil ?

 Il ronflait. Elle sourit, presque attendrie. Malgré la fatigue, il lui fallut un long moment pour s’endormir tant sa tête débordait de pensées contraires. Les étoiles la regardaient.

 Un rai de lumière se glissa par la fenêtre et toucha la paupière de Cerfeuil. Elle s’entrouvrit lentement, puis battit plusieurs fois. Un instant, il se crut toujours à Futaix, mais le grenier ne lui rappelait rien. Le voyage lui revint brusquement en mémoire lorsqu’il entendit le rire de Clématite résonner au rez-de-chaussée. Il avait l’impression que se lever lui demanderait un effort énorme et n’osa pas bouger, mais finalement ne put pas résister. Il se leva lentement et s’habilla. Un léger sourire flottait sur ses lèvres. Il descendit l’escalier quatre à quatre, mais étouffa encore un bâillement.

  • Ah, Cerfeuil, tu es levé ! Tu as ronflé cette nuit !

 Il sourit franchement.

  • Je ne t’ai pas empêchée de dormir ?
  • Tu plaisantes ? J’ai dormi comme une souche.

 Clématite éclata de rire. Pavot la regardait et posa un doigt sur ses lèvres.

  • Chut, Myosotis n’est pas encore levée.
  • Tu vois, tu n’es même pas le moins matinal.

 Le Guide s’installa à table à côté de l’adolescent qui soulevait un énorme pot de miel. Son amie apporta sur la table quatre tartines grillées.

  • Bon appétit !

 Elle dévorait déjà une crêpe avec un sourire vorace. Un rire fin et musical cascada derrière elle. Myosotis, vêtue d’une superbe robe fendue violet lilas, entra d’un pas léger. Son frère se leva aussitôt et aida la jeune aveugle à trouver sa chaise. Elle fut accueillie avec enthousiasme par un déluge de plaisanteries, qui dura tout le petit déjeuner. L’ambiance rappela à Clématite les repas de famille avec sa sœur et se sentit le cœur lourd soudain. Elle baissa la tête. Cerfeuil, devinant sa peine, lui serra la main sous la table. Elle se dégagea sans le regarder.

 Les adieux furent difficiles. Clématite ne pouvait pas cacher la hâte qu’elle avait de repartir chercher Mauve, mais elle n’en était pas pour autant heureuse de quitter Pavot et Myosotis. Quand à Cerfeuil, il oscillait lui aussi entre amitié et appel de l’aventure. Sa « cliente » n’en finissait pas.

  • Au revoir, Pavot, je n’oublierai pas ce que je te dois ! Et à Myosotis aussi ! Merci encore à vous deux !

 Les deux fourmis ne se firent pas prier pour quitter le petit enclos. Clématite adressa un dernier signe de la main aux habitants de la maison-noix, puis se retourna vers le chemin qui l’attendait. Son Guide la précéda sur la route qui menait vers sa sœur.

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