Chapitre XI : C'est une amie

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 Jamais Clématite n’avait connu pareille tension. L’animal approchait lentement, en reniflant les parois avec circonspection. Elle se crispa quand le museau effleura la terre tout près d’eux en produisant une sorte de grondement déçu, puis la bête avança et elle recommença à respirer. Au bout d’un long, long moment, elle bougea et massa ses jambes engourdies. Cerfeuil rampa sans un bruit vers le tunnel.

  • Elle est partie ? chuchota Clématite.
  • Oui, je crois.

 Il pratiqua une ouverture et se laissa glisser dans le couloir. Clématite entendit sa voix étouffée.

  • Tu peux venir. La voie est libre.

 Clématite obéit, le visage terreux. Autour d’eux, d’autres voyageurs qui avaient suivi le conseil de Cerfeuil émergeaient de la terre avec des soupirs de soulagement.

  • La sécurité laisse à désirer, ronchonna le Guide, Droséra va entendre parler de moi ! Moi qui la croyais trop stricte…

 Comme si elle avait entendu ses paroles, la responsable du tunnel apparut dans l’encadrement de la porte défoncée, accompagnée d’une demi-douzaine d’agents de la sécurité. Clématite regarda cette grande femme, près de huit millimètres, vêtue d’une étrange tenue verte dégradée vers le rouge, et portant une chevelure de la même couleur, rassemblée en chignon, se diriger vers eux. Son visage inquiet se teinta de surprise soulagée quand elle vit Cerfeuil.

  • Mon Guide préféré ! Tu as encore fait des tiennes ?
  • Non, Droséra, cette fois je te jure que ce n’était pas moi ! C’est plutôt toi qui nous dois des explications, non ?
  • C’est vrai. Personne n’a été blessé ? demanda-t-elle à un agent.
  • Pas gravement en tout cas, madame.
  • Parfait.

 Elle baissa la voix et entraîna Cerfeuil à l’écart.

  • C’est incompréhensible. Le système n’a fait aucune erreur, d’habitude la taupe ne s’intéresse jamais à la porte. Je n’aurais jamais pensé qu’elle pourrait la franchir avec une telle facilité !
  • Madame Feuillepercée !
  • Oui ?

 Le Myrmidon qui venait d’arriver glissa quelques mots à l’oreille de Droséra, qui se décomposa.

  • La porte est enduite d’appât à taupes ! gémit la responsable dès qu’il se fut éloigné. On en veut à mon tunnel !

 Cerfeuil resta songeur. D’après lui, c’était plutôt à Clématite qu’on en voulait. Il l’expliqua longuement à Droséra.

  • Mais alors tu pourrais te faire tuer avec elle à tout moment ! paniqua-t-elle. Quelle idée, aussi, un métier aussi dangereux ! Et elle, aller à la maison des Mégas ! Mais elle est complètement toquée ta copine !
  • Ce n’est pas ma copine, et non, elle n’est pas toquée du tout, crois-moi. Elle cherche simplement sa sœur.
  • Qui est-ce alors ?
  • Une cliente, et une amie.
  • Oui, mais son nom ?
  • Appelle-la Clématite.

 Clématite se leva et balança son sac sur son épaule. Le métaupien était enfin arrivé à destination, près du canal séparant Noïter de Cayoulle. Cayoulle était la région la plus au nord d’Elakiste, avec Sablegie. Elle se présentait comme une immense pente rocailleuse, célèbre pour ses éboulis et très peu peuplée. Sa capitale, Granitie, se trouvait en haut de la côte, qui descendait jusqu’à la maison des Mégas. Pour l’atteindre, ils allaient devoir traverser le canal, puis le désert noir qui servait de route aux Mégas. Mais avant, il fallait manger. Elle mourait de faim, et le grognement de l’estomac de Cerfeuil parlait pour lui. Il descendit du train avec elle.

 La foule était moins dense que là où ils avaient embarqués puisqu’on était bien plus loin d’Ocrin, capitale de Noïter.

  • Peut-être allons-nous devoir engager un porteur, nota Cerfeuil en voyant la masse de bagages qu’ils avaient à transporter sans fourmis.
  • Ce ne sera pas du luxe, admit Clématite, où est-ce qu’on peut en trouver un?
  • Fais confiance à l’expert, glissa le Guide avec un clin d’œil.

 Il aborda le premier agent de la gare qui passait par là.

  • Excusez-moi, savez-vous où je peux trouver Millepertuis ? Le gamin Radicelle.
  • Ah, il est sûrement à l’entrée avec Menthe, tout à l’heure je les ai vus à la porte.
  • Merci.

 Cerfeuil se retourna vers Clématite, l’air triomphant.

  • Tu vois ? Ce n’est pas plus difficile que ça, quand on connaît son monde. Viens par ici.

 Il l’entraîna jusqu’à la grande porte qui permettait de quitter la gare. La Myrmidone sourit en retrouvant la lumière et le vent, qui lui parurent chargés d’une humidité particulière. Assis tout autour de la place qui s’étendaient devant la porte, des enfants, adolescents ou adultes proposaient leurs services sur des étals de fortune. Sans hésiter, le Guide se dirigea avec un grand sourire vers celui d’un jeune garçon aux cheveux blonds, fait rare chez les Myrmidons, accompagné d’une adolescente toute en vert.

  • Cerfeuil ! C’est bien toi ? Ça fait des lustres qu’on ne t’a pas vu par ici ! Comment vas-tu ?
  • Millepertuis, ça fait plaisir ! Plutôt pas mal. Les affaires marchent, ici ?
  • Couci-couça. Tu as besoin de moi ? Ne dis pas non, quand tu viens nous voir, c’est que tu as une idée en tête.
  • C’est vrai. Je te présente Clématite, qui a un objectif particulier à te proposer.

 La Myrmidone s’approcha et serra la main du jeune garçon avec un sourire.

  • C’est ta nouvelle cliente ? Enchanté, mademoiselle. Moi, c’est Millepertuis Radicelle. Vous pouvez m’appeler Mimi, dit-il avec un clin d’œil à l’adresse de Cerfeuil.
  • Et tu peux m’appeler Clématite.
  • Mimi est un porteur professionnel et un ami de confiance. Tu peux tout lui raconter, il sera aussi muet qu’une limace, confia Cerfeuil à son amie.
  • Trop aimable ! Alors, quel est ce projet particulier ?
  • Nous aurions besoin d’un porteur qui accepte de nous accompagner jusqu’à la maison des Mégas. C’est dans tes cordes ? répondit Clématite un peu inquiète.

 Après tout, vu la réaction de Géranium à l'office des Guides, elle pouvait s'autoriser une certaine méfiance.

  • La maison des Mégas ? Cela faisait longtemps qu'on ne m'avait pas parlé d'un défi pareil !
  • Alors tu veux bien ?
  • Si je veux bien ? Il est hors de question que Cerfeuil aille là-bas sans moi ! De quoi j'aurais l'air, après, moins courageux qu'un guide de bas étage ? se récria-t-il en lorgnant Cerfeuil.
  • Et pourquoi vous y allez ?

 Clématite se tourna vers l'adolescente qui venait d'ouvrir la bouche. Son visage doux dénonçait sa timidité, mais son regard luisait de curiosité.

  • Je suis Menthe.
  • Je...j'y vais dans l'espoir de libérer ma sœur Mauve, qui a été enlevée et retenue là-bas.
  • Je vous suis, intervint Mimi en soulevant son sac à dos, dites-moi ce qu'il y a à porter.
  • Je savais qu'il viendrait, glissa Cerfeuil à sa cliente.

 Le porteur les suivit et chargea tous les paquets excédentaires sur son dos avec une application parfaite et sans le moindre commentaire. Puis les trois Myrmidons se rendirent dans la boutique Basilic, les meilleurs sandwichs d'Elakiste d'après Cerfeuil.

  • On va manger sur le bord du canal ? proposa le Guide. Clem, je te promets un paysage comme tu n'en a jamais vu.
  • Je te prends au mot, plaisanta celle-ci, sinon tu devras me rembourser !
  • Je ne risque pas de perdre mon argent, répondit-il avec un sourire énigmatique.

 Le téléphérique les attendait à quelques pas. Cet appareil relativement moderne faisait une liaison permanente entre la gare et le canal de la Paix, ainsi baptisé car il fut ouvert à la navigation pour fêter le traité de paix entre les régions de Noïter et de Cayoulle qu'il bordait, qui se déchiraient depuis longtemps. Le téléphérique datait de la même époque mais il restait relativement lent.

 Clématite resta bouche bée devant le spectacle hallucinant qui se dessinait devant ses yeux. Une berge herbue et fleurie, hérissée de hangars à bateaux, descendait en pente douce jusqu’à des eaux parfaitement lisses qui reflétaient avec précision la ramure des arbres qui surplombaient le canal. L'autre rive semblait démesurément loin, Clématite la percevait à peine, comme une ligne floue et sombre. Des nuages glissaient paresseusement dans le bleu lumineux du ciel, s'admirant dans ce miroir à tel point précis qu'on avait brièvement l'impression qu'un second ciel, comme celui d'un monde parallèle, apparaissait à travers la terre. Des dizaines d'embarcations petites ou grandes sillonnaient les abords de la rive sans troubler la surface, de manière qu'elles paraissaient voler. Quelques feuilles mortes glissaient au rythme d'un tranquille courant. Parfois, une légère brise effleurait le miroir liquide qui se striait alors d'ondes régulières, diffractant les couleurs mêlées du ciel et de la terre en un kaléidoscope éblouissant, et les branches des arbres, jusqu'ici reflétées avec précision jusqu'aux moindres ramilles, se mettaient à onduler comme des serpents. Les embarcations tanguaient et dansaient. Puis le calme revenait et une libellule bleue, étincelante comme un bijou, survolait prudemment la surface immobile.

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