Tendant les pattes loin devant, Birm s’étire consciencieusement : quel délice de sentir tous ses muscles répondre à la griffe et à l’iris. Ainsi Siam viendrait la voir : intéressant… Birm avait un don d’intuition fabuleux et la texture finale de son message l’avait informé de cette décision de Siam avant que lui-même ne soit conscient de l’avoir prise. Un de ses nombreux talents.

Ainsi il allait falloir être rapide, subtile et efficace : aucun problème. Birm avait grandi parmi les deux-pattes et ceux qui vivaient chez elle étaient particulièrement prévisibles. Pour Gérard, par contre, l’inconnue existait. Mais comme la tactique frontale des mâles avait échouée, c’était à elle de solutionner le cas de cet être hostile. Elle décida de l’attendre devant la porte de la maison.

Gérard arrive mollement, la face retroussée (un sourire radieux). Il passe sans s’arrêter devant la mairie fermée pour la nuit et se dirige d’un coup de pédalier vers la maison de fonction du maire. Il jubile : il va remettre en main propre au maire le désaveu de Galniche, la preuve que ses concitoyens ont des sujets de préoccupations plus importants que la couleur du sol du gymnase et que le Gênois n’a pas su les écouter. Désormais, il faudra compter avec l’ARCRC. Ils allaient peser sur la politique locale. Peut-être que sa Parisienne le prendrait moins de haut.

Soudain, il la voit.

Birm savoure les plissements de front que causent sa vue à l’ennemi. Elle est allongée de tout son long devant l’entrée du territoire de ses deux-pattes. Insouciance trompeuse.

Gérard approche, la sacoche serrée sous le bras, la précieuse pétition à l’intérieur. D’un coup d’œil aux alentours, il s’assure qu’une bande de ces satanés chats ne va pas débouler (il n’a plus d’herbe à chat). Rien. Fort bien. Un chat paillasson ne lui posera aucun problème.

Birm se lève, s’étire sans un regard pour l’ennemi. Gérard pose délicatement le pied sur la première marche. Birm s’assied et le regarde immobile, sphinx impassible à l’image de la déesse Bastet, servie par ses pairs depuis l’Antiquité. Il atteint le palier sans encombre.

Là, comme prévu par Birm, il hésite un instant. Osera-t-il déranger Salima, la maitresse du territoire deux-pattes ? Le temps qu’il se ressaisisse, regard perdu en direction de la sonnette sur laquelle il a finalement appuyé, Birm s’est approchée à pattes de velours et lui tourne autour des jambes en ronronnant. Du moins, c’est ce que croirait un deux-pattes basique, mais pas Gérard. Cette tactique pour le faire basculer en arrière manque de réussir. Vif lui aussi, il parvient à écarter les jambes, retrouvant un équilibre compromis. En appui sur sa jambe gauche, et par un mouvement de balancier vers l’arrière, il s’apprête à balancer un magnifique et fulgurant ‘cat-kicking’ quand la porte s’ouvre.

Un « qu’est-ce tu crois pouvoir faire exactement à Mademoiselle Sushi, Gérard ? » glacial retentit dans la nuit claire.

La dite Sushi lève ses deux billes bleus vers Salima sa maitresse, tourne doucement autour de ses jambes, bondit légèrement pour obtenir une caresse sur la tête puis se lèche la patte conformément à son rôle de petite boule de poils toute douce et absolument innocente.