Un allié

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Il est parti. La maitresse câline son petit, alors qu’elle devrait le laisser éprouver la douleur et de cette expérience et repartir plus fort. Une fois qu’elle le repose au sol (« fais attention aux montants de portes. Entre la porte et toi, c’est toujours la porte qui gagne ! »), Birm fait tout de même un détour vers le petit quatre-pattes. Elle passe juste devant lui, et d’une virevolte de queue lui effleure le bras. Un gargouillis de joie lui répondit. « Ss’a, ss’a... ».

Se reconcentrer. La mission. La porte du bureau est lourde. A elle seule, elle ne l’ouvrira pas. Elle évalue la distance à parcourir. Jouable. Et les chats aiment le jeu.

« Ss’a, Ss’a » met donc au point un atelier ludique pour la motricité du quatre-pattes. Elle s’éloigne et lui la rattrape de son déplacement sur les genoux et les mains peu gracieux et pourtant efficace. Ils arrivent ainsi devant la porte. Birm le ressent : ce quatre-pattes n’est certes pas un chat mais une curiosité tout aussi dévorante l’habite. Les différences majeures sont son incapacité à simuler l’indifférence et sa volonté de se bouger pour obtenir ce qui l’intéresse. Et là, le petit veut savoir ce qu’il y avait derrière cette porte toujours parfaitement fermée…Il s’assied. Pousse un peu du bout du pied. Puis utilise ses deux mains. Un léger mouvement sans grand effet. Birm se dit qu’elle va devoir trouver une autre solution. Mais le rejeton de Salima est par nature aussi entêté et finaud qu’un chat, il se penche en arrière et se lance mains en avant sur la porte en expirant : la porte s’entrouvre.

Sautant par-dessus Noam, Birm traverse le bureau. Elle saute sur la chaise et utilisant son nez aussi bien que les vibrations d’aura dans la pièce, elle étudie l’empilement de papiers colorés. Une vague odeur d’herbe à chat la met sur la piste ; les mains de Gérard étaient sensiblement imprégnées. Elle trouve le document : un reste de l’exsudat haineux de Gérard s’en échappe encore.

Etre subtile. Sa mission, à elle, a toujours été la subtilité. Tout en surveillant d’un œil aguerri le petit Noam, elle étudie les possibilités. Le document ne peut être volé : sa maitresse serait accusée à cause de son attachement aux animaux. Il doit être détruit.

Ce doit être un accident. Un accident plausible. Birm redescend et miaule pour attirer l’attention de Noam. Celui-ci s’approche. Elle saute sur le bureau en plein sur la pile que surplombe le papier de l’ennemi. Noam veut voir le chat. Il attrape le pied du bureau comme prévu et secoue. Quelle force, se dit fièrement Birm. Elle « tombe », emportant le dossier du dessus et quelques enveloppes vierges.

Noam regarde les feuilles autour de lui. Bat des mains et commence son activité favorite : il déchiquette minutieusement chaque feuille à sa portée. Birm le félicite en se frottant à son dos tout en prenant garde à ne pas se faire agripper par les lestes mains du chaton. Voyant que la boule toute douce ne part pas s’il ne l’attrape pas, Noam lève les mains et reste tout souriant pendant que Birm le caresse de sa fourrure puis lui frotte le menton de sa queue avant de sortir de la pièce.

« Noam, Noam, c’est l’heure du bain », entend-elle.

Ce petit quatre-pattes est une merveille…Il faudra que je veille à ce que rien de fâcheux ne lui arrive, pense furtivement Birm.

Bien vite cependant, elle oublie les humains et se concentre pour envoyer un court message vers Siam : « mission accomplie ». Puis elle va se préparer. Demain, elle reverra son camarade du Terrier.


**


Siam ne se reconnait pas. Il est tendu alors que sa mission du jour est on ne peut plus simple : il s’apprête à féliciter un maillon de la révolution en cours. Rien de plus. Que ce maillon soit la Birmane est pour lui une juste récompense. Elle a tant subi à devoir vivre auprès des deux-pattes, en simulant affection et stupidité, qu’il est juste qu’elle soit récompensée. Le Cercle a décidé de lui attribuer une zone avec une belle veine de manganèse à fleur de grotte pour sa prochaine portée. Les petits seront exceptionnels, des atouts pour la prochaine étape de leur plan. Il est fier d’être celui qui lui annoncera cette distinction. Et sans doute un peu troublé en même temps. Cela revient à lui dire de choisir rapidement un mâle pour s’accoupler. Un choix planifié par chaque femelle du terrier.

Avec des chaleurs synchronisées, les femelles maitrisent leur sexualité. Nul doute que de nombreux mâles seront volontaires pour un accouplement avec la Birmane. Elle est connue pour être très sélective et plutôt discrète : nul n’a su quel mâle a engendré sa première portée. Le mâle siamois a en revanche vu plusieurs mâles blessés suite à des combats pour obtenir ses faveurs. Les grossesses de Birm sont compliquées par sa couverture : elle doit être régulièrement présente chez ses deux-pattes, alors qu’elle devrait passer un maximum de temps au terrier pour profiter de ses vertus particulières. Il se demande pour la première fois comment elle a géré ce point la dernière fois. Une question qu’il évitera toutefois de lui poser.

Plutôt qu’une rencontre au terrier, Siam a décidé de la rejoindre au fond du verger attenant à la maison de ses deux-pattes. Il la sent avant de l’apercevoir. Une odeur enivrante. Elle est perchée dans un pommier tout en fleurs roses pâles, ses pattes blanches reposant souplement sur une branche.

Plus tôt dans la journée, elle s’est offert un bain de poussière, avant de se présenter, penaude, à sa maitresse qui l’a longuement brossée. Son pelage blanc et doré brille de bonne santé. Siam déglutit et lève la tête. Birm saute élégamment au sol. Sa queue grise frôle le museau sombre de Siam. Avant qu’il n’ait compris ce qui se passe, le voilà en train de frotter sa tête étroite à celle plus ronde Birm. La femelle s’éloigne et lui tourne autour. Elle détaille le corps mince, les oreilles pointues aux poils noirs brillants, les mâchoires fines, les longues vibrisses blanches. Siam fait saillir les griffes de ses pattes noires pour montrer sa bonne santé. Birm émet un feulement rauque. Deux paires d’yeux bleus se croisent, un reflet jaune manganèse s’y allume. Leurs vibrisses se touchent. Birm lance une vibration en étirant sa colonne vertébrale.

— Une tanière avec une veine apparente, hum… Nos rejetons vont être redoutables.

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