Un silence qui murmure
Un sifflement. L’air du vent me tire de mon malaise. Je me redresse, la main posée sur mon front, puis regarde autour de moi. C’est peut-être dû à des effets secondaires, mais je n’arrive pas à me repérer, comme si j’avais atterri ailleurs. La forêt a changé. Légèrement apeurée, je me relève et regarde autour de moi. Je reconnais l’environnement, mais j’ai la sensation que tout a changé de place, comme à travers un miroir. Je me mets alors en route, la boule au ventre. Quelque chose n’est pas normal. Je sors mon téléphone. 14H28. Près de deux heures se sont écoulées. Je remarque derrière la coque de mon téléphone, une éraflure dans le creux de ma main. Le sang avait déjà coagulé, ce qui signifie que je ne rêve pas. Mais malgré mon inquiétude, je garde toujours confiance en la nature et je me laisse guider par le vent jusqu’à retrouver quelque chose de familier.
Seulement, là, loin devant moi, se trouve un drôle de personnage, qui semble être une vieille femme, les cheveux gris qui descendent si bas qu’ils effleurent le sol. Elle est recourbée sur elle-même, comme si elle était écrasée par le poids des années. Ou peut-être est-ce dû à l’énorme sac qu’elle porte sur son vieux dos. Elle marche, lentement, à l’aide d’un grand bâton qui la dépasse, formant un cercle à son sommet où se pendent plusieurs babioles au bout d’une corde.
Elle ne m’inspire étrangement pas confiance, mais elle est la seule qui puisse m’aider à retrouver mon chemin. Seulement, à peine ai-je fait un pas qu’un groupe de corbeau me passe devant le visage, leurs plumes rasant le bout de mon nez. Les oiseaux volent jusqu’aux branches au-dessus de moi, pour me fixer comme des vautours et coassent pour m’annoncer un mauvais présage. Je détourne mon regard pour retrouver la vieille femme, mais celle-ci vient de disparaître. Le ciel, devenu menaçant, est accompagné d’un vent arrivant progressivement comme le début d’une tempête. Les arbres s’affolent et les animaux se cachent parmi eux d’un danger imminent. Mais tout ces changements ne sont plus important pour moi et je m’aventure alors dans ce bois désormais inconnu, à la recherche de la vieille femme.
Plus je m’enfonce dans la pénombre de la forêt, plus j’ai l’étrange sensation que les arbres se rapprochent de moi, ajoutant une oppression à tout ce qu’il se passe. J’avance prudemment, en faisant attention de ne pas me prendre les pieds dans des racines ou bien de me cogner contre une branche trop basse. J’escalade ensuite une petite colline, en empruntant un chemin plutôt étroit, mais qui me paraît idéal pour pouvoir avoir de la hauteur et ainsi, retrouver la vieille femme, ou au mieux mon chemin. J’avance toujours en regardant où je mets les pieds, faisant attention de ne pas glisser dans l’énorme crevasse qui se trouvait à ma gauche. C’est après avoir parcouru le terrain quelques minutes que j’entends les feuilles de l’automne craquer sous le poids des pas d’une autre personne. À ma droite, derrière les buissons, se trouve l’inconnue de tout à l’heure, toujours avec son sac imposant sur son dos. Je me rapproche alors, agenouillée pour me cacher, et regarde à travers les feuillages. D’ici, je perçois le vieille femme plus nettement. Son sac est fait d’un cuir miteux, aussi sale que le cadavre d’une bête, cousu de manière grossière, qui laisse apparaître quelques déchirures et ouvertures. De nombreux insectes coprophages virevoltent et se logent dessus, pondant des centaines d’asticots sur son dos. La tenue de la vieille femme semble être dans le même état. Un châle, aussi poussiéreux que troué, lui recouvre les épaules jusqu’aux poignets. Je retrouve en haut du sac, un large morceau de bois qui le transperce horizontalement, où sont pendues des babioles comme pour son étrange bâton. Ces grigris sont de différentes sortes, des petites bourses d’un cuire aussi répugnant que la qualité de son bagage, des pendentifs sculptés finement dans de l’écorce, et des petits instruments d’un blanc cassé, jaunis par l’âge et l’usure, d’une matière que je n’arrive pas à déceler. Mais mon esprit est soudainement préoccupé par une odeur nauséabonde qui venait de se dégager de nulle part, m’obligeant à boucher mes narines avec mes mains.
Les yeux plissés par cette émanation désagréable, j’observe la vieille femme qui n’avait pas bougé depuis quelques petites minutes. Je vois ensuite au loin, un écureuil approcher timidement, progressant parmi les feuilles mortes jusqu’à notre position. La femme lâche alors son bâton qui, étrangement, se tient parfaitement droit, comme si celui-ci était incrusté dans le sol. Elle s’agenouille devant le rongeur pour gagner sa confiance, tend sa main vers lui tout en sifflant légèrement pour l’apprivoiser. L’écureuil semble succomber à son charme, et ne tarde pas à frotter son museau sur ses doigts avant de lui grimper dessus et parcourir le haut de son corps de gauche à droite. J’entends alors la vieille femme rigoler doucement de la situation, tout en se redressant, difficilement de par sa vieillesse. Elle tend les mains, les joints comme pour former un bol et le rongeur vient se poser dans le creux de ses paumes. L’étrangère lui frotte doucement son corps avec les phalanges de ses doigts et commence à lui parler. D’où je suis, je n’arrive pas à décrypter ce qu’elle peut lui dire. Mais sa voix aiguë et grinçante peut témoigner de la vieillesse de cette femme, tout comme ses mains presque cadavérique. J’apprécie cependant la scène, de voir une personne communier avec la nature de manière si apaisée. Après son monologue, la vieille dame caresse ensuite sa tête avec la paume d’une de ses mains, ralentissant progressivement le rythme, et me donnant la sensation que le temps s’écoule beaucoup plus lentement. Le vent avait cessé de souffler et la forêt devint alors silencieuse, comme si elle retenait sa respiration, m’entraînant à faire de même. La main de la femme caresse une dernière fois la tête de l’écureuil, s’arrête à l’arrière de son crâne, et referme délicatement ses doigts sur le visage du rongeur, un à un, comme pour l’envoûter. Et dans une ambiance glaçante, elle tira en arrière la tête de l’animal d’un coup sec, brisant ce silence par le craquement de la nuque et d’un couinement aigu.
Effrayée, je lâche un cri étouffé par mes mains, ce qui l’alerte de ma présence. Je la vois pencher sa tête en avant, lentement, comme un serpent, avant de renifler comme une bête sauvage pour y déceler quelque chose de suspect. Le ton avait changé, et elle semble être devenue une prédatrice. Je recule sans faire de bruit pour fuir ce cauchemar, mais les corbeaux des alentours me trahissent. Et dans un coassement général, la vieille femme et moi nous retournons dans la même direction, elle s’apercevant de ma présence, et moi qui détale le plus loin d’ici.
Je cours, je cours pour ma survie, je cours à perdre mon souffle, je cours sans même faire attention dans quelle direction je vais ni même où je mets les pieds. Les arbres sont toujours aussi rapprochés, et dans ma fuite, je me cogne dans les branches que j’avais réussi à éviter à l’aller. Je sens la forêt m’agripper, comme si elle était complice du crime que je venais d’observer, et que la prochaine victime, ce serait moi. Je finis par me prendre les pieds dans une racine, qui me fait ensuite tomber dans le ravin. Je dégringole la pente en roulant dans tous les sens, pendant plusieurs secondes. Je suis tellement perdue que la chute me semble interminable. Arrivée en bas, je me mets à fondre en larmes à cause de la situation mais aussi de la douleur que je ressens. Je me relève, le poignet droit en main et les jambes tremblantes, puis reprend ma course d’un rythme plus lent. Je suis essoufflée, fatiguée, mais je dois partir sans hésitation.
Après quelques minutes, je retrouve un bois plus illuminé, moins oppressant. Sur le chemin, je retombe sur quelques feuilles du script que j’avais laissé, me rassurant sur mon sens de l’orientation. Je les récupère, les plis puis les range dans ma poche avant de me remettre en marche. J’aimerais crier au secours, mais l’idée de faire de nouveau face à cette sorcière m’effraie, et je décide de continuer mon chemin. Je regarde mon téléphone, 15H12. Mais aucun réseau de disponible pour pouvoir appeler et obtenir de l’aide. Je me remets alors en marche, d’un pas plus assuré, dans le plus grand des calmes. Je me sens étrangement seule, pas d’animaux pour m’observer, pas même le vent pour m’accompagner. Mais je me sens tranquille. C’est alors qu’il me semble entendre les pleurs d’un bébé. Déboussolée, je tends l’oreille, mais rien ne se produit, à l’exception d’un petit murmure qui surgit dans ce silence. Le vent semble m’appeler, à moins qu’il ne s’agisse de la forêt. Les chuchotements reprennent au loin, et je me laisse emporter vers eux, comme un marin guidé par les chants d’une sirène. J’avance, droit devant moi, sans même rencontrer quelqu’un. Le sifflement semble garder ses distances pour ne pas que je le rattrape. Mais soudain, les pleurs d’un bébé reviennent. Ils sont puissants, et semblent provenir de ma gauche.
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