La cabane au fond des bois
À seulement une dizaine de mètres de ma position se trouve une vieille cabane délabrée. J’étais tellement happée par les murmures des bois que je n’avais pas remarqué la présence de la bâtisse. Je me rapproche prudemment, prête à m’enfuir au moindre incident, tendant de nouveau l’oreille, mais absolument rien. Tout semble abandonné. La cabane est assez petite, ne pouvant sûrement contenir qu’une pièce ou deux. Je regarde par la fenêtre pour voir si quelqu’un vit ici. Seulement, la poussière présente sur les carreaux m’empêche de déceler le moindre indice. Je tourne autour de la maison pour y voir quelque chose, toquant aux carreaux pour appeler à l’intérieur, mais aucun signe de vie. Je me dirige alors vers la porte d’entrée, j'avance ma main et effleure la poignée rouillée. Celle-ci est froide et poisseuse, mais quelque chose de beaucoup plus profond m’invite à y pénétrer sans pour autant m’inspirer confiance. Je resserre alors ma main sur l’objet métallique, puis entends subitement chuchoter au loin derrière moi. Le chuchotement, qui était jusque-là accueillant, s’est transformé en un son plus bref et intimidant qu’un claquement de porte. Un frisson me parcourt le corps de haut en bas, tandis que mon sang, glacé par ce que je suis en train de vivre, rencontre cette sensation à contre sens. Une goutte de sueur perle sur mon visage, et je me retourne délicatement en espérant ne pas faire face à quelqu’un. Mais rien. Le murmure avait repris, à la lisière des bois. J’affiche un air de déception, lui demandant de me pardonner pour ce que je m’apprête à faire, et ouvre la vieille porte grinçante de cette cabane perdue au milieu des bois.
À l’intérieur, personne. L’entrée est éclairée par la lumière extérieure et le reste de la pièce par les carreaux poussiéreux. Il fait tellement sombre que je vois à peine les murs du fond, permettant à n’importe quoi de s’y tapir sans être dérangé. L’intérieur semble être meublé d’une table en bois et de quelques chaises, toutes bancales. À droite de l’entrée se trouve également un vieux poêle, évacuant la fumée par une petite cheminée, et une armoire assez grande pour ranger des balais ou d’autres outils. J’avance d’un pas léger, le plancher grince bruyamment sous mes pieds. Je sens un fin courant d’air frais passer au niveau de mes chevilles, provenant du fond de la pièce. Après seulement quelques pas, j’entends derrière moi la porte grincer légèrement, avant de se refermer brutalement. Le vent certainement. Mais je me retrouve désormais dans la pénombre, au milieu d’une pièce lugubre et froide, sans parler de l’odeur de renfermé qui émane de la maison. Tout est poussiéreux, donnant la sensation que plus personne n’habite ici depuis plusieurs dizaines d’années. Au fond de la pièce se trouvent trois portes. Une sur la droite et deux côte à côte sur le mur qui me font face. Comment était-il possible d’avoir autant de salles dans une si petite cabane ? En avançant vers l’une d’elle, je manque de trébucher sur un anneau fixé au sol. Il s’agit de l’entrée d’un sous sol, permise par une trappe. Je n’y prête pas attention, et tente d’ouvrir la porte la plus à gauche. Cependant, cette dernière est totalement verrouillée, et je passe à la suivante. Cette pièce semble servir de chambre. Un vieux lit fait de paille, moisi par le temps, recouvert d’un drap miteux, troué par les verres. Aucun autre meuble n’est installé dans la pièce, ce qui me désintéresse totalement.
J’enchaîne par la suite avec la dernière porte. Avant même de rentrer, une forte odeur de putréfaction s’en dégage. J’hésite quelques secondes, mais ma curiosité l’emporte sur ma raison, et je pénètre dans l’inconnu. À peine la porte est entrouverte qu’un essaim de mouche fonce sur mon visage, me faisant crier de peur et un horrible spectacle s’offre ensuite à moi. Ici sont pendus au plafond divers animaux. Chat, écureuil ou lapin, dont certains avaient encore la chair fraîche. Sans compter les différentes espèces d'oiseaux qui jonchent les meubles et le sol, m’empêchant de pouvoir faire un pas sans écraser quoi que ce soit. Les murs quant à eux sont recouverts de sang séché, formant parfois des dessins ou des écritures. Dans un coin de la pièce est installé un bureau, différentes fioles de couleurs sont disposées dessus et toutes refermées par un cuir avec les poils encore accrochés, provenant sûrement des animaux morts qui logent dans cette pièce. J’essaie de me rapprocher pour voir ce qu’ils peuvent renfermer, les mouches se posant sur mon visage. Les cadavres au sol craquent comme des chips et je préfère traîner les pieds comme pour éviter de leur faire du mal. Mais l’odeur putride me prend à la gorge et je ne peux faire un pas de plus sans avoir l’envie de vomir. Je sors rapidement de la pièce et prends soin de bien la refermer pour éviter que l’odeur ne se propage. Il ne me reste donc plus qu’une chose à inspecter, la trappe du salon.
Une fois devant, je l’agrippe avec mes deux mains pour la soulever. Mais avant même d’exercer un mouvement, j’entends sur ma droite quelque chose bouger. Ce qui semble être la cage d’un animal est recouverte d’un drap comme pour cacher un secret terrifiant. J’approche lentement ma main vers le drap, tendant les doigts pour le pincer avec le bout de mes phalanges. Plus je m’approche, et plus l’étrangeté en face de moi tremble à ma présence. Je retire le draps d’un coup sec et :
- Нет !
Je fais un bon en arrière. À l’intérieur se trouve un enfant, les cheveux long et gras, un bras tremblant devant ces yeux pleurant d’effroi et recroquevillé sur lui-même au fond de cette cage beaucoup trop petite pour lui. Inquiète, je tente de trouver un moyen de l’ouvrir.
- Rassure-toi, tu n’as rien à craindre, je vais te sortir de là.
L’enfant retire petit à petit son bras, me laissant apercevoir son visage. Un petit garçon, à peine âgé de 10 ans, avec un visage si doux que le mal l’avait épargné, mais terni par la suie et la crasse.
- Нет смысла.
- Je ne comprends pas ce que tu dis.
- Laisse la cage, tu n’y arriveras pas, me dit le garçon, cette fois-ci dans ma langue avec un léger accent.
- Allons, ne dis pas de bêtise.
Je m’agace sur le verrou qui est bien trop solide pour mes mains. Frustrée, je lâche quelques jurons avant d’entendre de nouveau la voix d’un nourrisson. Je détourne le regard de la cage vers la porte qui était verrouillée, cette fois-ci entrouverte.
- Нет, не слушайте их.
Je ne cherche pas à le comprendre et me relève pour me diriger vers la pièce encore inconnue. Un frisson me parcourt le corps, plus déstabilisant que les précédents. Le garçon se jette alors les deux mains sur les barreaux de sa cage.
- N’y va pas ! C’est le diable qui t’attend ! Дьявол ! Alors fuis ! Перейти к ! Перейти к !!!
Mais la tentation était trop grande. Je pousse la porte, grinçant comme le ricanement du malin qui m’attendait dans son entre. Et je ne peux m’empêcher de pleurer. Déstabilisée, je suffoque en espérant me calmer et respirer. Plusieurs landaus fait de bois se trouvent dans cette pièce, et des dizaines de nourrissons pleurent, de faim, de froid et de douleur. Je ne sais absolument pas quoi faire et je pose plus attentivement mon regard sur un berceau au hasard. Je m’appuie contre la rembarre et manque de me couper avec le bois mal taillé. Tous ces lits ont été fabriqués avec des branches trouvées dans les bois marécageux, avec pour seul but de ne pas laisser les enfants dormir à même le sol, délaissant le confort qu’ils pouvaient offrir. Et les enfants que je pensais être des nourrissons, sont en réalité des fœtus difformes, la chair à vif, le cordon ombilical encore présent. Les membres, la tête et même le corps tout entier sont disproportionnés, comme si chaque petit avait été maltraité à la sortie de l’utérus. Les fœtus sont plusieurs par landaus. Des bras sont fracturés, des plaies pullulent, et tous pataugent dans une mare de sang.
Je deviens folle, mon envie de vomir revient. Jusqu’à ce que j’entends un son étrange. Le bruit que fait une éponge humide en s’écrasant contre le sol. Parmi tous les pleurs et les cris de détresse, j’entends quelque chose grogner sous un lit. Tremblante, s'appuyant sur les différents berceaux pour avancer, je découvre avec effroi un être minuscule en train de se débattre sur le sol. Le petit se gratte le visage et le torse avec ses ongles trop long et aiguisé, à l’image des pics d’une lance, comme si son corps le brûlait. Il arrache alors sa peau, laissant des morceaux de chair pourris nourrir les fourmis. Une fois sa transe terminée, il s’arrête. Est-il mort ? Non. Ceci n’était que le fruit d’une mutation. Désormais coloré d’un noir cendré, le fœtus se redresse sur ses quatre membres, une langue bleu ouverte en deux, effilée à chaque pointe, semblable à des cornes qui pendent jusqu’au sol, et des yeux d’un noir abyssal donnant l’illusion d’être absent de leurs orbites. Il se précipite vers moi à une vitesse ahurissante, aboyant d’une voix aiguë terrifiante. Je hurle de terreur et déguerpis dans la direction opposée. Seulement, avant même d’atteindre la porte de sortie, quelque chose me fait trébucher. Je me relève, me retourne et aperçois la créature, toujours prête à me chasser. Je hurle de nouveau avant que quelqu’un me prenne la main et me sorte de là. Le jeune garçon me tire en arrière et referme violemment la porte.
- Aide-moi ! crie-t-il.
Instinctivement, je bloque la porte et impose une résistance avec mon corps. La créature doit avoir une force impressionnante puisqu’elle réussit à légèrement l’entrouvrir. Heureusement, nous réussissons à faire barrage et la bête finit par se calmer, malgré les grognements persistants. Nous reculons tous les deux de quelques pas, ne quittant pas la porte du regard dans l’éventualité où mon prédateur reviendrait à la charge.
- Merci.
- Il faut que tu partes d’ici. Tu n’es pas le bienvenue.
- Mais toi, que fais-tu ici ?
- Ne pose pas de question, me dit-il en me poussant vers la sortie.
Mais avant même d’arriver jusqu’à l’entrée, le jeune me pousse sur le côté.
- Zut, la voilà.
- Mais qui ça ?
- Cht, tais toi ! Rentre là-dedans et pas un mot. Je vais la faire partir.
L’enfant m’ouvre le placard à balais et je me réfugie à l’intérieur. Je me retrouve alors dans le noir complet, mais j’arrive à percevoir ce qu’il peut se passer par la petite ouverture de la porte. La porte d’entrée se met alors à grincer, puis le plancher, amenant un vent glacial par la même occasion. Un pas lourd avance vers le centre de la pièce, suivi de quelque chose de plus léger qui traîne sur le sol.
- Мальчик, nettoie moi cette maison plus vite !
- Je fais ce que je peux. J’étais enfermé dans la cage toute la journée.
- Alors comment fait-il que tu en sois sortie !?
Un coup se fait retentir ainsi qu’un cri de douleur de l’enfant. Au son de la voix, il semble que l’inconnu soit une vieille femme. Serait-ce la même que j’ai suivi plus tôt dans la forêt ? Si c’est le cas, je vais devoir rapidement sortir d’ici. Soudain, je l’entends renifler.
- Qu’est-ce que je sens là ?
- Je, euh…
La vieille femme se dirige vers le placard où je suis réfugiée, avant qu’un grand coup retentisse plus loin dans le fond de la pièce. La personne se dirige alors vers la porte du fond, l’ouvre et semble être satisfaite.
- Oooooh mais que voilà. L’un de mes petits детка s’est transformé en un adorable порониец .
J’entends alors la créature grogner et se débattre. Mais la vieille femme semble garder le plus grand des calmes. Elle ferme la porte des fœtus, puis ouvre la porte d’une cage avec un rire presque sadique.
- C’est ça, gigote autant que tu peux ! Un démon comme toi ne s’obtient pas tous les jours ! ricane-t-elle.
La vieille femme marque ensuite un long silence avant de renifler de nouveau et reprendre son monologue.
- Encore cette odeur infernale. Je suis sûr que cela vient du placard, grogne-t-elle en claquant sa langue puis en sifflant comme un serpent.
- Non !
- Non ? Que caches-tu là-dedans mon petit Мальчик?
- Rien… rien du tout. Je disais non car… il nous manque euh…
- Il nous manque quoi ?
- Il… Je ne sais plus, mais il faut absolument sortir !
Mon corps semble réagir aux paroles du petit garçon, et me précipite vers l’extérieur en ouvrant la porte qui vient se cogner dans le visage de la vieille femme. Mais contre toute attente, mon irruption surprise semble la faire rire au plus haut point.
- Cours ! Cours petit porcelet ! Je vais venir te chercher et t’éviscérer pour être venue dans MA forêt ! Люди леса, приведите мне эту нечестивую девушку, чтобы я мог заставить ее лечь!
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