La nouvelle pondeuse

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*Cling*

  Un son de cloche résonne au loin. J’entrouve les yeux pour voir ce qu’il se passe, mais ma vue trouble m’empêche de discerner quoi que ce soit. Et je me rendors.

*Cling*

  Le son retentit de nouveau, cette fois-ci plus proche. J’entends quelque chose grogner et je me sens tanguer. Mais je n’ai toujours pas la force de comprendre ce qu’il se passe.

*Cling*

  Encore ce son de cloche. Cette fois-ci, j’ouvre plus grand mes paupières. Je suis sur le dos d’une personne presque chauve, de long cheveux blancs pendent de part et d’autre du crâne, comme s’ils avaient été arrachés. Je suis recroquevillée dans une hotte. J’aimerais sortir de là mais mon corps engourdi m’empêche d’agir.

*Cling*

  Un quatrième son, beaucoup plus proche que les précédents. Je me relève et perçois de la lumière à travers le brouillard, comme un phare au loin dans la nuit après une tempête. C’est là que nous nous dirigeons. Je réentends les chuchotements perçus dans l’après-midi, les mêmes que lorsque je me suis rapproché de la cabane. Mais je ressens aussi la même sensation que j'éprouvais au moment d’ouvrir la porte. Je pleure à l’idée de revivre ce cauchemar et je ne peux que gémir pour me lamenter de la situation. Je me ratatine au fond du sac et me sers aussi fort que possible pour me rassurer.

*Splash*

  Je prends une grande inspiration, après un réveil en sursaut par de l’eau que l’on vient de me jeter. J’observe autour de moi pour comprendre où j’ai atterrie, les mains liées au-dessus de moi. Je constate que je suis bel et bien revenue dans cette cabane grâce à la présence du garçon de tout à l’heure. Il me fixe, d’un regard inquiet, comme s’il m’avait repêché au fond du lac. Cependant, je remarque un seau dans ses mains, et à l’odeur que je perçois sur mes vêtements, l’eau qu’il m’a sans aucun doute jetée était loin d’être potable. Le jeune me regarde, sans un mot, presque paralysé par ce qui allait se produire. J’entends ensuite une porte grincer, suivie d’un léger chantonnement et d’un bâton frappant sur le plancher, accompagné d’un bruit de pas et de quelque chose qui traîne au sol. Je reconnais alors la vieille femme de tout à l’heure, le dos courbé, toujours vêtue de son vieux châle poussiéreux, s’avançant au centre de la pièce vers l’enfant. Tout en continuant sa mélodie, elle adresse une caresse sur la tête du garçon qui baisse les yeux à sa venue.

  Le visage toujours trempé, une goutte glisse le long de mes narines, ce qui me fait renifler par réflexe. La vieille femme cesse alors et se mouvoie une fois de plus comme un reptile en déployant son cou en hauteur, avant de pencher son visage vers moi en pivotant son buste. Son visage, constitué d’un vieux nez tordu et crochu, des boutons de chair dispersés sur sa peau ridée de plusieurs siècles et d’un œil aveugle desaxé, affiche un sourire satisfait, autant attendrissant que pervers, laissant apparaître quelques dents, cariées pour la plupart. Elle s’avance vers moi, me laissant comprendre que la chose qui trainait tout à l’heure est en réalité son pied gauche gangrené, noirci par la maladie, et suintant abondamment de pus, laissant une trace partout où elle se déplace. Elle s’approche de moi, se baisse difficilement pour se mettre à genoux, ses seins tombant à mes pieds, puis se frotte les mains avant de les approcher de mon visage, les ongles longs proches de mes yeux. Je les ferme pour vainement m’échapper de cette horreur. Je sens ses ergots sales et abîmés griffer ma tempe, s’entremêlant dans mes cheveux humides, et ses pouces cornés me caresser les joues.

  - Да ! Да ! Un visssage si beau, ssssi pur ! Tu es tellement mignonne, ma jolie, dit-elle d’un ton chaleureux.

  Mais son comportement ne me plaît guère, et je secoue la tête avant de l’envoyer balader.

  - Lâchez moi espèce de vieille folle !

  La sorcière perd immédiatement son sourire, claquant sa langue contre son palais avant de siffler comme un serpent.

  - Belle mais détestable, me dit-elle proche de mon visage en me pinçant le menton.

  Je sens son haleine putride se coller sur ma peau comme un gaz toxique. Ses cheveux gras balaient mes jambes et je ressens des insectes grouiller à l’intérieur. Sûrement des poux et des araignées.

  - De toute manière, je ne suis pas là pour te faire ton éducation. Мальчик reste avec elle.

  Elle se recule, puis se relève avant de reprendre son bâton et de partir dans la salle remplie de cadavres d’animaux, me laissant seule à pleurer sur le sol.

  - Je suis vraiment désolé… Je t’avais pourtant dit de partir.

  Le garçon ! Il est tellement silencieux que j’ai oublié sa présence.

  - Mal’... chik c’est ça ?

  Le garçon fait non de la tête.

  - Мальчик veut dire “garçon”. Je n’ai pas de prénom.

  - D’accord. Alors euh… Je te promets de partir. Je peux même t’emmener avec moi. Libères moi, je t’en prie ! lui dis-je en chuchotant.

  - Je ne peux pas. Tu appartiens à la maison.

  L’enfant accompagne ses mots en pointant ce qui semble me maintenir les poignets. Ce que je vois est ahurissant. Je suis ligotée par les planches qui servent de mur à la maison, comme une excroissance. Il m’est impossible de bouger.

  - Comment puis-je m’enfuir ? dis-je paniquée.

  - Tu ne peux pas, c’est trop tard.

  - S’il te plaît… je t’implore.

  L’enfant baisse la tête, couvrant l’entièreté de son visage avec ses cheveux gras. La sorcière revient, toujours avec le pas lourd, des fioles à la main. Elle revient vers moi, se remet à genoux, et me force à ouvrir la bouche. Je résiste plusieurs secondes, hurlant la mâchoire fermée pour lui dire de partir. Mais mon comportement l’agace et le vieille femme me gifle en guise de réponse.

  - J’en ai marre des pucelles qui se débattent sans cesse. râle-t-elle. Tu m’auras donné du fil à retordre aujourd’hui, mais crois moi, tu n’es pas au bout de tes surprises. J’ai toujours le dernier mot.

  La vieille femme me présente la paume de sa main, une poudre coloré en son centre, avant de souffler son haleine fétide pour me projeter le contenu au visage. Surprise, je ne peux m’empêcher d’inhaler les particules, et je sens les muscles de ma mâchoire s’ouvrir douloureusement, malgré ma réticence. Je crie, la gorge nouée. Ma langue semble anesthésiée. Du coin de l’oeil, je peux voir la vieille femme sourire et s’approcher de ma bouche pour analyser ma dentition. Celle-ci passe ses ongles crades sur certaines de mes dents, avant de m’annoncer enjouée :

  - Un corps en parfaite sssanté. Une fois que je n’aurais plus besoin de toi, je pense t’en arracher quelques-unes, rigole-t-elle.

  Mais son rire fut rapidement coupé. Sans comprendre ce qu’il se passe, je l’entends renifler près de mes lèvres.

  - Не говори мне…

  Elle avance son vieux nez crochu dans ma bouche, rappant contre ma lange, avant de se reculer et de glisser peu à peu ses mains sur mon corps, jusqu’à s’arrêter au niveau de mon estomac. Elle le caresse quelques seconde puis s’écrie :

  - Конечно ! Tu attends un petit !

  Cette nouvelle semble l’exciter, au point où elle me lèche le visage de sa langue fendue en deux, aiguisée comme celle d’un serpent.

  - Non ce n’est pas possible… dis-je déboussolée.

  Mais quand aurais-je pu ? Cela fait des mois que je n’ai pas eu d’aventure avec quelqu’un. Les larmes me montent encore une fois.

  - Tu es dans le déni ma pauvre fille.

  Ma mâchoire se débloque, et je m’effondre à l’annonce de cette nouvelle. Toutes ces informations, toutes ces horreurs, j’en ai la nausée. Que pourrait-il m’arriver de pire aujourd’hui ?

  - Oh ne t’en fais pas mon enfant. Tu n’auras pas à t’en occuper. Je vais prendre possession de ton corps et achever la grossesse comme il se doit.

  La sorcière continue de me caresser le ventre, que je sens gonfler petit à petit, comme s’il reprenait sa forme initiale. Enceinte. Je suis enceinte ! De facilement six mois !

  - Mais avant, je vais voir comment le petit se porte.

  Elle sort un flacon de son vêtement, rempli d’un liquide gluant et visqueux qu’elle déverse sur ses doigts. Puis, elle soulève mon haut et colle le bout de ses ongles.

  - Respire profondément, si tu ne veux pas me rendre la tâche difficile.

  Elle insère alors ses griffes dans ma chaire, lentement et profondément. De par la douleur et la terreur, je gémis et lui supplie d’arrêter. Je sens ses doigts bouger dans mon corps, au milieu de tous mes organes. Et après quelques secondes qui m’ont paru interminables, je sens l’expression de la sorcière se changer. Elle grogna, claqua sa langue toujours suivi d’un sifflement, avant de rebouger une dernière fois ses doigts. Et dans un rugissement, la vieille femme retire sa main violement, m’éviscérant par la même occasion l’intestin, avant de me gifler brutalement.

  - Espèce de catin ! Trainé ! Petite pute ! Tu n’as même pas été fichu de le garder en vie ! me hurle-t-elle.

  J'aperçois des larmes couler sur ses joues, comme si elle venait de perdre son propre enfant. Je pensais me réjouir de la faire souffrir, mais cette nouvelle me fend étrangement le coeur. Comme si je l’avais toujours perçu. Tout en grognant comme un animal, la sorcière se gratte alors la tête se faisant perdre les cheveux.

  - Думайте, думайте !

  Elle continue de se gratter au point de se faire saigner. Des gouttes de sang, parfois accompagnées de morceaux de chair, tombent sur le sol comme le début d’une journée d’averse. Je vois dans le coin de la pièce, l’enfant, se cachant de la sorcière, inquiet de ce qu’elle pourrait lui demander, voire de lui faire subir. Soudain, nous entendons les fœtus de la pièce d’à côté se manifester. Ma persécutrice relève hâtivement la tête, comme si un miracle allait se produire.

  - Мои детки !

  Elle se muni de son bâton et file directement vers la pièce d’où proviennent les pleurs, avant de s’arrêter juste à la porte. La vieille s’affale dessus, soupirant comme rassurée par ce qu’il venait de se produire. Elle se retourne vers moi, tel un cobra vers sa proie, et me dit dans un coin sombre de la pièce, arborant un sourire que seul le diable pourrait embrasser.

  - Je vais te donner l’un des miens. ricane-t-elle. Мальчик va m’en chercher un. N’importe lequel !

  - Mais бабушка ! C’est horrible de faire ça !

  - Бабушка ? Qui traites-tu de grand-mère petit effronté ? Je suis ta mère ! Ta мать ! répond la vieille femme en le punissant d’un revers de bâton.

  Comment ce garçon peut-il être le fils de cette vieille sorcière ? L’a-t-elle enlevé ? Elle s’acharne alors de nouveau sur lui en le frappant à chaque nouvelle phrase.

  - C’est pour ça que j’ai toujours aimé avoir des filles. Tes sœurs au moins ont compris l’importance de notre travail ! Crie-t-elle en le frappant à chaque seconde qui s'écoule.

  - Tu as toujours traité les filles différemment des garçons… gémit-il douloureusement, recroquevillé par la torture.

  - Toi et tes rares frères vous n’êtes bons qu’à grandir pour attirer des pucelles.

  - La plupart sont morts…

  - Ferme là ! rugit-elle en lui assénant un dernier coup. Obéis, si tu veux vivre, gronde-t-elle.

  Le petit garçon se relève en pleurs, titubant, les mains sur son corps endoloris, et pénètre dans l’une des pièces maudites. Quant à la sorcière, elle se rapproche de moi. Je la dévisage par peur de me faire battre.

  - Chhhhht. Détends-toi, me dit-elle en toquant contre le mur. Tu voulais voir ce qu’il y avait sous la trappe ? Et bien tu vas être servie.

  Je sens mes liens glissés contre mes poignets comme une horde de couleuvres dérangées dans leur sommeil. La vieille femme m’agrippe par les cheveux, et me tire jusqu’au centre de la pièce. Je hurle et me débat de toutes mes forces pour me sortir de son emprise. J’appelle à l’aide, le petit garçon, à l’extérieur. Mais je sais que c’est peine perdu. J’entends alors la trappe s’ouvrir lourdement. Au son, je devine le poids de celle-ci, et il est invraisemblable que la sorcière ait pu l’ouvrir seule. Une créature se met alors à gronder dehors, secouant la cabane de sa simple voix et me donnant la sensation de chuter dans le vide. À bout de nerf, la vieille femme frappe le sol à plusieurs reprise avec son bâton pour stopper la secousse et lui vocifère ces mots :

  - Silence stupide piaf ! Tu es ma Дом désormais. Alors tu m’obéis et tu la fermes !

  Elle grommelle quelque chose puis descend les escaliers, toujours en me traînant derrière elle. Je me cogne à chaque marche, criant à chaque nouvelle douleur, tout en la l’insultant et suppliant de me libérer. Arrivée en bas, je me sens léviter jusqu’à une table de pierre froide. La pièce est dans l’obscurité totale, la plus poisseuse, humide et malodorante de toute la cabane. J'entends geindre des rongeurs dans les différents coins de la pièce. À peine suis-je installée que quelque chose de vivant siffle et s’enroule autour de mes poignets et de mes chevilles pour me ligoter. En tournant la tête, j'aperçois la sorcière allumer des chandelles sans même les toucher. Une fois la pièce un minimum éclairée, j’entends crisser des outils métalliques qu’elle frotte les uns contre les autres avant de me rejoindre. Elle me caresse le front en arborant un sourire mielleux, contrastant avec tout ce qu’elle m’avait fait subir précédemment.

  - Je suis terriblement désolée. C’est sûrement à cause du Лихо que tu as perdu le bébé. Je hais ces saloperies.

  J’entends ensuite des pleurs, sûrement le garçon ramenant l’un de ses fœtus difformes. Malgré sa compassion, la sorcière me plante délicatement la lame glacée d’un outil dans le bas du ventre.

  - Je vous en supplie, arrêtez, je ferais ce que vous voudrez, je vous l'implore !

  Mais la vieille femme de réponds pas. Je pleure de ce calvaire interminable. Plus l’opération avance, plus je hurle de ce cauchemar atroce, plus j’entends les pleurs du foetus s’imposer, plus, au plus profond de moi, je sens le regard perfide et le rire satanique de cette femme me posséder.

  - Tu seras ma nouvelle pondeuse, me chuchote-t-elle en me caressant les cheveux pour me rassurer.

  La sorcière me caresse ensuite le ventre et commence la torture. Une fois le bas de mon ventre ouvert, je sens la lame encore froide se retirer délicatement. Je la sens m'écarteler le ventre avec ses ongles, et retirer quelque chose de lourd dans mon corps. Sûrement mon bébé que je venais de perdre. Je tente désespérément de redresser ma tête pour le voir, juste une fois. Mais il n'y a rien à faire, je suis cloué sur cette putain de table.

  - Mon bébé. Je vous en supplie, rendez-moi mon bébé. 

Puis, les ongles de cette sorcière écartent délicatement les bords de la plaie pour ensuite sentir un corps chaud rentré en moins. Les pleurs mêlé à mes cris de peur et de douleur se faisaient de plus en plus fort puis finissent par s‘étouffer.

  Et puis, plus rien.

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