La porte
Résumé des chapitres précédents : Franck est un spéléologue spécialisé dans les explorations dangereuses. Il a été sollicité par son ancienne compagne Marie pour sécuriser une grotte dans la mine de Naïca au Mexique. Le passage qui a conduit le groupe constitué de Juan, Miguel, Franck, Julie et Marie dans une cavité inconnue s'est effondré.
Il entendit Marie marmonner quelque chose les dents serrées dans son masque. Elle était toujours allongée par terre. Sa respiration rapide recouvrait lentement la visière de son masque de buée. Il s’assit à côté d’elle.
- J’ai failli mourir Franck. Vraiment, cette fois, dit Marie en fixant d'un regard vide le boyau effondré
- Mais tu es toujours là.
- J’ai cru que j’allais y passer, comme au Trisou.
Tout son corps tremblait, l'ancienne sportive savait qu'elle avait eu de la chance.
- Tu avais une jambe cassée, c’était quand même autre chose, essayait-il de la rassurer sans trop y croire. Et puis il y a une équipe de mineurs de l’autre côté du mur, ça va bien se passer.
Des bribes de communication leur parvenaient par la radio. L’éboulement avait libéré une poche d’eau qui remplissait rapidement l'autre cavité, l’équipe leur demandait d’être patients. Juan s'assit et se mit à prier en espagnol, en oscillant du buste. Julie faisait les cent pas autour de la colonne. Marie reprenait lentement ses esprits. Franck rassembla le peu de calme qu'il lui restait. Il fit un inventaire rapide du matériel restant : des cordes, des piolets, une torche portable, et une trousse de premiers secours. Malheureusement rien qui ne s’apparentait à une gourde, ni à de la nourriture. Au départ, ils ne devaient pas passer plus d’une heure dans cette grotte. Le retrait des masques n’étant pas possible, il avait paru inutile de prendre quoi que ce soit de consommable. Par une cruelle ironie du sort, ils se retrouvaient pourtant coincés, dieu seul sait pour combien de temps, et Franck craignait que les respirateurs ne se vident rapidement. Il fallait trouver une solution.
Il entreprit d’inspecter à nouveau méticuleusement cette cavité, pour y déceler un éventuel passage salvateur. Rien, pas l’ombre d’une sortie ne se profilait. Seulement un tapis homogène de cristaux sur les parois, et cette imposante colonne triangulaire au milieu. Ils allaient probablement finir asphyxiés dans une mine. Belle conclusion pour une vie de loser, pensa Franck. Marie au moins avait réussi, elle avait accompli quelque chose, elle était quelqu'un. Lui avait suivi sa passion à l’autre bout du monde, loin de sa famille. Il vivait seul, et n’avait évidemment prévenu personne qu’il venait ici, en bon ermite solitaire. Le visage de sa mère lui apparut furtivement, et il eut une pensée stupide qui le fit rire jaune : personne n’allait arroser son yucca.
Franck s’affala contre la colonne avec la certitude que c’était fini. De rage, il frappa trois fois la pierre derrière lui avec l'arrière de son casque. Quelque chose clochait. Il ne sut précisément identifier quoi avant quelques secondes. Dans cette atmosphère étouffante et toxique, la paroi derrière son dos était… fraîche. Vu la taille de la colonne, il était peu probable qu'une rivière souterraine passe dedans. Cette fraîcheur était anormale, mais tout espoir à ce moment-là était bon à prendre. Franck se retourna. La paroi contre laquelle il avait cogné son casque était craquelée comme une coquille d’œuf, et un petit filet de poudre s'écoulait de la fissure, semblable à du sable très blanc. A cette profondeur, ça n’avait pas de sens. Au milieu d’une grotte, ça avait encore moins de sens. Pourtant le sable était là.
- Juan, Juan ! Viens voir
Le cristallographe mexicain s’approcha.
- Est-ce que tu sens que cette poudre est froide toi aussi ?
- Si, Franck, c'est étonnant, vu comme il fait chaud ici.
Juan s'interrogea quelques secondes.
- Il est possible que ce soit un phénomène naturel du à notre présence ou à l'air que nous avons apporté.
- Est-ce que tu connais des cristaux qui dégagent du froid ? demanda Franck
- Hum, la glace, et la neige carbonique par exemple. Les cristaux ici sont des minéraux, ils sont beaux mais inertes, ça ne vient pas de là. Ou alors c'est un cristal que je ne connais pas, se ravisa-t-il.
- C’est ce qu’il me semblait. Donc il y a quelque chose là derrière !
Il donna un coup de poing franc dans la colonne, cette fois un morceau plus gros de la paroi se détacha, et une grosse poignée de sable tomba à ses pieds. Le sable était sec. Au contact de l’atmosphère gorgée d'humidité de la grotte, il se teinta rapidement d’une couleur plus foncée. Franck donna un dernier coup dans la colonne, cette fois une portion importante de la paroi s'effondra. Il fut projeté en arrière par un éboulement de matière qui se déversa sur lui. Le spéléologue finit avec trente bons centimètres d’un mélange de sable et de terre rocailleuse sur le ventre, et émit pourtant un cri de joie. L’éboulement venait de révéler de la lumière.
Miguel entreprit de le dégager, et Marie se précipita pour observer l’autre côté de la paroi.
- Je vois… le ciel
- Impossible, lui répondit Franck, nous sommes à trois cents mètres sous terre
- Regarde par toi-même monsieur j’ai-réponse-à-tout !
Il fallait se rendre à l’évidence, ils observaient le ciel. La moitié de la face du prisme était tombée, révélant des arrêtes presque parfaites, et derrière ces arrêtes, un mélange de sable et de terre. Juan leur fit d’ailleurs remarquer que la profondeur de la terre semblait aller plus loin que la largeur de la colonne, ce qui, encore une fois, n’avait pas de sens. Franck détourna son regard, ferma les yeux, prit une grande inspiration pour s’assurer qu’il n’était pas en train de délirer par manque d’air. Le ciel était bien décidé à rester. Il réitéra l'opération contre une autre paroi du prisme. Logiquement, la terre aurait dû tomber de l’autre côté aussi. La paroi résista farouchement à son poing. Il empoigna sans réfléchir un piolet. Des éclats volèrent aux impacts de l'outil, pourtant il ne parvint pas à percer cette autre paroi. Des plaques de cristaux se détachèrent, révélant une surface lisse comme un miroir, mais noire comme de l’obsidienne. La lumière de sa frontale ne parvenait pas à éclairer cette surface, qui restait noire comme de l’encre. Aucun reflet, rien ne semblait s’en échapper. Ils nageaient en plein délire.
Une série de bips agaçants lui fit reprendre pied dans la réalité. C’était son respirateur qui l’alertait de la fin de sa réserve d’air. Franck eut secrètement espoir que tout cela ne serait qu’une hallucination et qu’il allait revenir à la réalité pour mourir, mais non. Perdu pour perdu, il détacha son casque et entreprit de retirer son masque. Marie hurla dans son micro, ce qu’il ne put que deviner à son expression d’horreur et au son étouffé de sa voix à travers sa visière, puisqu'il n’entendait plus la radio. Lorsque l’air entra dans sa combinaison, une vague de chaleur lui fit instantanément monter le sang aux joues, et la moiteur ambiante se déposa sur sa peau encore fraîche. Il s’attendait à bien pire, l’air avait dû être refroidi par l’ouverture.
Franck prit une grande inspiration, l’air sentait singulièrement bon. Après s’être extirpé du reste de sa combinaison, il se glissa par le passage qui traversait la colonne. Vue de l’autre côté, l’ouverture par laquelle il était passée ressemblait à une porte parfaitement rectangulaire enterrée quelques centimètres sous une surface sableuse, perdue au milieu de l’immensité qui l’entourait.
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