Mathias de Grandvaux
Résumé des chapitres précédents : Juan, Miguel, Franck, Julie et Marie ont émergé dans un monde inconnu dont les jours sont bercés par deux soleils. Par un concours de circonstances obscur, Julie a appris la langue locale. Le groupe s'est ensuite fait capturer par des soldats chevauchant des griffons, qui les ont emmenés vers une forteresse. Tandis que leur ravisseur a tenté de les faire disparaître après plusieurs mois de captivité, ils ont été sauvés par un inconnu nommé Sayur, d'un peuple venant de l'Est lointain. Les voici arrivés à la cité de Vertval, à la demeure de la famille De Grandvaux (Obianne et Barnabas), qui ont commandité leur libération. Ils y découvrent des domestiques centaures, rencontrent le doyen des mages Palil d'Adk, et se voient donner tous la compréhension de la langue locale. Les corps reposés, ce sont maintenant les esprits qui se questionnent.
- Êtes-vous bien installés ?
Âgé d'un peu plus d'une vingtaine d'années, Mathias de Grandvaux avait hérité de sa mère les traits agréables de la famille de Mith, et la stature bien bâtie du côté des Grandvaux. Rasé de près, il passa sa main dans ses cheveux châtains plutôt courts.
- Excellente merci, Mathias, vous nous avez magnifiquement reçus, répondit Franck.
- Mon père tenait à vous faire bon accueil. Je m'assure juste que vous ne manquiez de rien.
- Certains ont le mal du pays, mais matériellement, il n'y rien à redire, nous sommes comblés.
Un court silence se fit, Franck ne savait pas trop comment rebondir. Mathias affichait toujours la même moue suspicieuse que la veille. Il sortit de son fourreau une dague de belle facture et se mit à jouer nerveusement avec : l'échange avec Franck l'intimidait autant qu'il l'excitait. Le jeune homme était un fils de noble, dont les contacts avec l'extérieur étaient limités.
- Excusez ma curiosité, mais êtes-vous un guerrier là où vous vivez ? demanda-t-il. Pourquoi Gidas et mon père vous craignent-ils à ce point ? Vous avez l'air plutôt faible, sans vouloir vous vexer bien sûr.
- Je vous demande pardon ? réagit Franck surpris par la question.
- Barnabas dit que vous disposez de grands pouvoirs, je vous demandais si vous étiez un guerrier dans votre pays.
- Pas vraiment, non, plutôt une sorte... d'explorateur.
- Quel effet cela fait-il d’arriver en terre inconnue ?
- C'est à la fois déstabilisant et grisant. Dans mon monde tout est déjà connu, il y a peu de place pour la découverte en dehors de domaines nécessitant des connaissances si approfondies qu'elles sont inaccessibles au commun des mortels. Et à moi particulièrement. Puis-je vous poser une question à mon tour ? se risqua Franck.
Peu habitué à ce qu'on lui parle d'égal à égal, Mathias se prit au jeu.
- Bien entendu.
- Pourquoi votre père nous a-t-il sauvés ? Qu'a-t-il à gagner dans l'affaire ? Est-ce qu'il ne se met pas en porte-à-faux avec le seigneur de Fort Toral ?
- Il faudra lui demander vous-même, il n'a pas jugé digne d'intérêt de partager cette question avec moi.
- Pourtant vous êtes son fils aîné ?
- Il n'y en a que pour ma sœur ici. Certes je reprendrai un jour les rênes de l'Eserith, mais pour le moment, les égards vont surtout à Nora'Lia.
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
Content d'avoir trouvé un interlocuteur avec qui partager ses états d'âme, Mathias commença à s'ouvrir.
- Je ne sais pas, c'est un tout. Nora a eu droit à un instructeur drak très jeune, elle a un tuteur particulier à disposition. Et puis c'est aussi la façon dont mon père lui parle. Il lui cède beaucoup. Peut-être que je ne réponds pas à ses attentes. Pourtant, je me donne beaucoup de mal.
- J'ai des rapports compliqués avec mes parents aussi, d'ailleurs avant d'arriver ici, je ne les voyais presque plus. Je crois qu'ils n'ont jamais vraiment compris mes choix de vie.
- C'est exactement ça ! Mes grands-parents me parlaient toujours de la grande Unification comme d'une période pleine d'héroïsme et de faits d'armes. J'ai imaginé la grande bataille de Pont-d'Armes toute mon enfance, avec mes soldats de bois. Je n'ai toujours connu que le calme de l'Empire. J'ai l'impression de ne pas être né à la bonne époque, que je ne connaîtrais jamais cette euphorie. Tout est si... plat.
- Qu'est-ce qui vous rendrait heureux ? Est-ce que vous avez vos propres attentes ?
Le regard de Mathias partit dans le vide.
- Je veux avoir mon moment de gloire, quitter les routes sûres de l'Empire, faire quelque chose que personne n'a fait jusqu'ici. Il y a tant de choses enthousiasmantes à faire au delà du protocole. Ma soeur ne s'encombre pas de tout cela, elle va là où son coeur la guide. Et je n'ai pas honte de dire que je la jalouse souvent. Je n'ai pas l'impression qu'elle ait de plus grandes attentes que de chevaucher dans les collines et débourrer les jeunes draks.
- Qu'est-il possible de faire autour d'ici que vous n'avez jamais fait ?
- J'aimerais aller dans les Terres Oubliées. Personne n'y a, dit-on, mis le pied depuis des siècles. Mais mon père me tuerait si je risquais ma vie là bas. Même si cette phrase est un peu contradictoire, je le concède.
- A-t-il besoin de savoir ?
- Oh il le saura. De toute façon, je ne peux pas partir seul, ce serait ennuyeux.
- Vous n'avez pas d'amis à Vertval pour vous accompagner ?
- Quelques enfants de bourgeois qui savent à peine monter.
Il fixa Franck pendant quelques secondes.
- Je pense que vous feriez un bien meilleur compagnon de route.
- Quoi ? Non ! Je ne peux pas abandonner mes amis. En plus je ne saurai rien faire pour vous aider, je ne connais rien de votre monde.
- Dommage, conclut Mathias déçu, votre compagnie m'est sympathique et vous vous disiez explorateur.
L'aîne des Grandvaux fut interrompu par son frère cadet qui venait de terminer une leçon de lecture, et réclamait une escapade à dos de drak. Franck se retrouva à nouveau seul dans son fauteuil de rotin.
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