L'histoire - 27 -
La vie repart. Le domaine est maintenant géré par monsieur Germain et Pierrin intervient pour les rares décisions stratégiques. Les investissements avant-guerre dans l’industrie s’avèrent une très bonne affaire, une maigre consolation devant le trou dû à la répudiation des emprunts russes conservés à tort. Des piles entières de ces papiers sont précieusement conservées, au cas où, complétant ainsi la collection des piteuses opérations de Joséphine.
Les terres demeurent et restent toujours la ressource fondamentale. Pierrin a eu vent des premières machines, pour faucher ou pour travailler les champs. Il essaie d’introduire ces techniques auprès de ses paysans. Un seul l’écoutera, les autres, méfiants et prudents, préférant remugler contre le progrès. La prise sera lente, mais finira par se faire, moyennant le soutien financier du propriétaire. Les rendements augmentant, le mouvement s’étendra précautionneusement.
Pierrin a besoin du grand air ; il aime parcourir ces terres et ces forêts, les améliorer, les agrandir. Il aide ses métayers déstabilisés par la guerre et les familles où les bras manquent. Il se souvient d’où il vient et de ses camarades tombés au champ d’honneur. C’est son devoir. Par ailleurs, il connait toutes les fermes alentour du domaine, les difficultés de chacune. Il prête de l’argent, facilement, à des taux qui suivent les augmentations générales. Quand le cultivateur est trop endetté, Pierrin rachète ses terres, pour une valeur ridicule. Dans ce dénouement délicat, c’est Pierrot, son frère, qui intervient parfois. L’arrivée de la brute ravagée convainc le paysan d’abandonner et de vendre son bien au prix proposé. Quelques drames inexpliqués obligeront Pierrin à calmer les agissements de son frère et à revoir ses évaluations. Une terre sans homme n’est d’aucune utilité. Grande âme, le nouveau maitre garde la famille, en imposant ses conditions. Chacun de ces paysans lésés ruminera sa honte en silence. La rumeur se répandra cependant sur les générosités de monsieur de Jonhac. Quelques articles venimeux, vilipendant ces pratiques, le désignant sans le nommer, l’amèneront à se préoccuper de sa réputation.
— Tu nous as épargné la liste des régiments et des affectations, merci !
— C’est sans intérêt ! Comme ses lettres : elles ne racontent rien. Remarque, il devait y avoir la censure qui limitait pas mal.
— C’est dommage : un beau petit couple qui partait avec tout en main ! Il en est revenu, mais dans quel état !
— Je n’arrive pas à comprendre son véritable objectif pour cette histoire de rachats des terres. Les articles montrent quand même une certaine brutalité. Maintenant, c’est une feuille de catholiques extrémistes qui seront ces ennemis lors des élections…
— Moi, ce que je trouve le plus triste, ce sont les enfants ! Un père absent… Ne me fais pas dire que cela excuse Mathilde !
— Non, bien sûr ! Mais elle n’a que cinq ans quand sa mère disparait dans des conditions terribles.
— Enchaine !
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