Piano de Cabanon
C'était juste un piano. Un piano de salon dont se servait le monde pour créer des émotions. Le pianiste, perché sur son tabouret, se déchaînait sur les touches et libérait les notes. Des blanches, des noires, des fausses. Lorsqu’il appuyait de toutes ses forces sur les pédales, les verres de whisky tremblaient furieusement.
Et il aimait cela.
Le piano aimait quand on maltraitait ses pédales et quand on enfonçait ses touches sans une once de délicatesse. Il aimait qu’on pose toute sorte de chose sur sa caisse. Des verres à moitié remplis, des coudes, des partitions…
Mais, tout comme le pianiste, il s’est fait renvoyer. Stocké dans un vieux cabanon, il prenait la poussière à côté des encriers. Ses touches, asphyxiées par l’oubli n’étaient plus qu’effleurées par de fines pattes d’araignées et, seuls de pauvres vêtements déchirés reposaient grossièrement sur le tabouret. Dans le silence assourdissant de cette pièce trop grande, trop vaste mais trop vide, le piano soupirait, faisant s’envoler la poussière amassée. Puisqu’on n'avait plus besoin de lui, il s’enfermait dans le sommeil. Il dormait pour ne pas penser. Ne pas penser qu’on l’avait oublié. Que pour personne plus jamais il ne pourrait jouer. Sinon, il pleurait. Devant les araignées. Devant les encriers. Alors non, il ne devait plus penser à cette tragique journée. A ce triste jour où comme rétribution, le piano de salon devint piano de cabanon.
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