Le 28 mars 2019
Papa, j'ai tant de choses à dire. Ta mort a provoqué un tsunami chez maman. J'ai découvert le visage d'une personne qui avait le chagrin. Elle tremblait, sa gorge se serrait par l'angoisse, la nourriture ne passait plus, des nausées, des vomissements. L'anxiété s’enracinait et hélas, elle n'est pas partie. Je l'ai vu vieillir sous mes yeux, elle perdait un peu chaque jour son éclat. Tu étais son pilier, elle se reposait sur toi, pour les factures, papiers et tous les tracas du quotidien. Prendre une décision, les imprévus de la vie la plongent dans un sentiment tortueux et la déséquilibrent. Il a fallu qu'elle s'absente un instant, elle voulait appeler le docteur, tu as quitté cette vie pour toujours. Elle n'était pas présente et cela l'a définitivement anéantie et ôter toute sérénité. La culpabilité la rend malade, malheureuse et aucun mot ne la soulage. Elle ne digère pas si bien cela se répercute sur la nourriture. Plus aucun appétit, ni d'envie. La parfaite déprime s'installe avec peu de sommeil et une fatigue constante. Les premiers mois, je ne somnolais que cinq heures, sans éprouver le moindre épuisement, je tenais debout. Je n'arrivais pas à m'endormir, je devais lire une jusqu'à minuit et demi.
Maman ne mangeait presque plus, elle maigrissait, un début d'une spirale permanente. Angoisse, perte de sommeil et de poids, fatigue. Tout me retombait sur le dos, je devais passer au- dessus de mon chagrin. Mon cauchemar commençait par les courses. Lorsqu'elle longeait devant un étalage de viandes bien brillantes sous la lumière, la nausée lui montait, on achetait, mais une fois dans l'assiette, c'était le rejet. Elle ne mangeait que les légumes et encore. Je l'ai vu dépérir sous mes yeux, impuissante. Peut-être que tout le monde disait heureusement j'étais auprès d'elle, mais personne ne se préoccupait de moi. Certes, tu étais présent en moi, tu comptais sur ma force de caractère que tu pensais l'avoir. Tu voulais que je tienne le coup pour elle.
Elle rêve de toi et elle est traumatisée, car elle se rend coupable de ne pas avoir agi comme elle l'aurait dû.
Vivre avec regrets, l'étouffe et l'emprisonne. Les visites chez la psychologue ne font rien. Elle doit faire aussi appel à une diététicienne pour l'aider à reprendre du poids. Perdre sept kilos en peu temps, c'est effrayant. Cela n'a pas été facile, elle a mis au moins dix ans à remonter, mais elle ne sent toujours pas apaiser.
Depuis treize ans, la nourriture le répugne, elle a même renoncé à aliments. Elle remange depuis peu des carottes râpées, elle doit hacher sa viande, son poisson. Je dois me tenter de ça, mais je n'en peux plus, c'est destructeur cette infernale angoisse, rebute et rejet depuis tout ce temps, par moments, je craque. J'ai l'impression d'avoir faim dans mon existence : de pâtisseries, de bons petits plats comme nous faisions. Nous avons perdu cette saveur d'une vie relativement paisible avec son lot de tracas.
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