Chapitre 4

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 Un silence glacial planait sur le bourg, figeant les alentours dans le temps. Les cris des enfants ne résonnaient plus et les hurlements incessants des animaux avaient été remplacés par cette tranquillité et cette paix angoissante. Seuls les piaillements de quelques oiseaux venaient rompre ce tableau mortifiant. Tous s'étaient tournés vers Althéïs, les yeux écarquillés, surpris par cette annonce inattendue. Les quelques personnes les plus proches d'eux montraient leur désaccord, pestant dans leur barbe qu'on ne pouvait pas enfermer la boulangère du village dans ce cachot. Et encore moins une femme.

 Les messes basses s'amplifiaient, et devenaient insupportables, empêchant le monde de penser. La stupeur et l'incompréhension pouvaient facilement se lire dans les yeux de Barthélémy, choqué et surpris par la suggestion de son amie. Dans son esprit, elle aurait pu lui proposer n'importe quel villageois, même le plus pauvre des paysans du village qui n'avait jamais sortit le nez de son étable, mais jamais de sa vie, il ne se serait imaginé qu'elle pourrait se porter volontaire. Une jeune femme si pure et si brave, qui n'avait jamais fait de mal à personne. Il ne pouvait se résoudre à cette éventualité, son cœur se serra. Son souffle saccadé l'empêchait de respirer normalement. Il n'arrivait plus à réfléchir et à remettre ses idées en place, il dut s'appuyer contre un mur de pierre pour ne pas sombrer.

 La jeune femme, qui était au milieu de toutes les conversations, s'approcha du consul et lui prit tendrement la main, essayant tant bien que mal de l'aider à se calmer. Un de ses doigts se positionna sous son menton, les quelques poils rugueux qui s'y trouvaient l'écorchèrent légèrement alors qu'elle lui relevait la tête, plongeant son regard dans le sien. Althéïs était une personne qui avait une certaine emprise émotionnelle sur les autres, qui pouvait faire sourire l'individu le plus malheureux, celui qui avait vécu les pires mésaventures. Cette emprise était encore plus forte sur son vieil ami, et elle le savait. Alors qu'il soutenait son regard, sa respiration se cala sur le rythme de celle de la boulangère. Après quelques minutes, il se ressaisit, remerciant sa fidèle amie pour son aide, mais celle-ci ne perdit pas une seule seconde pour remettre sa candidature sur le tapis.

 — Alors ? Que pensez-vous de ma demande ?

 — Althéïs, savez-vous seulement ce que cela signifie ? Savez-vous ce que vous allez vivre si nous vous envoyons là-bas ?

 Un sourire, qui se voulait réconfortant, se dessinait sur ses fines lèvres, elle plaça une main sur son épaule et la pressa affectueusement. Althéïs lui fit un signe de tête approbateur, bien sûr qu'elle savait ce qu'elle allait vivre, là-dedans, elle le savait depuis qu'elle était toute petite. Élevée par une famille, dont la foi en Dieu était indéniable, son éducation avait été centrée autour de toutes ces pratiques religieuse, et plus particulièrement sur celle de la recluserie.

 Depuis plusieurs centaines d'années, il était de coutume d'enfermer une âme dans cette petite cabane. D'après les anciens, la personne qui s'y trouvait pourrait veiller sur la ville, voir, au loin, les assaillants et prier pour repousser l'ennemi. Cette personne resterait enfermée jusqu'à sa mort et serait rapidement remplacée par un nouveau prétendant. Seules les personnes résidentes dans le village et celles qui étaient de bonne vie et mœurs pouvaient prétendre à cette place. À la suite de la grande cérémonie, la famille de l'élu était anoblie, c'était la seule manière qu'ils avaient trouvé pour les remercier de la vie qu'ils avaient sacrifié.

 La gente masculine était privilégiée, étant plus résistants et plus fort que les femmes, ils survivaient en général quelques années de plus. Les femmes étaient écartées pour des raisons que tout le monde semblait ignorer, alors qu'elles étaient apparentes. La vocation de la femme était d'enfanter pour perpétuer les lignées, effectuer les taches ménagères, rien de plus. Comment un esprit si peu dégourdit et si singulier pouvait prétendre à protéger une ville ? Et pourtant, malgré ces jugements, une femme avait eu l'honneur d'y être choisi, une femme qui ne ressemblait en rien aux autres.

 Elle avait rejoint les rangs de la recluserie au siècle dernier, Althéïs avait étudié l'histoire de sa vie et la connaissait sur le bout des doigts ; la jeune adolescente qu'elle était avait toujours admiré cette vieille dame au courage démesuré.

 Cunégonde Dupont, vivant, comme son nom l'indiquait, près du pont du bourg, fut la première femme à entrer dans ce lieu tant convoité. Du haut de ses quarante-cinq ans, elle faisait partie des doyens du village, ceux qui étaient sur la dernière ligne droite de leur existence. Elle était grande d'environ cinq pieds, ce qui était très petit pour l'époque, ce qui faisait d'elle la plus petite dame du bourg. Tout le monde la connaissait pour sa générosité et sa grandeur d'esprit. Souvent vêtu d'un linge aux couleurs surprenantes, qui mettait en avant ses hanches généreusement développées, elle aimait se balader dans les rues pour répandre la bonne humeur et la joie de vivre. Ayant failli à la tâche confiée à chaque femme, donner un enfant à son époux, elle ne se voyait pas finir sa vie autrement qu'en sacrifiant son existence pour le bien de son prochain. À la grande surprise générale, elle vécue une année, ce qui semblait être impensable pour une femme, la moyenne était de trois ans. Elle avait succombé en plein milieu de l'été, sa vieille peau ne put résister aux fortes chaleurs estivales. Elle avait été retrouvée l'épiderme flétri et totalement déshydratée. Paix à son âme.

 Althéïs était plus déterminée que jamais à être la deuxième femme qui aurait l'honneur d'être recluse. Elle voulait suivre les pas de la grande Cunégonde et elle savait qu'elle en était. Ses convictions étaient plus fortes que tout et elle était persuadée qu'Il serait derrière elle pour la protéger et le maintenir en vie aussi longtemps qu'il le faudrait.

 Toujours le regard vide, Barthélémy admirait la blondinette qu'il avait en face de lui, il pouvait lire la dévotion dans ses yeux d'un bleu d'azur. Il éprouvait de la fierté mélangé à une forte inquiétude, ses émotions étaient totalement bouleversées et il ne pouvait porter un jugement logique et réfléchi. Elle semblait si heureuse, si enthousiaste à cette idée. Comment lui imposer un refus et dire au revoir ce beau sourire angélique ? Malgré son envie d'approuver son choix, il sentait que quelque chose, au fond de son âme, le bloquait.

 — Althéïs, ma très chère, Althéïs. Êtes-vous certaines de ce que vous avancez, voulez-vous réellement être enfermée pour le restant de vos jours dans ce cachot ?

 — Cette cabane est loin d'être un cachot, elle est la promesse d'une nouvelle vie, accompagnée par le grand Seigneur. Je l'entends, je sais qu'il sera là pour me protéger. Faites-moi confiance, Barthélémy. Je ne faillirai pas à ma mission.

 — Très bien, conclut-il.

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