Chapitre 11
Elle rasait les murs incurvés, froids et rocheux en sachant pertinemment où se rendre. Aucun Éminents en uniforme bleu n'avaient prit la peine de se poster devant la porte de l'étage dédié aux Servants, ce que Nayala trouva étrange.
Arrivée en haut des marches de l'escalier "1—2", Nayala entrouvrit la porte sans se faire entendre par les deux Gardes qui passaient devant. En patientant suffisamment, elle avait eu un lapse de temps où, à toutes jambes, elle put s'élancer vers le jardin sans se faire remarquer.
Le lieu en lui-même ressemblait d'avantage à une forêt dense et luxuriante qu'à un simple jardin. Plutôt que de prendre bêtement un chemin, potentiellement occupé par les habitants de ce palier, Nayala profita de son agilité et grimpa en hâte dans l'un des arbres dont le nom lui était inconnu. Elle se laissa quelques minutes pour reprendre son souffle, dissimulée par les feuilles, afin d'établir une stratégie.
Elle regardait les passants se balader tranquillement sur le sol sableux, fleurs en mains, et réfléchissait aux changements de comportement des individus entre les deux niveaux. Pendant que les Servants suaient, couraient, hurlaient, ceux d'en haut se pavannaient, s'évantaient et conversaient joyeusement. Des Eminents, vêtus de différents uniformes s'affairaient mais toujours dans le calme ambiant de l'étage.
La réalité lui sauta violement en pleine figure. Qu'allaient faire tout ces inconnus si elle se faisait débusquer ? Malgré sa détermination, le stress s'empara de son corps. Nayala avait le souffle court, elle manquait d'air et haletait, ses doigts recroquevillés sur son coeur. Celui-ci battait bien trop rapidement et trop fortement. Inspirer devenait douloureux. Se concentrer était difficile. Tout allait soudainement trop vite sans qu'elle n'ait d'emprise dessus. La jeune femme, accroupie sur une épaisse branche, tapota sa flûte à la recherche d'un peu de soutient.
Soudainement les mauvais souvenirs refirent surface. Nayala se voyait dans la rue à mendier, sans pouvoir se défendre, puis chez Yélé, incapable de se faire des amis et face à l'homme masqué, ne pouvant protéger le seul homme qu'elle considérait comme sa famille. D'un coup, les doutes l'assaillirent, elle ne se sentait plus assez forte pour ce qu'on lui demandait d'accomplir.
L'esprit de la jeune femme pensait trop vite, mais deux questions revenaient :
Venait-elle d'entrée au seconde étage dans un élan de colère pour aider une inconnue ?
Venait-elle réellement de risquer le sauvetage de Yélé ?
La réponse à toutes ces questions, qui tourbillonnaient dans son esprit, fut la même pour toutes : Oui.
Oui, elle venait de risquer le sauvetage du vieil homme mais pour une personne dont le corps était recouvert de bandage. Même inconnue, elle ne méritait pas de souffrir dans de telles conditions. Yélé n'aimait pas que Nayala aille voler mais il serait fier de la voir ainsi aider une personne impuissante.
Oui, elle venait de franchir la porte du second niveau et, aussi idiot qu'avait été son action, elle y était arrivée sans soucis. Alors qu'une journée entière ne lui avait pas suffi pour créer un plan suffisamment viable pour être utilisé.
La jeune femme risquait certes d'être découverte et, bien que l'idée ne l'enchantait pas, elle se préparait au pire d'une certaine façon. Si elle devait être en direction des cachots, entourée de Gardes, alors elle crierait tout ce qu'elle avait sur le cœur ! Elle Crierait à l'injustice ! Tout ce que les personnes que Nayala avait rencontré pensaient tout bas, elle, elle le dirait haut et fort ! Une journée lui avait suffit à maudire ce lieu qui, de l'extérieur, brillait tant. Et si elle se retrouvait emprisonnée, pour avoir voulu aider Nora, il lui serait hors de question d'abandonner. Coûte que coûte, Nayala sortirait des cachots, même si elle devait démolir le palais pierre par pierre. Elle trouverait le moyen de rejoindre Yélé !
La jeune femme ferma ses yeux de feu, afin de mieux ressentir cette rage nouvelle qui lui redonna courage, une expiration après l'autre. Toute la cacophonie de son être se calma pour revenir à une parfaite harmonie, qui la laissait maître de son esprit. Nayala canalisa toute cette énergie avant d'ouvrir de nouveau sa vision au monde extérieur.
Elle entendit un petit groupe d’Éminents, vêtues de beaux habits luxueux, passer sous l'arbre, sans se douter de sa présence. La densité de la végétation, qui se perdaient dans tout l'étage, lui permettait de ne pas s'inquiéter d'être repérée. Nayala se promit, le poing serré, d'essayer de ne plus se laisser gagner par la peur. Les Servants ne disaient peut-être pas le fond de leurs pensées mais Nayala était-elle vraiment différente ? Aller jusqu'à se cacher pendant des années pendant que d'autres, se croyant tout puissant à lui dire ce qu'elle était, se baladaient à visage découvert. C'en était fini, l'ancienne mendiante savait qu'elle avait quelques amis sur qui compter, plus besoin d'une capuche !
Elle n'était plus une petite fille mais une femme prête à se défendre. Son séjour ici lui aurait au moins fait prendre conscience qu'aucune personne ne valait mieux qu'une autre, quel que soit son niveau et quelle que soit son apparence.
Grâce à la diversité des plantes et son agilité, Nayala était arrivée sans mal à destination, en passant d'arbres en arbres et en s'aidant de branches assez solides afin de se tenir en équilibre. La réserve était maintenant visible droit devant. Néanmoins elle resta dissimulée par les feuilles. Certaines étaient aussi grande qu'elle. Le plan qui lui était venu à l'esprit était d'attendre que la pièce se vide, en espérant que les Éminents présents décident d'aller manger tous en même temps afin de pouvoir y pénétrer facilement.
Après ce qu'elle estimait être une ou deux heures de patience, personne n'était sorti mais bon nombre d’hommes marchaient dans la même direction. Ils empruntaient le chemin circulaire exempté de verdure qui bordait l'étage. Certains parlaient de repas et s'éloignaient jusqu'à laisser un couloir quasiment désert, où quelques Gardes et autre Éminents rompaient parfois le silence.
En écoutant attentivement, Nayala pouvait les entendre arriver grâce à leurs discussions ou leurs bruits de pas. Deux hommes vêtus de tunique vert foncé – signe distinctif des Botanistes – boutonnée à l'épaule et aux bordures argentées, venaient de sortir de la pièce en prenant la même direction que les autres. Ils n'avaient pas fait attention à la jeune femme cachée dans l'arbre. Pour eux, une telle situation n'était simplement pas envisageable, alors pourquoi lever les yeux ?
Le couloir était à présent vide et personne n'approchaient, mais celle aux cheveux cendrés ne se montra pas impatiente. Nayala savait que deux personnes étaient sorties mais pas s’il en restait à l'intérieur. Sa situation faisait écho à la veille lors de son arrivée au Palais, cachée dans la charrette, coincée, n'osant pas sortir de peur de rencontrer quelqu'un susceptible d'appeler un Garde. Pourtant elle avait dû partir avant que la pièce ne se remplisse à nouveau.
Elle opta pour la même stratégie qu'à ce moment. Si quelqu'un se trouvait à l'intérieur, Nayala l'endormirait avec une musique.
A présent, il fallait agir.
Son visage toujours dissimulé par les tissus, personne ne pourrait la reconnaître. Elle devait se dépêcher. Sans connaître l'intérieur, savoir ce qu'y pouvait s'y trouver lui était impossible. Aussi allait-elle devoir être observatrice et réactive. Des murs pourraient cacher des individus ainsi que bon nombre d'imprévus. Son plan était, qu'une fois entrée, elle jouerait directement tout en observant la pièce afin d'endormir tout Éminents présents.
Nayala était descendue, telle une acrobate, de l'arbre. Un craquement l'a fit s'immobiliser mais rien ne se passa. Le bruit devait provenir d'une des branches sur lesquelles elle s'était appuyée. Une fois son tissu de tête tiré en avant sur son visage, elle avança. Une oreille plaquée contre la porte, elle se concentra, tout en restant aux aguets, sur le moindre sons provenant de l'autre côté.
Rien.
Nayala ouvrit la porte coulissante le plus silencieusement possible, sans égaler la grâce de Nora, puis entra à pas légers, en délogeant sa flûte de sa cachette. Toujours aucun mouvement mais, comme prévu, elle avait entamé un morceau doux et lent. Son esprit imaginait les notes parcourir librement l'espace dans une pluie d'étoiles argentées.
L'endroit était plus épuré que prévu, une marche qu'elle monta sans mal, séparait l'entrée du reste du lieu. Sur les murs, des centaines de livres servaient de décor et, au centre, deux grands bureaux en bois massif qui étaient encombrés d'une multitude de papiers raturés. Après un rapide coup d'œil, Nayala devina qu'il s'agissait de formules complexes dont elle ne chercha pas à saisir le sens. Ainsi que des listes de plantes avec des noms qui lui étaient, encore une fois, inconnus.
Elle ne perdit pas de temps et alla jusqu'au fond de la salle où se tenait une nouvelle porte. Tout en continuant sa berceuse, elle l'ouvrit.
Un entrepôt.
C'est l'allure qu'avait cette salle. Posée sur des centaines et des centaines d'étagères, positionnées tout en longueur, des milliers de plantes en pot, toutes sortes d'eaux, de sable, ect... Un labyrinthe de rêve pour tout Préparateur.
Nayala perdit le fil de la mélodie en s'élançant dans les méandres de la pièce, jusqu'à s'arrêter de jouer, bien trop émerveillée par ce qui se trouvait devant elle. Le silence régnait dans la salle. En se dépêchant elle pourrait partir sans croiser d’Éminents.
Grâce aux panonceaux gravés qui lui indiquait ce que contenait l'étagère, elle trouva plus rapidement qu'escompter ce qu'elle était venue chercher.
D'abord, ce fut dans la section "eaux lunaire et autres" qu'elle s’arrêta. Tant de fioles dont elle ne connaissait pas le contenu que s'en était frustrant ! Nayala glissa son doigt sur chacune d'elles et récita leurs noms notés sur des étiquettes en chuchotant. Son choix s'était arrêté sur celle qui indiquait "eau lunaire pure" et remarqua que, même ici, les quantités étaient limitées.
C'était absolument ce qu'il fallait à Nora !
Elle prit donc un flacon entier en espérant que cela ne se voit pas, puis continua son chemin jusqu'à trouver du charbon. Sur l'une des étagère notée "plantes médicinales", elle prit un pot entier d'astragulus membranaceus. Nayala connaissait ses vertus apaisantes et calmantes mais également efficace pour aider l'organisme à récupérer. Un autre pot, cette fois de Calendula Officinalis, afin de désinfecter correctement les plaies de peur que le Guérisseur ait bâclé son travail. Nayala n'avait pas eu l'occasion de vérifier et cela aurait été étrange de demander à Nora de l'autoriser à regarder le travail d'un Officiel, afin de s'assurer qu'il est bien fait son métier. La non-officiel préparait donc, en plus de la tisane, un onguent pour les blessures dans le cas où, comme elle le pensait, Nora eut été mal soignée. Nayala prit également du Symphyntum Officinale et rassembla ses affaires.
Une fois son butin en main, cela lui devint évident qu'elle ne pourrait pas tout transporter dans ses poches, afin de faire la préparation au calme à l'étage inférieur. Il fallait qu'elle fasse les remèdes ici. Deux préparations étaient nécessaires, elle posa le tout à même le sol puis se dépêcha de prendre le reste du matériel qui lui serait utile.
Le moment du repas devait être bien entamé par les Éminents qui occupaient précédemment le lieu et elle ignorait leurs habitudes: S’ils restaient longtemps à table ou s'ils revenaient directement ? Allaient-ils s’asseoir face à leur bureau ou viendraient-il dans la réserve ?
Ses mains ne tremblaient pas. Ses gestes étaient précis et fluides. Pour soulager les douleurs de Nora, Nayala prépara d'abord la tisane froide en écrasant l'astragalus membranaceus avec un morceau de charbon et un peu d'eau lunaire, puis laissa infuser le mélange avant d'en récupérer uniquement le liquide vert. La deuxième préparation avait nécessité l'utilisation du restant d'eau lunaire, que la jeune femme mélangea avec le calendula officinalis haché et le symphytum officinale écrasé. Le tout formait une pommade orangée gluante.
Fière d'elle, Nayala allait commencer à ranger ce qui pourrait servir de preuve de son effraction quand une voix désagréablement reconnaissable se fit entendre derrière elle :
- Alors là, c'est une sacrée surprise...
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