CHAPITRE 1

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Les applaudissements fusèrent. Jérémy sourit en montant lentement les trois marches qui le séparaient de sa récompense. Son bras était orné d'une femme magnifique, blonde, des yeux immenses maquillés à la perfection, de longues jambes graciles. Le maître de cérémonie tendit la main pour les accueillir. Les cris et les bravos redoublèrent. Jérémy gratifia son public d'un généreux sourire.

— Monsieur Jérémy Preston et Mademoiselle Clara Fielding !

La salle fut inondée de lumières stroboscopiques. Les écrans, innombrables, projetaient l'image du couple. Certaines personnes dans le public se levèrent d'excitation et applaudirent à s'en rompre les phalanges. Jérémy cligna des yeux, aveuglé par les flashes. Clara, bien droite dans sa robe fourreau écarlate, offrait au monde son visage doux et humble. L'homme tendit le trophée à Jérémy qui se retrouva face à un micro sur pied, vestige d'un temps révolu. Vintage, pensa-t-il.

— Quelques mots, suggéra le maître de cérémonie, en surpoids, le front humide, étranglé par le col de sa chemise trop étroite.

Jérémy leva les bras en l'air, victorieux. Dans sa main droite il tenait fièrement une sculpture en or, une espèce de calice monté sur un pied. Ce dernier ressemblait à un large tronc d'arbre, strié et noueux. Des inscriptions y étaient gravées. Dans sa main gauche, la main tiède et souple de Clara. La salle sembla se mouvoir, vague humaine, et un brouhaha monta délicieusement dans l'atmosphère. Jérémy attendit encore quelques secondes, le calme revint. Il baissa enfin les bras, confia son trophée à Clara.

— Cette récompense, commença-t-il, c'est avant tout le fruit du travail acharné de toute une équipe, MON équipe. Car on ne peut rien accomplir seul. Aussi je voudrais leur dédier à tous cette victoire. Merci également à Flora King pour son soutien et ses encouragements sans faille. Elle a cru en mes idées et il fallait une sacrée dose de culot pour me faire confiance. Et je n'oublie pas celle sans qui je ne serais rien. Celle qui m'a tout appris, celle qui guide mes pas depuis toujours : ma mère. Merci maman. Tu as toujours cru en moi et c'est grâce à toi que je suis là aujourd'hui. C'est grâce à toi que mon rêve, le rêve de tous, s'est enfin réalisé.

À nouveau les cris de joie envahirent l'espace. Le mot rêve avait fait l'effet d'un coup de tonnerre. Le public, excité, se leva, siffla et battit des mains. On entendit aux quatre coins de la salle des voix scander le nom de Jérémy. Pres-Ton ! Pres-Ton !

— Le temps passe vite, poursuivit-il. Un an déjà que nous utilisons l'I'Dream. Un an que nous avons retrouvé notre capacité à rêver. Nous avons repris espoir. Nous reprenons confiance en l'avenir. Et je suis heureux que cela soit possible. Je suis heureux, oui, car j'avais un rêve : que chacun d'entre nous vive en bonne santé. Cette récompense, pour moi, c'est la preuve qu'il faut continuer à croire en ses rêves. Merci pour cela, je suis très honoré de recevoir cette récompense.

Il saisit le poignet de Clara et leva encore une fois les bras vers le ciel. Le trophée scintilla sous l'effet des lumières. Les applaudissements reprirent alors que le maître de cérémonie se rapprochait du devant de la scène.

— Merci à vous Jérémy, merci Clara. C'était Jérémy Preston, récompensé pour la découverte de l'implant qui a révolutionné nos vies. On les applaudit comme ils le méritent.

L'image se figea. Clara avait commandé une pause de la rediffusion et leurs visages flottaient dans son séjour, à deux mètres de son canapé. Elle fixa son front. Ses pommettes. Pas une ride. Son visage lisse la laissa presque perplexe. Puis son regard se dirigea vers Preston. Des yeux d'un bleu sombre. Des sourcils épais, parfaitement dessinés et donnant à son regard une profondeur abyssale. Des cheveux bruns, rebelles, qui une fois de plus avaient refusé de rester sagement coiffés.

— Tu es superbe, chérie, susurra Jérémy, assis à côté d'elle. Il porta son verre de whisky à ses lèvres. C'était un beau moment.

— Oui, un moment magnifique.

Elle l'embrassa, il avait un délicieux goût d'alcool hors de prix. Elle posa sa tête sur sa poitrine, heureuse, et il lui caressa les cheveux. Les glaçons s'entrechoquèrent. Il se pencha pour déposer son verre vide sur la table basse, donna l'ordre d'éteindre la télévision et de tamiser la lumière. Clara prit son visage dans ses mains et l'embrassa encore.

— Attends, dit-il, les Ooèmes...

— Oh !

Chacun déconnecta son Ooème. Ils se sourirent. Voilà, ils étaient seuls. Clara prit son compagnon par la main et l'entraîna dans sa chambre à coucher.

Quand Jérémy se décida à rentrer chez lui, Clara dormait profondément. Pourtant il n'était que 21 heures. Après avoir fait l'amour, elle avait aussitôt rallumé son Ooème, l'avait consulté à toute vitesse, puis elle avait ouvert sa pharmacie et avalé ses pilules habituelles. Elle lui avait donné un dernier baiser, un dernier sourire et s'était allongée dans ses draps soyeux. Sa respiration paisible montrait à quel point l'implant était efficace. Un sommeil de qualité. Un sommeil paradoxal avec ses rêves.

Il était fier de lui. Il avait réussi à trouver comment stimuler la jonction pariéto-temporale sans créer d'interruptions fréquentes dans le sommeil. Ensuite, ç'avait été un jeu d'enfant. Bien sûr, l'implant était perfectible, il y travaillait, mais les effets avaient été très bénéfiques. Le taux d'insomniaques avait considérablement diminué. Celui des suicides et des internements psychiatriques aussi. Oui, Jérémy en était certain, ils étaient en pleine ascension. L'I'Dream était une révolution, on ne pouvait plus envisager de vivre sans. Et ce n'était que le début. Il y aurait d'autres trophées.

Il arpenta, pensif, l'immense séjour. Un canapé d'angle en cuir blanc trônait au centre de la pièce, celui-là même qu'ils occupaient tous les deux en début de soirée. Clara aimait se regarder après une prestation. Jérémy se demanda si c'était commun à toutes les actrices. Il l'ignorait. Bien qu'il en connaisse un certain nombre, jamais il n'avait pensé leur poser ce genre de questions. Devant le canapé, sur un tapis blanc coûteux, reposait une table basse, large, en verre. Sur la table, le verre ne contenant plus que de l'eau de glaçon fondu. Il tourna la tête sur sa gauche, là où de nombreuses photos étaient affichées. Clara et son manager, Clara et un réalisateur dont le nom lui échappait, Clara et un acteur dont il ne souhaitait pas se rappeler le nom, un portrait de Clara dans un cadre doré, Clara enfant, avec sa mère et sa première victoire en tant que mini Miss. Et tant d'autres... Il détourna le regard, nauséeux. Il manquait d'air, tout à coup.

Le jour commençait à peine à baisser, on était en plein mois de juillet. Il faut que je m'en aille d'ici, se surprit-il à penser, comme si cette soudaine envie de vomir était liée au lieu. Son Ooème émit une lueur bleutée, furtive, non accompagnée d'un avertissement sonore. Ah, déjà le couvre-feu... Il était donc 21 heures 30. Cela n'avait pas d'importance, il n'habitait pas dans la périphérie, le couvre-feu ne le concernait pas. Il était l'inventeur de l'I'Dream, il était au-dessus de bien des choses. Sur cette belle pensée, il se dirigea vers la sortie.

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