CHAPITRE 3

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Le temps se figea. Jérémy aussi. La femme le regardait, les yeux brûlants. Il parvint à remuer ses doigts, passa une main raide dans ses cheveux sans réussir à prononcer un mot. Elle était là, à quelques mètres, à peine cachée par le peuplier situé à gauche de la maison. Et il sut immédiatement qu'elle était venue pour lui, que ce n'était pas un hasard. Il baissa les yeux vers le sol, repéra ses clés, se pencha pour les récupérer.

— Monsieur Preston, implora le murmure, aidez-moi, je vous en prie. Je n'ai rien fait, je le jure, je vous expliquerai tout. Laissez-moi entrer.

Il tressaillit en percevant la peur de la femme. Il ignorait ce qu'elle craignait le plus, être arrêtée pour avoir agressé un membre du gouvernement mondial ou pour n'avoir pas respecté le couvre-feu. Il se releva lentement, et tourna les talons sans la regarder.

— S'il vous plait, monsieur Preston, je dois vous parler, c'est très important.

Il avait ouvert la porte. Il essuya les semelles de ses chaussures sur le paillasson comme d'ordinaire. Il n'aimait pas salir le sol avec de la terre, de la boue ou autre débris de feuilles. Il fixa l'inscription welcome. Derrière lui, la peur de la femme devint palpable. Il sentit cette peur ramper vers lui, s'agripper à son échine et remonter peu à peu vers sa nuque. Il entra et laissa la porte entrouverte.

Un miaulement plaintif l'accueillit. Jérémy se dirigea vers la cuisine et remplit la gamelle du chat de bonnes croquettes fraîches. L'animal, petit, roux, vint se frotter contre les jambes de son maître puis partit festoyer. Tous les volets étaient clos, il avait programmé la maison pour 21 heures. Il se servit un verre d'eau, s'assit. Il entendit la porte d'entrée se refermer doucement. Elle apparut, éclairée franchement par l'éclairage du couloir. Elle demeura là, dans l'encadrement de la porte, droite, le regard dirigé vers lui. Elle portait des tennis blanches, un jean bleu foncé, un débardeur blanc et par-dessus, malgré la douceur de cette nuit d'été, une veste courte, en cuir noir. Elle tenait dans une main un petit sac à dos en toile vert olive. Jérémy ne l'avait jamais vue avec autre chose sur le dos que la tenue de femme de ménage. Elle était grande. Ses cheveux, coiffés en une nombre incalculable de tresses, lui donnaient l'air d'une lionne.

— Un verre d'eau ? proposa-t-il en désignant la chaise face à lui.

Elle fit non de la tête et s'assit d'un mouvement brusque, posant le sac sur la table.

— Je n'ai pas agressé le ministre, dit-elle aussitôt. C'est un malentendu. C'était un accident. Je n'aurais pas dû être là, mais je ne pouvais pas faire autrement. Mais bon sang, qui peut croire que je suis une terroriste ? C'est ridicule. On m'accuse d'un délit que je n'ai pas commis, vous devez me croire monsieur Preston. J'ai l'air d'une criminelle ?

Elle parlait vite, laissant à peine l'air entrer dans ses poumons. Elle était effrayée, mais il perçut aussi sa colère. Ses mains s'agitaient, ses yeux lançaient des flammes. Sa voix, de murmure était devenue torrent.

— Il faut que quelqu'un me rende justice, monsieur Preston.

Elle se tut, jeta un bref coup d'œil sur son sac délavé, comme pour vérifier que personne ne comptait le lui voler. Jérémy observa son visage. Elle était très belle : de longs cils bien noirs, un nez droit et fin, des lèvres généreuses qui là, tremblaient un peu sous le coup de l'émotion. Il se dit qu'il connaissait peut-être son prénom mais qu'il ne l'avait jamais réellement vue. Il croisait cette femme presque tous les jours et pas une fois il ne s'était attardée davantage qu'en lançant un simple bonjour. Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Vingt-cinq ans peut-être.

Elle était en train d'inspecter la pièce du regard. Après une hésitation, elle demanda :

— Je peux fumer ?

— Dans le patio. Venez.

Il se leva et l'enjoignit à le suivre. Elle se saisit de son sac et lui emboîta le pas.

— Oh ! C'est magnifique, dit-elle, tandis qu'ils entraient dans ce petit havre de verdure. Il y a même un banc. Et on voit le ciel, les étoiles.

Une larme perla au coin de ses yeux. En trois enjambées elle avait rejoint le banc. Elle s'assit, ouvrit son sac et en extirpa un paquet de cigarettes entamé. On dirait un félin, pensa-t-il. Lui resta debout, il fixa un moment la fumée bleue qui montait vers le ciel. Le chat les avait suivis, il s'approcha de la jeune femme, renifla avec application sa chaussure droite et décida qu'il pouvait se frotter contre sa cheville. Joyce aspira une bouffée de nicotine et caressa l'animal entre les deux oreilles. Le chat eut l'air satisfait.

— Que tu es mignon, toi, dit-elle.

Le chat sauta sur le banc et s'allongea. Elle fit mine de ne l'avoir pas remarqué, termina sa cigarette, leva les yeux vers Jérémy en désignant son mégot. Il la trouva encore plus belle dans les lueurs bleutées du patio.

— Je vais vous chercher un cendrier. Ensuite vous me raconterez ce qui vous est arrivé.

Il lui sourit et repartit vers la cuisine. Quand il revint, elle était accroupie, son petit sac sur le dos.

— Je croyais ces cailloux artificiels, mais ce sont des vrais.

Elle était ravie de sa découverte.

— Oui, ce sont des vrais, répéta-t-il. Tenez, le cendrier.

Il s'approcha d'elle, elle sentait le jasmin.

— Merci.

— Asseyons-nous, et expliquez-moi tout depuis le début. Je n'y comprends rien.

Le chat, à l'autre bout du banc, dormait profondément. Joyce prit une longue inspiration.

— Je ne sais pas comment vous dire ça, commença-t-elle, parce que je ne veux pas vous blesser. Mais croyez-moi, ils se moquent de vous à la KC. Ah oui, ils ont bien profité de votre intelligence et de votre humanisme. Ils n'en ont rien à faire eux, de sauver des vies. Je peux prouver ce que je dis, et c'est bien là le problème. C'est pour ça qu'ils me collent des absurdités sur le dos. Pour se débarrasser de moi. Je les ai entendus, je n'invente rien. Et je peux vous montrer que j'ai raison.

Ses yeux s'étaient rallumés, ses mains s'agitaient dans tous les sens. Elle s'était levée. Rester tranquillement assise à discuter n'était plus une option envisageable.

— Les faits, mademoiselle. S'il vous plait.

Elle cessa de remuer, comme si on lui demandait de se mettre soudain au garde-à-vous. Ses épaules s'affaissèrent, elle reprit :

— Excusez-moi, vous avez raison. Il faut que je reprenne du début. Mes horaires de travail ont été modifiés, une de mes collègues est absente. Depuis hier, je fais mon service le soir et je dois nettoyer les bureaux supérieurs. Je suis censée terminer à 19 H 30, ce qui me laisse le temps de rentrer chez moi avant le couvre-feu. Je n'ai pas besoin du Pass. Mais c'était mon premier soir et j'ai pris du retard. Alors j'ai pointé à 19 H 30 et je suis remontée pour finir le travail. Et là, au dernier étage, je les ai entendus.

Elle se tut. Le chat avait dressé une oreille, percevant un son inaudible à l'ouïe humaine. Joyce leva le menton, les yeux exorbités. Jérémy soupira, mit ses deux mains en avant en geste d'apaisement.

— Tout va bien, dit-il. Vous ne craignez rien.

— Mais pourquoi ?

— Joyce, vous savez qu'il est interdit d'héberger un périphérique durant la nuit. Vous êtes accusée de je ne sais quoi. Je ne suis pas là pour décider des lois, encore moins pour les enfreindre. Tout va bien se passer, vous êtes innocente, vous serez relâchée. Mais votre histoire ne me concerne pas. Je ne fais que mon devoir.

Il avait à peine fini de parler qu'une lourde pierre s'abattit sur son crâne.

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