CHAPITRE 6
Quand le juge Powell avait terminé son repas, il avait pour habitude de faire une petite sieste, assis dans son canapé, l'Ooème branché sur le mélovox. Ainsi, la voix de sa douce femme disparue trop tôt le berçait et il s'assoupissait sereinement en digérant son repas. Flex venait poser sa truffe humide sur la cuisse de son maître, réclamant une caresse que le juge lui donnait avec générosité. Puis l'animal se couchait aux pieds de l'homme et s'endormait. Vers quatorze heures, le juge ouvrait les yeux et commandait les nouvelles du jour sur son Ooème.
Le visage de Jérémy Preston se projeta dans son salon.
— Ce que j'ai vécu hier soir, je ne le souhaite à personne. C'est un moment que je ne suis pas près d'oublier. Les autorités vont rapidement procéder à l'arrestation de cette femme, je vous le garantis. Et j'ai, bien entendu, déposé une plainte pour coups et blessures.
Jérémy souleva ses cheveux, dévoilant son hématome et sa bosse. Les flashes crépitèrent. Un murmure s'éleva chez les journalistes.
— Elle aurait pu me tuer, je dois me déclarer chanceux. Cependant, rassurez-vous, elle n'ira pas bien loin. Il lui faudra rendre des comptes au sujet de toutes les infractions qu'elle a commises. Et notamment celle de l'agression de notre ministre à qui j'adresse tout mon soutien. J'espère qu'il se remet bien de cette affaire.
Mike Powell fronça les sourcils. Décidément, on ne pouvait pas échapper à ce Jérémy Preston, il était partout. Le juge ne le supportait pas et le considérait comme un arriviste prétentieux et superficiel. Et puis, ses cheveux trop noirs, toujours ébouriffés... Il lui soupçonnait une lointaine ascendance de métèque.
Le juge resserra un peu son écharpe qu'il portait continuellement autour du cou. L'irruption fracassante de cette négresse dans les médias n'était pas du tout à son goût. Le terrorisme ne faisait plus peur à personne. On aurait beau agiter cet épouvantail, il ne ferait fuir que quelques cervelles de moineaux. Et cet opportuniste de Preston se servait de ça pour se faire valoir.
— Quiconque apercevra cette femme doit la signaler, nous avons besoin de vous. Surtout, ne lui parlez pas et ne tentez pas de l'appréhender vous-même. Faites comme moi, lancez le signal.
Powell ne put s'empêcher de ricaner. Faire comme lui, c'était surtout se faire frapper et laisser le corbeau s'envoler. Le juge fut sur le point d'éteindre, mais la question de l'un des journalistes retint son attention.
— On dit que l'Ooème2 est sur le point de sortir. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Preston sourit d'un air entendu. Il s'attendait à cette question.
— Absolument, confirma-t-il. Ce petit bijou de technologie va très bientôt arriver chez vous.
Powell ferma la fenêtre virtuelle. C'est tout ce qu'il voulait savoir. Cela le rendit heureux. Margaret apparaitrait dans tous ses rêves. Il caressa le museau de son chien qui s'était réveillé, se leva avec un peu de difficulté et ouvrit un tiroir du buffet. Il prit un bon gros cigare, le huma, puis décida qu'il était encore trop tôt. Un seul tous les soirs, se répéta-t-il, et il le rangea.
Il se rassit dans le canapé, il avait quelques heures devant lui. Il sortit une boîte de médicaments de la poche de son pantalon, avala trois micro-gélules d'un bleu fluorescent puis activa l'I'Dream. Bien que ce soit l'été et que la saison soit très chaude, il ramena un plaid sur ses genoux et tout en fermant les yeux :
— À tout à l'heure mon chien, je m'en vais dormir encore un peu.
Il se concentra pour visualiser le visage de Margaret, ses yeux en amande, ses longs cils de biche. Sa respiration devint lente et régulière, d'infimes mouvements de paupières apparurent, témoins de l'efficacité des traitements médicaux de la nouvelle ère.
Le juge Powell, apaisé, partit loin, très loin, dans une contrée où il aurait souhaité vivre éternellement.
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