route

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Installés au premier rang du bus de ligne, quasiment collés au pare-brise, nous avons une vue imprenable sur le paysage. Depuis le matin défile sur notre droite une plage de carte postale : ciel bleu, mer turquoise, sable blanc, cocotiers… et, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, je commence à m’en lasser.

À bord, tandis qu’un encaisseur de tourner en rond s’occupe de la billetterie, deux chauffeurs se relayent pour éviter les coups de fatigue. Leur rotation fait partie des grands moments du voyage, au lieu d’attendre bêtement une pause pipi, ils ont pour habitude de changer de poste véhicule en marche.

Nous en sommes justement à la phase délicate, les deux bonshommes sont en train de se contorsionner entre siège et tableau de bord. L’un, tenant le volant du bout des doigts, enjambe les genoux de l’autre qui, un pied sur l’accélérateur, prend appui sur les accoudoirs pour se soulever du fauteuil. C’est le moment que choisit une carriole tirée par un cheval famélique pour déboucher sur la voie juste devant nous.

Comme plus personne ne peut atteindre la pédale de frein, le chauffeur au volant déboîte violemment pour éviter l'obstacle, au moment où arrive en face un autre autobus de la même compagnie. À trois de front, sur cette route étroite, je sens que ça ne va pas le faire…

Loin de paniquer, le chauffeur de l’autre bus se déporte sur le bas-côté et, histoire d’en rajouter un peu, nous envoie un joyeux coup de klaxon trois tons. Alerté, l’encaisseur rapplique vers l’avant en tintinnabulant et s’insère au milieu de ses deux compagnons. Les voilà tous trois de côté, collés serrés, coincés entre volant et siège conducteur, en train de faire de grands saluts de la main à leur collègue. De vrais Frères Jacques hilares en moins pâles.

Il s’en faut d’un cheveu, mais tout passe, rien ne casse, j’ai pas mouillé ma place.

Je réalise alors qu’une note suraiguë s’est fait entendre pendant toute la durée de l’action. Gagné par le machisme ambiant, je me tourne vers Pepita et d’un bisou, éteins l’alarme. J’évite de lui dire que mon cœur aussi a sauté quelques battements, que c’est toujours ça d’économisé pour nos vieux jours.

Un papi, sur la banquette de l’autre côté du couloir, nous explique que nous ne risquons rien. Il a vérifié avant de monter. Sur le pare-chocs arrière du bus est écrit au pinceau et en lettres capitales « Nous voyageons dans la grâce de Dieu ». Bien, me voilà rassuré. Je vais pour lui répondre que je préférerais voyager grâce à deux chauffeurs moins débiles, mais je me contente de le remercier d’un sourire.

De concert avec ma dulcinée, nous décidons d'abandonner nos sièges pour une place plus en arrière. Quitte à mourir jeunes, autant ne pas voir le moment arriver.

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