Chapitre 6
Loubens-Lauragais, Haute-Garonne
Philippe ne s’était pas trompé. L’armagnac du comte de Loubennes était remarquable. Ange n’était pas un grand amateur de ces liqueurs, préférant les alcools de céréales ou les grands vins, mais il n’eut pas à mentir pour complimenter son hôte.
Au grand plaisir du commissaire, le vieil homme était d’une compagnie fort agréable, et malgré l’heure avancée, voulut comprendre pourquoi un jeune et brillant officier de police avait choisi de quitter Paris et de s’exiler en province.
— À vrai dire, je ne me sentais pas prêt à intégrer une grande structure centrale. La PJ parisienne est prestigieuse, mais trop complexe, et puis le nom de Segafredi y est encore trop présent.
— Votre père, c’est cela ?
— Oui, il a pris sa retraite il y a quelques années, mais il a encore beaucoup de contacts dans les hautes sphères. Je préfère faire mes preuves dans un milieu plus neutre.
— La vie parisienne ne vous manque pas ?
— Pas vraiment, non. Je n’ai pas encore eu le temps de m’ennuyer, et puis Toulouse est une ville très plaisante. C’est un peu plus dur pour ma compagne qui passe encore pas mal de temps dans la capitale.
— Elle est journaliste, c’est bien ça ?
— En effet, mais elle fait surtout des grands reportages, ce qui la fait beaucoup voyager. C’est un peu moins commode depuis la province. C’est d’ailleurs pour cela que je suis seul ce week-end.
— Et bien, ça me procure le plaisir de faire votre connaissance.
— Tout le plaisir est pour moi, monsieur le comte.
— S’il vous plait, faites moi grâce du titre, nous sommes en république. Appelez-moi Henri.
Il était largement plus de minuit lorsque Philippe amena Ange jusqu’à sa chambre, le mot chambre étant d’ailleurs faible pour désigner les lieux. Dans un hôtel de luxe, on l’aurait appelée « suite ».
La pièce principale était spacieuse, avec un grand lit à baldaquin dans une large alcôve, et un vaste salon meublé de fauteuils style Louis XV. Plusieurs commodes et consoles en bois marqueté et à dessus de marbre veiné complétaient l’aménagement. De nombreuses pièces en bronze ainsi qu’un buste de marbre assuraient la décoration. Le portrait d’un lointain ancêtre, en tenue militaire, cherchait sans doute à impressionner le visiteur dans son lourd cadre doré.
Philippe ouvrit une porte à demi cachée dans les lambris pour donner accès à une vaste salle de bains, dont l’équipement moderne tranchait sur la décoration classique.
— Désolé vieux, tu devras te doucher toi-même, nous n’avons plus de jeune servante pour monter l’eau chaude et te frotter le dos.
— Parce que ça a réellement existé ?
— Hum, dans ma jeunesse, il y avait encore une gouvernante et une femme de chambre, au service de mes grands-parents, mais ces deux braves femmes devaient bien avoir 70 ans. L’été, toutefois, il arrivait que la nièce de l’une d’elles vienne donner un coup de main, quand nous étions tous ici.
— Et ?
— Je dois avouer que cette jeune donzelle éveillait quelques émois chez le garçon en pleine puberté que j’étais encore. Et je suis à peu près sûr que mes aînés ont passé du bon temps avec elle dans les dépendances.
— C’était le bon temps ! Et toi, tu n’y a pas gouté ?
— J’étais trop jeune, j’ai bien essayé de les regarder une fois, mais ils m’ont attrapé et flanqué une bonne volée.
— Et qui t’a déniaisé alors, une amie de ta mère ?
— Je veux bien que la famille soit un peu vieux jeu, mais pas à ce point. À cette période, je vivais le plus souvent à Paris, j’ai eu bien d’autres opportunités. Allez, je te laisse dormir. Demain, je te ferai visiter la région. Tu connais le Sidobre ?
— Jamais entendu parler.
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