Castres, Tarn

Philippe indiqua un parking souterrain au bord de l’Agout, la rivière qui arrose la ville de Castres. Les deux hommes eurent un regard rapide pour les vieilles maisons de tanneurs qui bordent le cours d’eau avant de choisir un restaurant dans les ruelles de la vieille ville.

— Je suis intrigué par les malheurs de cette religieuse, mais nous n’en sommes pas moins en week-end, déclara le médecin. Que dirais-tu de commencer par un verre de vin bien frais ? Ici, le Gaillac s’impose.

— Je te fais confiance, je ne connais rien aux productions de la région.

— Qu’as-tu fait de ton temps libre depuis que tu es à Toulouse ?

— Je n’ai pas eu le temps de découvrir les producteurs locaux, hélas. Je crois que j’ai assuré les permanences plus souvent qu’à mon tour, et quand Julie était là, nous avons surtout passé notre temps sous la couette !

— Allez, je ne te plains pas. On va prendre une bouteille de perlé, tu vas voir, c’est original.

— Comme tu veux. Pour le plat, je t’avoue que avec ce temps, je n’ai pas trop envie de canard gras !

— Il y a du poisson de rivière.

— Va pour le poisson.

Lorsque la serveuse eut prit les commandes, Ange ramena la conversation sur la nonne.

— Cette femme a sûrement des choses à nous raconter. Je doute qu’elle ait totalement perdu la mémoire. Elle avait sans doute une bonne raison de quitter le couvent au milieu de la nuit. Il est probable que quelqu’un lui avait donné rendez-vous.

— Oui, et il faudrait également découvrir par où elle est sortie.

— Il doit y avoir des portes oubliées dans le mur d’enceinte. L’infirmière n’y a pas pensé. Il faudra poser la question à la supérieure. Et comme les sœurs n’ont sûrement pas de portables, quelqu’un aura dû servir de messager. Ceci dit, pour le moment, ce n’est qu’un Escape Game de vacances. Il n’y a pas de plainte, pas de viol. Officiellement, il n’y a pas d’enquête.

— Bien sûr, mais tu es d’accord avec moi, ce n’est pas un comportement normal pour une moniale.

— Je te l’accorde, mais des relations sexuelles entre adultes consentants, fussent-ils moines ou nonnes, ne sont pas interdites par la loi.

— Et si la sœur voulait déposer une plainte ?

— Il lui faudrait un motif valable.

— Peut-être que l’on a fait pression sur elle, une sorte de chantage. Elle a sans doute été droguée.

— Il faudra qu’elle nous donne des éléments sérieux si on veut convaincre le procureur.

— J’ai demandé à l’infirmière de m’appeler quand elle sera en état de nous parler. J’espère qu’elle acceptera.

— Il faudra également qu’elle nous donne son identité civile. Je jetterai un coup d’œil dans nos fichiers lundi matin. Elle a eu une vie avant d’entrer au couvent. Les Bénédictines, ce n’est pas la légion étrangère.

Les deux hommes furent interrompus par la serveuse qui leur apportait la bouteille de vin.

— À qui dois-je faire goûter le vin ?

— Faites-le découvrir à mon ami, répondit Philippe.

La jeune femme se pencha vers Ange pour servir le vin, lui offrant un joli point de vue sur sa gorge, par l’ouverture du corsage.

— Ce n’est pas désagréable, dit Ange lorsqu’elle se fut éloignée.

— Tu n’as pas encore goûté !

— Je parlais du point de vue.

— Je le rapporterai à Julie, répondit Philippe.

— Tu veux que je parle à Brigitte des américaines bourrées à Hollywood (*)?

Les deux hommes éclatèrent de rire.

— Alors, sérieux, ce vin qu’est-ce que tu en penses ?

— C’est original en effet, un petit côté astringent, pétillant, qui n’est pas désagréable.

— Ils déclenchent une deuxième fermentation, qui est stoppée rapidement, ce qui crée ces petites bulles. Ils font aussi un vin pétillant qui est un assez bon succédané de champagne.

— Je croyais que les aristocrates ne buvaient que du Dom Pérignon.

— Détrompe-toi, nous buvons aussi du Ruinart !

(*) Voir "Route 66"