Chapitre 28
SRPJ – Toulouse
À onze heures, Samira Saada lança la réunion destinée à faire le point sur les recherches. Outre Ange et Sam, le lieutenant Clémentine Marchand ainsi que Olivier Lacaze, du groupe 1 et Franck Lopez étaient présents.
— Commençons par Béatrice Moreau, lança Samira. Qu’est-ce que vous avez trouvé sur elle ? Franck, tu as été le premier à fouiller dans son passé, qu’est-ce que tu peux nous dire ?
— Comme je l’ai écrit au Commissaire dimanche, Béatrice Moreau, c’est son nom de jeune fille, a vécu sans histoires jusqu’à ses trente-cinq ans. Elle a fait des études de droit sans éclat et à obtenu une licence en droit à Toulouse 1. Elle a ensuite travaillé quelques années dans un cabinet d’avocats jusqu’à son mariage avec Jacques Pujol-Lacrouzette, déjà établi comme notaire, à ce moment associé à son père dont il a pris la succession par la suite. Le mariage remonte à 2003. Elle avait donc 28 ans, son mari 33. On ne trouve mention du couple dans aucun dossier, même pas d’infraction routière. La première apparition du nom de Béatrice Moreau remonte à 2009, soit six ans après le mariage. Lors d’une soirée échangiste organisée par Charles Van Den Brouck, sur le signalement d’un voisin, une patrouille intervient. En dehors d’un peu de coke, rien d’illégal n’est relevé, tous les participants sont majeurs et consentants, mais les identités sont relevées. Béatrice Moreau apparait une deuxième fois dans un autre dossier, l’année suivante. Cette fois, les jeux sont un peu plus corsés. Le rapport décrit une cave avec des accessoires de contention, mais aucun élément justifiant d’engager une procédure. L’affaire est classée sans suite.
— Merci Franck. Olivier, tu étais déjà en poste à cette époque. Est-ce que ces affaires te rappellent quelque chose ?
— En effet, on a eu pendant un moment pas mal d’animation autour des milieux libertins sur Toulouse. Il y avait deux ou trois clubs qui se menaient la vie dure, réciproquement. Ça a amené à un transfert vers des soirées « privées », chez des particuliers. Charles Van Den Brouck était l’un des principaux animateurs de cette époque. Je pense que c’est à cette période que les événements relatés par Franck se situent, des dénonciations à coup sûr. Cette « concurrence » nouvelle n’était pas bien vue du milieu établi. Comme Van Den Brouck était prudent, on n’a jamais pu réellement l’incriminer ou démontrer un délit qui aurait pu permettre d’engager des poursuites. Tous les participants étaient majeurs et consentants, les stupéfiants retrouvés sur place étaient toujours en quantités limitées, aucune professionnelle parmi les femmes. Après quelques temps, peut-être dix-huit mois, guère plus ces soirées ont cessé et tout est revenu dans la norme. Je ne dis pas que les soirées privées ont disparu, mais elles n’avaient plus ce caractère organisé et brillant que leur avait donné VDB. Les clubs « officiels » ont repris leur business et on n’en a plus entendu parler.
— On revient à ce VDB, reprit Samira. On sait quoi de lui ?
Clémentine Marchand prit la parole.
— Charles Van Den Brouck, dit VDB, mais aussi connu comme Cornélius dans le milieu libertin. Né à Gand, en Belgique en 1957. Il est venu en France pour faire des études de management à HEC, en 1978. Son diplôme en poche, il a d’abord travaillé dans de grandes entreprises de BTP, Bouygues en particulier, avant de racheter une petite société de construction à Fenouillet. De fil en aiguille, il s’est retrouvé à la tête d’un petit groupe d’entreprises, la plupart acquises au tribunal pour une somme symbolique et « essorées » avant d’être liquidées. Sa fortune s’est constituée grâce à quelques juteuses opérations de « vente à la découpe » et de rénovation dans les quartiers nouveaux à la périphérie de Toulouse. La brigade Financière s’est intéressée un temps à ses affaires, il y a à peu près dix ans, quand il a fait parler de lui dans les affaires de mœurs mentionnées par Olivier. Les montages étaient particulièrement opaques, passant par de nombreuses sociétés-écrans localisées dans des paradis fiscaux. Comme pour les mœurs, la présence de VDB dans l’immobilier à Toulouse semble avoir décru peu après, au point que ses sociétés locales ont disparu de la vie publique. La plupart ont été purement et simplement liquidées. Son domicile toulousain, une vénérable propriété au Busca, a été cédée en 2011 à une holding domiciliée à Andorre. Il n’y a plus de trace de Van Den Brouck après cette dernière transaction, toutefois, il n’a pas été déclaré mort en France. Est-ce qu’il a quitté le pays ou a-t-il réussi à vivre sous une fausse identité ? À ce stade, je ne peux pas le dire.
Ange prit la parole.
— Lorsque j’ai cité son nom devant Béatrice Moreau, j’ai clairement vu de la panique dans ses yeux. Il faut absolument savoir s’il y a un lien entre la secte propriétaire du château et ce Cornélius.
— Ça va prendre un peu de temps, reprit Clem, les autorités de Jersey sont réticentes à fournir des renseignements financiers. On entend dire qu’il n’y a plus de paradis fiscaux en Europe, mais je peux t’assurer que ça reste très difficile d’enquêter sur certains sujets.
— Continue à travailler avec les collègues de la Financière. Ils doivent avoir des contacts à Bercy, via Tracfin (*), qui peuvent aider.
Sam reprit la main.
— Qu’est-ce qu’on a sur le suicide du notaire ?
— Il s’est pendu chez lui, un jour de semaine. C’était en janvier 2011. Il a quitté son bureau sans explication en début d’après-midi, après une conversation téléphonique animée, selon sa secrétaire qui n’a pas pu en dire plus à l’époque. C’est sa femme qui l’a retrouvé en rentrant sa voiture dans le garage, en fin d’après-midi. Elle a appelé Police Secours. Elle était prostrée lorsque l’équipe est arrivée sur place. Ils l’ont emmenée à l’Hôpital Gérard Marchant. Elle y est restée plusieurs semaines. Je n’ai pas eu accès à son dossier, c’est encore couvert par le secret médical.
— Donc, reprit Sam, si on résume la time line, le notaire et sa femme commencent à fréquenter les soirées libertines de Cornelius en 2009. Début 2011, le notaire se suicide et sa femme séjourne en hôpital psychiatrique. Quelques mois plus tard, VDB liquide ses affaires et disparait. À peu près à la même date, Béatrice Moreau, qui a repris son nom de jeune fille, entre au couvent.
— Est-ce que l’office notarial existe toujours ? demanda Ange.
— Oui, je pense répondit Clémentine, ce genre d’affaires se transmettent sans jamais s’arrêter.
— Il y a sûrement des employés qui ont connu Pujol-Lacrouzette et qui y travaillent encore. Essaie de voir ce qui a pu se passer dans les dossiers que traitait le notaire, fin 2010 ou début 2011, qui aurait servi de déclencheur à tout ça.
— Pas de problème, je vais essayer de les contacter et d’y passer dès demain.
— Un dernier point, je voudrais savoir comment le message a été transmis à la religieuse. Il faudrait parler au jardinier. Sam, tu peux t’en occuper ?
(*) Organisme chargé de lutter contre les flux financiers clandestins
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