Chapitre 33
Sorèze, Tarn
Après avoir terminé la fouille du château et saisi quelques éléments prouvant une occupation récente des lieux, Samira prit congé de l’adjudant Massart.
— Je dois passer interroger le jardinier à Sorèze, quelle est la route la plus rapide ?
— Redescendez jusqu’à Saissac, puis en arrivant au village, prenez à droite. Quand vous arriverez au Lac de St Ferréol, vous descendez à nouveau à droite, Sorèze est en bas.
— Je vous remercie, ça a été un plaisir de collaborer avec vous.
Le commandant Saada prit place dans la voiture, laissant le volant au jeune lieutenant Ibrahim Diallo, plus à l’aise qu’elle sur ces petites routes sinueuses. Le lieutenant Claude Morel, son procédurier, monta à l’arrière.
— Claude, tu viendras avec moi parler au jardinier. Ibrahim, tu restes dans la voiture, pas la peine de l’effrayer en débarquant à trois.
— Tu as peur que je le mange tout cru ? plaisanta le chauffeur en souriant de toutes ses dents.
Diallo était d’origine sénégalaise et contrairement à Samira, prenait un grand plaisir à se moquer de ses origines en exagérant son phrasé et en plaisantant sur la couleur de sa peau.
— Non, c’est juste que je ne veux pas laisser papy tout seul dans la voiture !
— Si tu ne veux pas que je fasse de mauvaises blagues sur les rebeux, évite d’en faire sur mon âge ! bougonna Morel.
— Salam Alaykoum, nous sommes tous frères et sœurs ! répondit Samira.
— Qu’est-ce qu’on lui veut, au juste, à ce jardinier ? demanda Morel.
— C’est lui qui a transmis la lettre à Béatrice Moreau et qui a laissé, intentionnellement, la porte du potager ouverte le vendredi soir. Ce serait quand même bien de savoir qui le lui a demandé.
— Qu’est-ce qu’on sait de lui ?
— Pas grand-chose, il semble que ce soit un brave type sans histoire. Il s’est installé en France il y a plus de trente ans, venant du Portugal. Il n’a pas de casier. Il habite à la même adresse depuis son arrivée.
La rue Rastoul est une petite rue au cœur du village médiéval. Ibrahim gara la voiture en périphérie et les policiers partirent à pied.
— Si tu as peur de t’ennuyer, tu peux aller parler aux voisins, dit Sam au chauffeur.
— Tu ne crains pas qu’ils appellent les keufs ?
— Tu leur montreras ton flingue !
— T’es ouf, ils vont me lâcher les chiens !
Lorsque Sam et Claude arrivèrent devant le 3, ils entendirent la télévision par la fenêtre grande ouverte sur la rue.
— Au moins, on sait qu’il est là, remarqua le lieutenant.
Mario da Costa vint leur ouvrir tout de suite et les fit entrer sans qu’ils aient besoin de le suggérer. La maison était petite, mais bien tenue, pas vraiment l’image qu’on se fait de l’habitation d’un célibataire endurci.
— Monsieur da Costa, savez-vous pourquoi nous venons vous rendre visite ce soir ? demanda Samira.
— Non, pas du tout, j’ai fait quelque chose de mal ?
— Non, nous ne pensons pas, rassurez-vous. Nous aimerions vous poser quelques questions sur un événement qui s’est produit à la fin de la semaine dernière.
— Ah, bon, je vous écoute.
— Vous travaillez bien comme jardinier au couvent de Dourgne ?
— Oui, c’est ça.
— Depuis longtemps ?
— Je ne sais plus, vingt ans au moins.
— Le travail vous plait ?
— Oui, jardinier, c’est mon métier. Je fais des fleurs, des légumes, les arbres, tout ça.
— À plein temps ?
— Je fais aussi d’autres jardins, ici et là, pour des gens âgés.
— Lorsque vous êtes au couvent, vous voyez les sœurs ?
— Pas beaucoup, non, moi je suis dans le potager, elles à l’église. De temps en temps il y en a une qui vient voir, ou chercher des légumes pour le repas.
— Sœur Marie des Anges, elle vient souvent au jardin ?
— De temps en temps oui, mais on ne parle pas ensemble, elle vient juste s’asseoir.
— La semaine dernière, vous lui avez donné une lettre ?
— Oui, c’est vrai.
— C’était la première fois ?
— Non, de temps en temps, je recevais des lettres, chez moi. À l’intérieur il y avait une autre enveloppe, pour la sœur.
— Et la semaine dernière, vous avez reçu une lettre chez vous ?
— Non, c’était différent.
— Qu’est-ce qui était différent ?
— Une femme me l’a donnée. Elle m’a dit de la remettre à Sœur Marie des Anges et de laisser la porte du potager ouverte. Elle m’a donné cinquante euros.
— Et ça ne vous a pas paru bizarre ?
— Je ne voyais pas de mal à ça, et puis elle a ajouté que la Mère Supérieure n’aimerait pas savoir certaines choses.
— Quel genre de choses ?
— Je suis un homme célibataire, je n’ai jamais été marié. Alors il y a des moments où on a besoin de… vous comprenez ?
— Où on a besoin d’une femme ? C’est ça ?
— Oui, c’est ça, mais je vous assure je n’ai rien fait de mal. Je vais à Toulouse, près de la gare et puis je reviens tout de suite.
— Vous pensez que la femme vous aurait dénoncé auprès de la Supérieure parce que vous allez voir des prostituées ?
— Les Sœurs, elles ne peuvent pas comprendre ça.
— Elle est venue ici, cette femme ?
— Non, j’ai un jardin à la sortie du village, je fais pousser des légumes que je vends au marché de Revel, le samedi. C’est là qu’elle est venue.
— Elle ressemblait à quoi cette femme ?
— Une femme de la ville, c’est sûr, bien habillée, des chaussures à talons, même qu’elle avait du mal à marcher dans le chemin.
— Grande, petite, jeune ou vieille, les cheveux ? Blonds, bruns ?
— Pas très grande, plus petite que vous, plus jeune aussi. Les cheveux bruns. Plutôt jolie. Elle m'a rappelé une actrice, Amélie Poulain.
— Elle a dit comment elle s’appelait ?
— Non.
— Elle a dit qui l’envoyait ?
— Non plus.
— Elle est arrivée comment ?
— En voiture, un gros 4x4 Mercedes, noir. Il y avait un homme qui conduisait, mais il n’est pas descendu. Vous allez en parler à la Mère Supérieure ?
— Non, vous n’avez pas à vous inquiéter, mais si jamais vous êtes contacté à nouveau, prévenez-nous tout de suite. Voici mon numéro.
— Il est arrivé quelque chose à Sœur Marie des Anges ?
— Désolé, nous ne pouvons rien dire de plus. Merci de votre collaboration et bonne soirée.
Sam et Claude retrouvèrent Ibrahim devant la voiture.
— Tu as quelque chose de ton côté ?
— Non, rien. Tout le monde connait Mario comme un homme serviable, qui rend des petits services à droite, à gauche, sans histoire.
— Bon, ça suffit pour ce soir, on rentre à la maison.
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