Chapitre 36
Sur la route, de Castres à Toulouse
Ange avait réussi à se libérer, non sans difficultés, de l’étreinte de la magistrate. Claire avait testé toutes ses armes de séduction massive, sans plus de succès que quelques baisers et une rapide fellation. Le commissaire fraichement nommé ne souhaitait pas se construire une réputation sulfureuse. En désespoir de cause, Claire avait tenté de jouer sur la corde de la solitude, mais en vain. Après un whisky et une bouteille de vin partagée, le policier se savait à la limite, mais ne pouvait en aucune façon accepter l’hospitalité qui lui avait été offerte. Il était certain qu’à peine dans la chambre, il entendrait son hôtesse venir gratter à la porte, comme un jeune chat.
Il était un peu plus de vingt-deux heures quand il reprit la route. Il n’avait pas fait la moitié du chemin quand il entendit la notification d’un texto. Siri lui proposa de lui lire le message. C’était Julie, qui lui proposait de la rappeler, s’il était disponible. Ange appuya sur un bouton, sur le volant.
— Appelle Julie.
Une voix de synthèse lui répondit.
— J’appelle Julie.
Après deux sonneries, sa compagne lui répondit.
— Salut mon ange, tu es où ? En voiture ?
— Oui, je rentre à Toulouse. Je suis allé faire une perquisition dans un château, dans l’Aude. C’est toujours l’affaire de la nonne violée.
— Et c’est à cette heure là que tu rentres ?
— J’ai raccompagné la procureure chez elle, à Castres. C’est amusant, c’était une amie de Brigitte. Elle m’a dit qu’elle était à son mariage.
— Moi aussi j’étais à son mariage, comment s’appelle-t-elle ?
— Claire Parayre.
— Je me souviens d’une Claire au mariage de Brigitte, elle me l’avait présentée car elle faisait aussi du droit, mais elle avait un nom espagnol, Vila-Lobes ou quelque chose comme ça.
— Elle est mariée, Parayre est sûrement le nom de son mari, mais elle est effectivement d’origine hispanique, moitié catalane, moitié andalouse.
— Oui, c’est ça, je me souviens d’une très belle femme de style andalou. Je la voyais bien danser du flamenco.
— Le flamenco au mariage des Loubennes, ça aurait probablement détonné.
— Ne me dis rien, elle t’a fait du gringue et toi, beau gosse, tu as joué le jeu.
— Oui, votre honneur, j’avoue, elle a bien essayé, mais tu vois, je suis sur la route pour rentrer à la maison. Tu as également raison sur ton premier point. C’est une très belle femme, qui ne m’a rien caché de son anatomie.
— Il faudra que tu l’invites un week-end quand je serai à Toulouse, ça me ferait plaisir de la revoir.
— Attention, elle est mariée à un militaire ! Un lieutenant-colonel, parachutiste.
— Il était où ce soir ?
— Au Mali, en mission.
— Et donc l’Andalouse s’ennuie.
— C’est cela. On attendra qu’il soit à nouveau absent alors, je ne suis pas certain qu’il apprécierait de te regarder butiner sa Carmen.
— Moi ? ce n’est pas mon genre, répliqua Julie en riant.
— Rappelle-moi ce que tu as fait chez Brigitte la semaine dernière ?
— OK, on remet le compteur à zéro.
— Je ne sais pas, tu ne m’as rien dit des femmes de Lesbos. Tu es allée rendre hommage à Sapho ?
— Oh, tu sais, le mythe de Sapho est sans doute un peu exagéré. Peut-être a-t-elle été amoureuse de l’une ou l’autre de ses disciples, mais elle a fini par épouser le beau Phaon !
— J’ai donc encore toutes mes chances, peut-être finiras-tu par m’épouser alors.
— Tu sais bien que ce n’est pas le mâle en toi que je rejette, mais l’aliénation que constitue l’institution du mariage. Que veux-tu de plus ? Tu as les meilleurs moments avec moi, et tu peux même aller chercher quelques compléments à côté quand tu le souhaites. Je ne suis pas jalouse, tu peux baiser avec Claire, mais je veux que tu me racontes tous les détails.
— Ce n’est pas toi qui me freines, c’est nos positions respectives. Nous travaillons sur la même affaire. Elle est en quelque sorte ma patronne sur ce coup-là.
— Dans ce cas, on se fera une soirée tous les trois quand l’affaire sera bouclée.
— Tu ne devrais pas me dire des choses comme ça quand je suis au volant, ça altère mon jugement. J’ai des pensées salaces, je pourrais avoir un accident si je ne me concentre pas.
— Alors je vais te raconter quelque chose qui va te faire débander. Tu te souviens de John Hunt ?
— Non, qui est-ce ?
— Le photographe qui travaillait avec moi quand nous avons débarqué à Versailles, au milieu de ton affaire (*). Il est ici, à Lesbos, en reportage. Je l’avais perdu de vue depuis un moment. Tu ne vas pas me croire, il est marié.
— Avec un homme ?
— Et bien non, c’est ça qui est incroyable, avec une femme. Une collègue journaliste pour CNN. Il était parti travailler aux Etats-Unis et c’est là qu’elle a mis le grapin dessus. Je ne sais pas comment elle a géré ça, mais il la suit comme un caniche. Elle a même réussi à lui faire changer ses habitudes vestimentaires. Il a troqué les appareils photos pour la caméra et ils travaillent ensemble.
— Ne me dis pas qu’il a essayé de te séduire !
— Pas de risque, sa maîtresse tient la laisse bien courte. Je ne serais pas surpris qu’en privé, il sorte également en laisse.
— Tant que c’est entre adultes consentants…
— Oui, mais attention, aucun animal ne doit être maltraité !
— Parle-moi d’autre chose, tant pis pour ma conduite, je leur montrerai ma carte.
— J’ai fait la connaissance d’une jeune journaliste tchèque. Elle travaille pour une agence de presse dont je n’ai même pas essayé de mémoriser le nom. C’est un vrai canon. Elle doit avoir trente ans, guère plus. On a bu une bouteille de slivovice un soir, dans l’arrière salle d’une petite auberge, après une journée un peu déprimante où on s’était fait refouler des trois camps que nous voulions visiter. Elle avait apporté le remontant dans ses bagages. Elle m’a raconté sa vie, un petit ami alcoolique et jaloux, un patron machiste et un collègue ne lui laissant aucune responsabilité. J’ai bien failli la ramener dans ma chambre, mais elle avait trop bu. J’ai préféré la reconduire chez elle.
— C’est charitable.
— Ce n’est que partie remise. Je suis sûre qu’elle a des seins sublimes.
— Tu m’enverras des photos ?
— Peut-être…
(*) Lire « Affaire sous surveillance »
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