Chapitre 3

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Lysabel arrangea le sac entre ses épaules et fit quelques pas. La Porte de Soctoris était située non loin de la capitale, Sanaris, bien au nord d’Ankaris où partirait la caravane. Elle aurait huit à dix jours de vol, selon les conditions météorologiques, et elle en profiterait, vu que la caravane aurait un rythme bien plus lent. Elle consulta la carte et s’orienta, avant de bondir dans les airs. Sud-sud-est, presque en ligne droite. Elle survolerait d’abord des plaines, puis la grande baie du continent. Quand elle apercevrait la forêt, elle saurait être bientôt arrivée. La ville d’Ankaris était une enclave au sein de la plus grande forêt de Soctoris, et apparemment, ses habitants étaient peu enclins à la quitter.

Comment pouvait-on choisir de passer toute sa vie au même endroit, Lysabel n’arrivait pas à l’imaginer.

D’accord les terrestres étaient plus lents – bien plus lents même, mais il y avait des routes, des aquilaires… nombreux étaient les moyens de locomotion.

Lorsqu’elle arriva enfin à destination, elle ne put manquer la caravane en partance. Une dizaine de chariots regroupés aux abords de la ville, la moitié dissimulés sous les feuilles des arbres. C’était encore le printemps, ici.

Plusieurs personnes la montrèrent du doigt tandis qu’elle amorçait sa descente. Elle plia les genoux en touchant le sol, sans un pas de trop. Un atterrissage parfait, estima-t-elle avec satisfaction. Certains des terrestres avaient porté la main à leur arme en la voyant et elle ne put s’empêcher de sourire. S’il s’agissait des autres gardes, ils paraissaient être vigilants. Elle cherchait le maitre de la caravane du regard lorsque l’un d’eux s’approcha d’elle. Deux haches courtes à la ceinture, quelques armes de jet en bandoulière et au moins un poignard dans chaque botte, à vue d’œil. L’insigne sur sa poitrine indiquait qu’il appartenait lui aussi à une compagnie de mercenaires.

— Tu es là pour la protection de la caravane ?

— Oui. Je suis Lysabel, de la compagnie de la Lune Sanglante.

— Kith Reyers, de la compagnie de la Lame d’Argent. C’est vrai que vous n’êtes… que des femmes, dans votre compagnie ?

Lysabel se ferma immédiatement, posa la main sur son épée.

— Ça te pose un problème ?

L’autre leva aussitôt les mains.

— Oulà, susceptible. Non, je posais la question par simple curiosité. Je ne connais ta compagnie que de nom, c’est tout.

Lysabel hocha la tête, resta méfiante. Encore un imbécile !

— Tu cherches Zemus, peut-être ? C’est le maitre de la caravane. Il est là-bas. Tu veux que je t’accompagne ?

— Parce que tu crois que je pourrais me perdre ?

— Eh bien, il va être chouette le trajet, marmonna Kith alors qu’elle s’éloignait.

Un court instant, elle envisagea de faire demi-tour pour lui expliquer sa vision des choses – à coups de poings, pas d’épée, elle savait faire preuve de mesure, n’en déplaise à Sorenn ! Elle prit une profonde inspiration et décida qu’il n’en valait pas la peine. Surtout que sa capitaine lui avait demandé de ne pas faire de vague, et évidemment elle trouverait qu’elle avait encore abusé de sa force. Eh bien, elle leur montrerait qu’elle savait être raisonnable.

D’ailleurs, elle n’avait encore tué personne.

Zemus se trouvait à quelques mètres, tenant une liste de papiers et barrant des lignes au fur et à mesure qu’il fronçait les sourcils. Apparemment, il ne portait qu’un simple poignard à la ceinture. Soit il était doué avec, soit inconscient. Elle attendit patiemment qu’il soit disponible et lorsqu’il releva les yeux vers elle, il saisit une autre feuille, la parcourut brièvement avant de s’arrêter sur une ligne.

— Tu dois être la massilienne… Lysabel de la Lune Sanglante, c’est ça ?

— Oui, confirma-t-elle.

— Très bien, dit-il en barrant son nom. Tu es à l’heure, j’aime ça. Ton chariot est l’avant-dernier, indiqua-t-il de la main. Tu peux y aller, je ferai une réunion avant le départ. Bienvenue parmi nous.

— Merci, salua-t-elle.

Mais il était déjà retourné à ses listes. Elle soupira. Tous les mêmes, ces maitres caravaniers.

Elle rajusta son sac et marcha vers le chariot qu’il lui avait indiqué. Elle aurait bien tenté un léger bond dans les airs, mais avec tous ces terrestres… ils allaient encore pousser des cris d’orfraie. Un homme chargeait des sacs dans le chariot, ça devait être lui. Pas une seule arme à son côté, à part un minuscule couteau qui ne devait être bon qu’à ramasser des herbes. Elle fit la moue. Pas étonnant qu’il ait besoin d’un garde du corps, mais en général, les marchands savaient quand même se défendre un minimum…

Puis il redescendit du chariot et se tourna vers elle. Lysabel se figea. Au milieu de ses cheveux blonds, elle distinguait une mèche rouge, ornée d’une perle noire. Un guérisseur ! Il avait fallu qu’elle tombe sur un guérisseur ! Qu’est-ce qu’elle avait fait à Eraïm pour mériter ça ? Et pourquoi sy Dorenc lui avait-elle parlé de marchands ? Elle serra les poings. Parce qu’elle savait, évidemment. Elle savait que Lysabel aurait refusé, autrement.

Elle inspira un grand coup, visualisant sans peine l’inquiétude de Soren. Elle n’agirait pas sous le coup de la colère.

— Ah, vous êtes là, dit-il simplement.

Puis il écarquilla les yeux en apercevant les ailes blanches et elle se retint de soupirer. Encore un.

— Je suis Josh Verduro, se présenta-t-il. Vous devez être la mercenaire que j’ai engagée ? La Seycam autorise ça ? Car ça veut bien dire que vous appartenez à la Seycam, ces ailes blanches, non ?

— Lysabel de la compagnie de la Lune Sanglante, répondit-elle. Je préfère le tutoiement, on ne fait pas tant de manière chez les guerriers. Je suis la cousine de la Djicam de Massilia, oui, est-ce que ça pose un problème ?

— Du tout, du tout. Je ne pensais juste pas… enfin. Il reste un peu de place pour vos… pour tes affaires, si jamais.

— Les ailés voyagent légers, rappela-t-elle.

Elle défit pourtant son sac et le plaça dans le chariot, en profita pour jeter un œil à l’intérieur. Il y avait des caisses, des sacs, méticuleusement ordonnés. Certaines caisses étaient même entourées de couvertures alors elle supposa que leur contenu était fragile. Tout était solidement attaché ou maintenu. Elle hocha la tête. Au moins, il connaissait son affaire.

— Tu as déjà fait le voyage ? demanda-t-elle.

— Oui. Je ne m’arrête jamais très longtemps au même endroit.

Bien. Elle détailla les alentours. Tous les marchands n’étaient pas encore prêts au départ. Plusieurs étaient encore en train de charger leurs chariots ou d’atteler leurs bêtes. En même temps, une caravane qui partait à l’heure… en cinq années de métier, elle n’avait vu ça qu’une ou deux fois. Le ciel s’était couvert et un vent frais s’était levé, qui la fit frissonner. Elle n’avait pas prévu beaucoup de tenues chaudes et espérait ne pas avoir sous-estimé les saisons de Soctoris. Ce n’était pas le Royaume qui était le plus demandeur de leurs services, elle avait plutôt l’habitude des grandes plaines de Mouligraï où voler était un atout. Tant qu’ils seraient dans la forêt – l’affaire d’une semaine, a priori – ce serait plus difficile avec tous ces arbres.

— Je n’ai pas besoin que tu restes là, indiqua Josh. Tu peux te promener avant le départ, si tu veux.

Elle hocha la tête. Comme si elle avait besoin de sa permission ! C’était ce qu’elle comptait faire, d’abord.

Elle reconnut Kith au troisième chariot – le petit blond aux haches. Il discutait avec un grand gaillard qui portait un bouclier dans le dos et une lourde épée sur sa hanche gauche. Perchée sur la bâche d’un chariot du milieu, il y avait une archère, de Vénéré vu sa peau verte.

Le maitre caravanier siffla trois fois pour appeler au rassemblement. Lysabel se joignit à la petite foule. Ils étaient presque une trentaine. Un nombre à la fois raisonnable et conséquent. Elle espérait juste qu’il y ait des provisions en suffisance.

— Nous sommes apparemment tous là, déclara le maitre caravanier d’une voix forte. J’ai déjà distribué l’ordre de marche des chariots. Nous avons suffisamment de réserves d’eau pour traverser la forêt d’Ankaris par la route du Nord, nous referons le plein à la confluence de l’Orzon et de la Ronflante. Ensuite ce sera Nord-Ouest jusqu’à Poris. J’ai choisi de traverser l’Orzon sur le pont de Teros, bien en amont de Poris pour ne pas avoir à attendre derrière d’autres caravanes. Le beau temps devrait être présent sur la première partie du trajet, pour le reste nous ferons avec ! Des questions ? Non ? Alors en route !

Lysabel se prit à apprécier le côté direct du maitre caravanier. Zemus, si elle avait bien mémorisé son nom.

Les chariots s’ébranlèrent, avec toute la lenteur caractéristique de ce moyen de transport. Il était tard pour un départ – ils venaient de déjeuner – mais il était facile de s’imaginer que les prochains jours seraient plus intenses et Lysabel savait déjà qu’ils ne s’arrêteraient qu’à la nuit tombée. Josh s’était installé sur le chariot, tenant lâchement les rênes. Dociles, les chevaux suivaient le train.

Lysabel avait récupéré un cheval et trottinait à la suite du chariot, le chemin étant pour le moment trop étroit pour qu’elle puisse être sur son flanc. Ils n’allaient pas très vite et elle était curieuse de savoir où ils s’arrêteraient pour la nuit. Elle doutait qu’ils trouvent une clairière suffisamment vaste pour l’ensemble des chariots…

Elle reporta son attention sur les environs. Si proches d’Ankaris, ils ne devraient pas être la cible d’une attaque, néanmoins, elle était payée pour ça. Les frondaisons des chênes et des hêtres masquaient l’essentiel du soleil, créant des jeux de lumière sur le tapis de feuilles mortes qu’ils parcouraient. L’humus y étouffait les pas des chevaux et les essieux bien entretenus des chariots tournaient sans un grincement. L’atmosphère était… apaisante. Lysabel aurait adoré les bois si les arbres ne l’empêchaient pas d’utiliser ses ailes.

Assez rapidement, le chemin s’élargit et Lysabel fit quelques allers et retours le long de la colonne de la caravane. La route qui desservait la ville d’Ankaris, enclavée au sein de la grande forêt du même nom, était large, pavée et bien entretenue. Deux chariots pouvaient s’y croiser sans problème. Soctoris était un monde peu peuplé en dehors des grandes villes, et de grandes caravanes, bien plus importantes que la leur, reliaient les sept grandes villes en un circuit bien rodé.

Chaque chariot avait son garde ; Lysabel reconnut quatre membres de la compagnie du Lion Rugissant, des mercenaires qui avaient déjà participé à d’autres missions avec elle. Il y avait Jamila et Vertille, les deux Atlantes inséparables qui combattaient à l’épée ; Abby, la Cinquième à la peau noire, sa lance accrochée dans son dos et puis Io, le seul autre Massilien du groupe, avec ses épées.

C’était un bon ami d’Edward, alors elle espéra demander de ses nouvelles. Pas tout de suite, évidemment. Elle ne devait pas lui faire croire que leur séparation l’affectait autant. Et puis, c’était temporaire. Il n’avait pas clairement dit qu’il reviendrait, mais elle savait qu’il reviendrait, parce qu’il l’aimait, il le lui avait assez répété chaque fois qu’elle se montrait un peu trop jalouse. C’était à cause d’elle qu’il avait pris le large, pour qu’elle comprenne. Edward n’avait jamais voulu lui faire de mal, c’était elle qui prenait les choses trop à cœur.

Io n’était qu’un incorrigible séducteur dégoulinant de suffisance. Mais il se battait bien, alors, tant qu’il ne chercherait pas à fricoter avec elle, elle pourrait s’en accommoder.

Lysabel en profita pour faire la connaissance d’Ystrèle, une géante de Mouligraï. Comme Roxx, elle portait un bouclier sur le dos et une épée au côté. Souriante, elle parvenait à regarder Lysabel dans les yeux alors que celle-ci était juchée sur son cheval. Le dernier garde était Dimitri, de Kleïto, un arc long dans le dos avec un carquois et une fine épée sur ses hanches. Peu loquace, elle n’eut que peu de réponses à ses questions. Oui, il accompagnait Gisèle, et oui, ils étaient en couple et non le reste ne la regardait pas.

Lysabel regagna l’arrière de la colonne, ignora les signes de main enjoués de Kith et alla discuter technique avec Roxx. Il n’appartenait à aucune compagnie de mercenaires, louait lui-même ses services et accepta un entrainement avec elle le soir même. Enfin une occasion d’échanger ! Elle avait trop peu de collègues qui utilisaient un bouclier.

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