Chapitre 7

7 minutes de lecture

Le matin, au lendemain de l’attaque, le réveil fut difficile. Les antidouleurs avaient cessé de faire effet, alors Josh fouilla ses sacs à la recherche des remèdes nécessaires. Il espérait ne pas devoir épuiser son stock avant leur arrivée à Poris. Confectionner des baumes prenait du temps et il n’arriverait à rien sur ces routes cahotantes.

Il se refusait aussi à puiser dans ses reines des prés, qu’il destinait à la revente. Il avait un acheteur, là-bas, avec qui il avait échangé par Courrier. Par sécurité, Josh avait exigé une avance ; la moitié de la somme due avait été versée. Il se rappelait encore des sueurs froides de l’attente. Les Courriers de la Fédération avaient prêté serment, ils étaient censés être fiables. Néanmoins, Josh avait croisé trop d’hommes corrompus lors de son travail pour avoir totalement confiance.

Lorsque le Courrier était arrivé, il avait méticuleusement vérifié le paquet, intact. Il avait réglé le supplément, et dès le départ de l’ailé, était retourné à l’intérieur pour compter les pièces. Le compte était bon, heureusement.

Mais maintenant, il avait aussi la pression. Arriver à Poris dans les temps, arriver avec la marchandise intacte….

Cette attaque remettait soudainement en question la tranquillité du voyage. Il s’était attendu à des difficultés, oui, mais quand même… les bandits lui avaient paru plutôt nombreux.

Pourtant, Zemus ne différa pas le départ et la caravane s’ébranla peu après le petit déjeuner. De son siège, il pouvait voir les mines plus nerveuses des gardes censés les protéger. Comme s’ils réalisaient enfin que c’était leur travail d’anticiper les menaces !

Il jeta un coup d’œil à sa droite. Lysabel, la Massilienne, chevauchait à côté du chariot, la main sur l’épée à son côté. Elle lui paraissait nerveuse et pour une fois, ne cherchait pas à remonter la caravane pour papoter.

Elle croisa son regard, se rapprocha. Zut. Voilà qu’il serait obligé de faire la conversation.

— Zemus a-t-il découvert après qui ils en avaient ?

Josh secoua la tête.

— Pas que je sache.

Il y eut un instant – béni – de silence, puis elle relança :

— Je me demande ce qu’ils cherchaient. Nous en avons tué trois mais plusieurs se sont enfuis. Et puis, ce n’est pas comme si nous transportions des choses de valeur, dans ces chariots ? Kith disaient qu’ils étaient concentrés sur l’arrière de la caravane, mais moi je pense que c’était parce que nous formons l’arrière-garde.

Josh sentit son sang se glacer dans ses veines. Était-il possible que… non. Personne ne pouvait savoir qu’il transportait des reines des forêts dans les caisses de son chariot. Il les avait chargées lui-même, avait scellé chaque caisse avec soin. Le seul au courant, c’était son acheteur à Poris. Et la ville était encore bien loin. Peu étaient les Soctorisiens à vivre en dehors des sept grandes villes de la planète. Évidemment, il y avait quelques villages çà et là – ils ne devraient pas tarder à arriver à l’un d’entre eux – mais aucun ne pourrait abriter autant de brigands, et surtout, ils étaient isolés. D’ailleurs, ils méritaient à peine le nom de village. Il s’agissait le plus souvent de grandes fermes où logeaient plusieurs familles, derrière une palissade défensive. Car les brigands n’étaient pas les seuls dangers. Les grandes plaines de Soctoris abritaient aussi de nombreux animaux, dont les myrkkrirs, grands prédateurs.

Il se rendit compte qu’elle attendait une réponse et s’éclaircit la gorge.

— Ce sont des choses qui arrivent, c’est tout.

— C’est tout ? s’étonna-t-elle. Je te pensais plus curieux, guérisseur.

— La curiosité n’apporte que des ennuis, rétorqua-t-il.

Elle pinça les lèvres. Voilà qu’en plus il l’avait vexée. Grand bien lui fasse.

— Je vois.

Elle talonna son cheval et dépassa le chariot pour aller discuter avec l’autre garde, un peu plus haut, et Josh soupira.

Il était de nouveau seul.

Il appréciait la solitude. Avoir grandi dans un orphelinat surpeuplé, dans le bruit perpétuel des pleurs et des cris, lui avait appris à apprécier le silence. De ces années, il ne gardait que peu de souvenirs. Les coups, il avait fallu s’y faire, tout comme il avait fallu se battre pour les repas. Il y avait les bandes rivales, bien sûr, les enfants plus âgés, et ceux qui étaient seuls, comme lui. Se faire discret, se faire oublier ; c’était devenu un réflexe, une habitude qu’il avait gardée en grandissant.

Quitter l’orphelinat pour l’internat d’Ankaren avait été une bénédiction. Évidemment, il s’était imaginé que rien ne pouvait être pire que ses camarades de l’époque, et évidemment, il s’était trompé. Alors oui, il y avait eu de bons moments. Apprendre, notamment. C’était difficile, mais intéressant. Les corvées… nécessaires. Il avait détesté chacune d’entre elles, se souvenait encore des heures passées à quatre pattes à laver le plancher. Le linge à porter à la rivière, lors des hivers glacés, alors qu’il fallait casser la glace pour atteindre l’eau, si froide… les engelures étaient l’occasion de mettre en pratique leurs connaissances. Fabriquer un baume pour les soigner avait été leur première tâche. Il avait si bien réussi le sien qu’il avait été la cible de ses camarades. Tout était prétexte à compétition, après tout. Si jusque-là il était parvenu à se faire discret, ce jour-là il avait échoué. Et avait encaissé une correction qu’il n’avait jamais oubliée.

C’était aussi ce soir-là qu’il avait découvert son pouvoir.

Le regard brouillé par la douleur, il avait cru que les lignes de couleur qu’il percevait étaient le fruit d’hallucinations. Il les avait effleurées de ses doigts gourds et ensanglantés, avait gloussé en s’apercevant qu’elles se modifiaient à son contact. Et il était resté bouche bée, lorsque, soudain, la douleur avait reflué. Il s’était relevé sur des genoux flageolants, une main crispée sur le chambranle de la porte du dortoir, l’autre devant ses yeux, comme transparente, sillonnée de couleurs changeantes. Il ne savait plus comment il avait réussi à se trainer jusqu’à son lit ; savait juste qu’il avait dormi deux jours entiers et qu’à son réveil, tout avait changé. Son maitre l’avait séparé de ses tortionnaires ; non par bonté d’âme, mais parce qu’il était devenu bien plus qu’un simple Apprenti guérisseur. Qu’il soit capable de percevoir les lignes énergétiques du corps, encore mieux, qu’il soit capable d’agir dessus, signifiait qu’il appartenait aux rares Soctorisiens capables de devenir des guérisseurs Initiés.

Dans l’immédiat, plus qu’un honneur, c’était un surcroit de travail, sans aide de la part de ses camarades. Maitre Clyssandre s’était montré encore plus exigeant, le punissant chaque fois qu’il échouait ou ne se montrait pas assez rapide à son goût. Josh l’avait rapidement haï. À ses dix ans, on l’avait confié à un autre professeur. Maitresse Vinciane. Méfiant, il ne s’était pas attendu à un grand changement, et en effet, elle s’était montrée aussi dure que son précédent professeur. Seule nouveauté, ils avaient quitté Ankaren pour visiter les sept autres écoles de Soctoris. Pas pour faire de nouvelles connaissances, oh non, juste pour comparer les talents de leurs étudiants. Josh était sanctionné à chaque échec, même lorsqu’il faisait de son mieux. C’était profondément injuste. Il était le plus jeune, celui avec le moins d’expérience, à quoi s’attendait-elle ?

À quinze ans, ils avaient quitté Soctoris pour parcourir les douze Royaumes.

Et s’il avait d’abord ouvert des yeux émerveillés sur les nouveautés qui s’offraient à lui, il avait rapidement déchanté. Les Guérisseurs n’avaient presque jamais droit au respect. Ceux qui venaient dans les dispensaires ne voyaient que le côté gratuit des soins, ne se rendaient pas compte de la disponibilité des Soctorisiens. Combien de fois Josh s’était-il épuisé à soigner des égratignures, juste parce que leurs patients l’exigeaient et que Maitresse Vinciane voulait les satisfaire ? Parce qu’il était orphelin et qu’il n’avait pas d’autre choix, il avait attendu, rongeant son frein jusqu’à sa majorité. Là, il avait été chercher lui-même son paiement au dispensaire, puis en avait claqué la porte sans même prévenir Maitresse Vinciane.

Il se souvenait très bien de ce jour où, jambes tremblantes, il s’était retrouvé seul en plein centre de Valyar, la capitale de Sagitta et des douze Royaumes, une bourse bien remplie à sa ceinture. L’endroit parfait pour disparaitre. Il s’était fondu dans la masse, avait passé trois jours à se reposer dans une auberge, puis avait choisi sa prochaine destination en lançant une pièce. Il s’était joint à un convoi pour passer la Porte et se rendre sur Mouligraï. Il aurait dû recevoir sa perle blanche des mains de Maitresse Vinciane, mais, comme il était parti en douce, il ne lui avait laissé aucune occasion de la lui remettre. Ce qui l’arrangeait, parce qu’ainsi, il était seulement un Guérisseur comme les autres. Seuls les Initiés étaient tenus de pratiquer dans des dispensaires et Josh s’y refusait. C’était peut-être bien payé mais les patients étaient trop exécrables.

Alors il avait pris ses petites habitudes, allant de petits villages en villes moyennes, économisant chaque pièce, évitant de rester trop longtemps au même endroit. Parce que malgré ses bonnes résolutions, il ne pouvait s’empêcher d’utiliser ses pouvoirs de guérison sur les gens qui le nécessitaient ; et chaque fois, il avait peur d’être découvert et réquisitionné.

Annotations

Vous aimez lire Notsil ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0