Chapitre 9

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Elle partait et elle revenait, n’arrêtait pas de bouger. La regarder suffisait à le fatiguer. Était-ce spécifique aux ailés ? Leur métabolisme était différent de celui des terrestres, ça c’était sûr, mais quand même… Josh secoua la tête, s’attirant un regard noir de la massilienne.

Elle ne comprenait pas. Pour elle, la vie se résumait à identifier des ennemis avant de les tuer. Il l’avait vue. Ses attaques précises visaient des points vitaux. À aucun moment elle n’avait cherché à faire un prisonnier, à blesser, à assommer. Comme si la vie n’avait pas plus de valeur qu’une chandelle qu’on souffle.

Il en avait une vision radicalement opposée. La vie était précieuse, et même s’il se plaignait de l’ingratitude de ses patients, Josh ne s’imaginait pas les abandonner à leur sort. Il compensait par d’autres gains, n’espérant pas changer le système.

Il s’intéressait peu à la politique, se tenait au courant du minimum, de loin. Les nominations des Djicams, de temps à autre, le vote des grandes lois à l’Assemblée. Quand il passait par une auberge, il aimait bien lire les journaux et apprendre ce qui s’était passé dans les autres Royaumes. Il voyageait souvent et pourtant était loin d’avoir visité les recoins de chaque Royaume, parce qu’il s’éloignait peu des grands axes et des Portes. La seule exception était Soctoris, bien évidemment. Il y était né et il y avait étudié, c’était son monde, le seul endroit où il pouvait discuter techniques et procédés avec des confrères Guérisseurs.

La Djicam Eveline avait succédé au Djicam Elyo cinq ans plus tôt, et pour le moment, semblait bien défendre leurs intérêts. Elle avait fait augmenter les tarifs de paiement des soins aux dispensaires, comme elle avait aussi ouvert leurs écoles aux autres citoyens des douze Royaumes. Ça, ça avait fait grincer des dents. Les Soctorisiens n’avaient pas aimé l’idée de dévoiler leurs secrets à des étrangers. Sauf que, et là, Josh était d’accord avec elle, la Djicam avait pointé que si des citoyens d’autres Royaumes apprenaient leurs techniques, ils n’auraient plus besoin d’aller y servir et pourraient rester près de leurs familles. Pour le reste, personne n’égalerait un Soctorisien, il en était persuadé. Peut-être qu’ils arriveraient à maitriser les techniques basiques – comme ces herboristes niléens persuadés d’être de bons guérisseurs parce qu’ils connaissaient quelques herbes – mais il doutait qu’ils en trouvent dotés du pouvoir de guérison, à moins qu’ils n’aient un lointain ancêtre Soctorisien dans leur arbre généalogique.

Apprendre à manier les énergies était dangereux, sans guide. Chaque Soctorisien connaissait quelqu’un qui s’était tué à la tâche et Josh ne faisait pas exception. Un autre gamin issu d’un orphelinat, comme lui. Nox, qu’il s’appelait. Têtu et dur à la tâche. Malgré les mises en garde de leur enseignant à Ankaren, il avait voulu s’exercer en secret et en avait payé le prix. Un matin, ils l’avaient simplement retrouvé immobile dans son lit, mort, drainé par les énergies qu’il était censé manipuler.

Josh n’oublierait jamais l’expression de terreur sur les visages de ses camarades. Ils avaient connu les risques, sans vraiment les prendre au sérieux, pensant que leurs professeurs voulaient les effrayer, mais la mort de leur camarade les avait tous choqués.

Le convoi s'immobilisa et Josh tira sur les rênes pour arrêter les chevaux. Qu’est-ce qui se passait ? Ils n’étaient pas encore arrivés au point de campement convenu le matin même et il restait encore une ou deux heures de jour.

À côté, Lysabel s’était dressée sur ses étriers pour mieux voir.

— Ca ne parait pas être une attaque, dit-elle enfin.

Et il percevait de la déception dans sa voix. De la déception ! Il était plutôt soulagé.

— Je vais voir, ajouta-t-elle.

Il n’eut même pas le temps de répondre qu’elle avait talonné son cheval pour aller aux nouvelles. Il soupira. Et si des bandits attaquaient, maintenant ? Il n’y aurait plus que Roxx pour les défendre. Magnifique. Ça se disait mercenaire mais ça n’avait aucune idée des stratégies, apparemment. L’incident qui avait poussé la caravane à s’arrêter pouvait très bien être une diversion.

Soudain mal à l’aise, Josh serra les rênes de son attelage. Il se retourna, chercha Amanda derrière lui. Elle lui adressa un signe de main depuis son chariot. Roxx n’était pas visible, il devait donc surveiller leurs arrières.

Josh reporta son attention sur les alentours.

Depuis qu’ils avaient quitté la forêt d’Ankaren, ils évoluaient au milieu d’une plaine vallonnée, ponctuée de buissons épineux. L’herbe d’un beau vert ondulait sous le vent frais de la fin de journée et était rehaussée de bleu là où les phacélies s’épanouissaient. Il n’y avait pas de quoi cacher des dizaines d’hommes dans la plaine. Peut-être deux ou trois dans les buissons, d’accord, mais ça, ils avaient de quoi les affronter.

Rassuré, il descendit de son siège et alla calmer ses chevaux d’une caresse. Leurs oreilles s’agitaient, signe de leur inquiétude. Josh aimait les animaux. Plus simples à comprendre que les humains, plus sensibles, plus empathiques. Une main sur l’encolure du noir, il ferma brièvement les yeux et se concentra pour percevoir les flux d’énergie. Tout allait bien, à part peut-être au-dessus du sabot arrière gauche. Il vérifierait ce soir au campement – s’ils reprenaient la route pour y arriver.

Il répéta la procédure sur le bai, nota une légère inflammation sur un tendon de la jambe avant gauche. Josh fit glisser ses mains sur la partie concernée, ajusta doucement les lignes énergétiques. Le cheval s’ébroua, gratta légèrement le sol du sabot. Josh se redressa pour le flatter sur l’encolure.

— Voilà, c’était pas grand-chose mais ça ira mieux.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

Josh sursauta en se retournant, main sur le cœur. Lysabel le dévisageait, curieuse. Qu’est-ce qu’elle faisait là ?

— Un petit massage, mentit-il en reprenant contenance. J’ai vu qu’il boitillait tout à l’heure.

— Oh. Je ne savais pas qu’on pouvait masser les chevaux. C’est efficace ? Il faut le faire tous les jours ?

— Est-ce qu’on reprend la route ?

Elle pinça les lèvres. Vexée qu’il n’ait pas répondu d’abord à ses questions ? Il y avait pourtant plus urgent.

— Une roue du chariot d’Etheniel a cassé. Ils sont en train de réparer. Ystrèle monte la garde dans les environs. Zemus dit qu’on va avancer quand même, vu qu’ils ont tout le matériel nécessaire. Nous montons le camp et nous reviendrons voir s’ils ont besoin d’aide.

Ils n’arriveraient clairement pas à soulever le chariot à eux deux, estima Josh, mais il garda ses réflexions pour lui. Ils avaient dû réussir à caler un support pour parvenir à changer la roue.

— Alors en route.

Il regagna son siège, attendit que le chariot devant lui s’ébranle pour faire claquer ses rênes. Bientôt, ils les dépassèrent et Josh ne put retenir une grimace. Plusieurs rayons de la roue avaient cassé, ce serait long à réparer, il doutait qu’ils en terminent avant ce soir. Enfin. C’était leur problème.

Il arriva enfin au point de rendez-vous et guida son attelage aux côtés des autres. Chaque soir, les chariots formaient un large cercle autour de leur feu et c’était bien plus sécurisant que les arrêts impromptus dans la forêt. Pendant qu’il s’installait et nourrissait les chevaux après les avoir brossés, Zemus discutait avec Chasme et Hassan de la suite des évènements. Chasme vendait du vin et avait des délais serrés à tenir pour arriver à Poris, se souvenait Josh. Hassan vendait des tapis niléens ; vu le ton qu’il employait, il paraissait pressé aussi. La nuit était tombée quand Etheniel les rejoignit. Maussade, il expliqua qu’au moment où ils avaient monté la roue réparée, l’essieu avait cassé. Ça, c’était autre chose. Aussitôt le ton monta entre les marchands et Josh observa que les mercenaires se tenaient soigneusement à l’écart.

Il s’approcha des autres marchands. Lui aussi avait un acheteur qui l’attendait à Poris, mais il ne voulait pas non plus être abandonné par les autres juste pour une panne… alors que ça aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre eux. En plus, Etheniel était forgeron, disposait de tout le matériel nécessaire. Sachant qu’il avait déjà fallu retoucher trois fers depuis le début de leur voyage…

Il serait aussi impossible de transférer le contenu de son chariot dans les leurs, déjà bien plein. D’accord, lui avait encore pas mal de place par rapport à d’autres, mais c’était hors de question qu’il autorise un autre que lui à pénétrer son chariot, au risque qu’il tombe sur les caisses. La Massilienne, c’était plus simple, il avait juste eu à lui dire que la marchandise était fragile et qu’il ne fallait pas y toucher. En plus elle se contentait de s’enrouler dans ses ailes pour s’endormir – ce qui était fascinant, même s’il n’aurait jamais osé demander si c’était confortable.

Mais Chasme et Hassan refusèrent de céder aux demandes de Zemus de patienter un ou deux jours pour tenter de réparer le chariot. Su, la discrète marchande de bois, tenta de les dissuader. Elle était prête à dépanner Etheniel avec une partie de sa marchandise, même si Josh doutait qu’ils puissent manipuler les lourds troncs de cèdre si facilement.

Au matin, ils furent les seuls à atteler et se préparer au départ. Zemus chercha à les convaincre une dernière fois, sans succès. Josh regarda les mercenaires discuter âprement. Vrai qu’ils étaient quatre de la même compagnie, le Lion quelque chose. Mais Vertille était liée par contrat à Chasme, donc elle salua ses camarades qui se résolurent à la laisser partir.

Un bref instant, alors qu’ils s’éloignaient sur la route, Josh se demanda s’il n’aurait pas dû les rejoindre. Les réparations pouvaient être longues, il le savait pour en avoir fait les frais.

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