L’ennui s’était acoquiné avec les tourments. Ainsi, Lisa oscillait entre l’un et l’autre depuis des semaines. Elle écrivit à Léonard pour lui annoncer qu’elle prenait une pause et ne reviendrait pas avant longtemps. Elle ne se sentait pas la force de croiser Salai.

Salai qui hantait ses pensées le jour mais surtout la nuit. Elle sentait ses mains sur son corps, son odeur sur sa peau. Elle avait le cœur en lambeaux. Elle savait sa décision raisonnable mais rien n’y faisait. Les larmes qu’elle versait à l’intérieur la noyaient de chagrin.

Elle était presque vexée qu’il n’est pas tenté d’entrer en contact avec elle. Comme si cette séparation ne l’affligeait pas. Peut-être s’était-elle trompée ? Peut-être avait-elle rêvé son amour ? Il ne le lui avait jamais avoué.

Francesco voyait bien que sa femme avait l’air plus triste que d’habitude. Il n’en comprenait pas la raison. Il avait pris contact avec Albina afin qu’elle rende visite à Lisa.

Lisa ne pouvait pas se confier à Albina. Elle ne lui avait rien dit. Elle n’osait pas. Elle lui servit une histoire de morale qui l’aurait remis sur le droit chemin. Rien de plus. Elle ne savait pas si Albina la croyait mais elle ne se hasarda pas à poser de questions.

Cet après-midi-là, elle la reçut volontiers. Cette visite lui fit du bien. Avant de partir, Albina l’invita, elle et son mari au repas qu’elle organisait le samedi soir dans sa maison.

Francesco et Lisa arrivèrent les derniers. Albina aimait le luxe et l’ostentation. Elle avait revêtu une robe d’un vert intense qui faisait ressortir le teint de lait de sa peau et l’auburn flamboyant de ses cheveux. L’étalage des ses joailleries sur son cou, ses bras et ses oreilles alourdissait l’effet. Elle accueilli les derniers arrivés avec chaleur tout en les taquinant sur leur retard habituel. En pénétrant dans la salle à manger qui grouillait de monde, Lisa ne vit qu’une seule et unique personne. Salai. Une apparition onirique. Elle se retint au bras de son mari pour ne pas flancher. Salai savait-il qu’elle serait invitée ? Et pourquoi Albina l’avait-elle convié, lui ? Tommaso, le mari d’Albina s’approcha pour les saluer. Francesco s’écarta avec lui, laissant Lisa plantée sur le pas de la porte, incapable d’avancer. Albina suivant le regard de son amie, sortie Lisa de sa contemplation :

« Tu ne m’en veut pas j’espère ?

- Quoi ?

- De l’avoir invité, lui. Dit-elle dans un mouvement de tête vers Salai.

- Je… Bien sûr que non.

- Tant mieux. Je le trouve amusant. Il mettra un peu d’ambiance et de jeunesse. »

Albina s’éloigna dans un grand rire, marchant droit vers un Salai qui venait de se retourner vers elle. Lisa eu un pincement au cœur. Salai regardait son amie avec convoitise. Il ne s’était pas encore aperçu de sa présence. Pour garder sa contenance, elle s’approcha d’un groupe dont les visages lui était familier pour se mêler à la conversation. Elle n’écoutait pas vraiment et répondait par des oui et des signes de tête absents. Son attention était toute tournée vers le couple au fond de la salle qui semblait passer un moment des plus agréable.

Ainsi, elle s’était bel et bien trompée sur les sentiments de Salai. Il ne vivait pas les tourments qu’elle endurait elle. Elle le voyait très nettement sous ses yeux. Elle peinait à garder le sourire de convenance qu’elle avait revêtu. Elle s’éloigna du groupe, et sans le vouloir se rapprocha d’Albina et Salai. Sur son chemin, elle croisa Marietta Machiavel, petite femme blonde outrageusement enceinte. Elle la stoppa dans son avancée :

« Dona Lisa.

- Dona Marietta. Voilà longtemps.

- Oui, je suis ravie de vous voir ici ce soir.

- Je vois que vous vous portez bien ?

- Oui. Dit-elle en caressant son ventre avec tendresse. Notre premier enfant avec Nicolas.

- Mes félicitations.

Lisa resta là, à attendre, elle ne savait quoi.

- J’ai appris que vous aviez eu un autre enfant ?

- Oui, un fils, il a eu un an.

- J’espère avoir un fils aussi.

Un fils, toujours un fils. Les filles étaient précieuses aussi. Lisa le savait bien.

- Je vous le souhaite Dona Marietta. Je vous prie de m’excuser mais…

- Bien sûr, allez-y. »

Enfin libérée de l’importune Mme Machiavel, Lisa continua à foncer droit sur Albina et Salai qui ne s’étaient toujours pas quittés. Arrivés à leur hauteur, elle salua Salai froidement.

« Albina. Dit-il de sa voix doucereuse. Voulez-vous nous laisser un instant avec Lisa ?

- Bien sûr. On se voit tout à l’heure.

Salai dirigea toute son attention sur Lisa qui ne savait plus bien pourquoi elle s’était jetée dans la gueule du loup.

- Je suis heureux de te voir Lisa.

Elle ne répondit pas.

- Tu m’as l’air bien pâle.

- Au contraire de vous. Lâcha-t-elle avec un peu trop de véhémence.

- Parfois les apparences sont trompeuses Bella.

Ce sourire qui la faisait chavirer. Son cœur se contracta.

- Je ne comprends pas bella. Que veux-tu de moi ?

- Je…oh, je ne sais plus vraiment.

- Tu doutes Lisa, cela me donne de l’espoir.

- Non Salai, il n’y a aucun espoir. Je m’excuse, je n’ai pas voulu agir comme une femme jalouse.

- L’es-tu ?

- Quoi ?

- Jalouse ?

- Je n’en ai pas le droit.

- Non tu n’en as pas le droit.

Cette adhésion à son sentiment lui faisait mal. Dans le fond, elle aurait préféré le combat, le feu qu’il savait mettre en toute chose.

- Nous pouvons être amis Lisa.

- Je ne sais pas.

- Que crains-tu ?

C’est elle-même qu’elle craignait mais ça elle ne pouvait pas lui avouer. Albina s’interposa entre eux, leur tendant deux verres de vin.

- Voilà qui dégèlera un peu l’ambiance entre vous deux. Se moqua-t-elle.

- Merci Albina mais votre seule présence pourrait faire fondre tous les glaciers de la planète.

Albina minauda comme une jeune-fille. Tapotant le bras de Salai en signe de remerciement. Le feu dévorait les entrailles de Lisa. Elle leur aurait jeté son verre en plein visage. Mais elle ne pouvait pas agir de la sorte sans déclencher un véritable scandale dont les florentins étaient friands. Elle se contint. Comme l'enfant bien élevée qu’elle était. Elle voulut se détourner de leur joie trop pesante mais Salai la retint par l’épaule.

- Dona Lisa, Il faudra venir jeudi. Léonard doit finir le tableau.

Elle le regarda des éclairs dans les yeux. Il le faisait exprès. Elle ne pouvait pas refuser sans raison valable devant Albina.

- Oui évidemment.

Et elle les laissa là sans se retourner.