Chapitre III. Liverpool, Juillet 1846
Ils sortaient, par grappes de cinq ou de six, des jeunes et des vieux, hâves, déguenillés. Toute la pauvreté de cette terre était tassée sur le pont de ces vaisseaux. Des barges, des cotres et des voiliers, petits et gros, traversaient la mer d’Iroise quotidiennement. L’Irlande mourait de faim, l’ile se vidait de sa population. Tous ceux, qui n’avaient pas fui en Amérique ou en Australie, débarquaient à Leeds, Cardiff et Liverpool où ils n’étaient pas les bienvenus.
Les Anglais, depuis toujours, détestaient les Irlandais. Ils étaient sauvages, catholiques, paresseux et sentaient mauvais. Partout sur les quais de Liverpool fleurissaient des pancartes, portées à bout de bras, par des hommes et des femmes, qui ne voulaient pas de cette migration.
Vous n’êtes pas les bienvenus !
Jetez-les à la mer
Partez, nous n'avons pas besoin de vous !
La foule, bien que menaçante, n’était pas violente pour l’instant. Un cordon de Bobby’s était stationné au cas où …
Fort heureusement, Padraig, Alaina et leur progéniture ne savaient pas lire l’anglais. Ils le comprenaient un peu et ne le parlaient pas. ils voyaient bien que la foule était hostile, ils n'étaient pas des nigauds, ils s'y attendaient de toute façon. Eux non plus n'aimaient pas les anglais, mais ils n'avaient pas le choix, c'était l'infamie ou la mort. La tête basse, le clan O’Brien au grand complet descendait la passerelle du City of Dublin. Le voyage maritime épouvantable avait duré une journée et une nuit . Tous ne supportaient pas le roulis. Ils avaient été malades, leur état n’était pas fameux.
Birghit, l’aïeule n’avait pas pu terminer la longue marche qui leur avait fait traverser l’ile. Elle reposait désormais en terre celte. Pour elle, le calvaire était fini.
Derrière le père et la mère, les enfants amaigris avançaient difficilement. Desmond et Tom, le regard dur et les poings serrés, talonnaient les parents. Anna, la cadette, trottinait comme elle pouvait derriére ses fréres Maureen souffrait d’une forte fièvre, enroulée dans une toile, elle était soutenue par Dana, l’ainée, qui, le visage exangue, les traits tirés avait perdu son bébé et son mari dans le périple. La pauvre femme n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait étée.
Abigael les attendait. Depuis qu’elle avait reçu la lettre de sa sœur, elle venait chaque fois qu'on annonçait un bateau de migrants, il en arrivait tous les jours, des biens hâves, des dégueunillés; elle en avait vu des milliers de misérables défiler. Elle était heureuse d’avoir épousé un gentil Écossais prospére, un négociant en spiritueux ! son affaire était florissante. Si les Anglais détestaient les Écossais et les Irlandais catholiques, ils adoraient leur whisky . Le single malt coulait à flots dans les tavernes du port.
Murray, le mari, sobre pour une fois avait attelé une charrette. Il l’avait prévu, après un tel voyage, tous seraient fatigués. Les enfants au moins, n’auront plus à marcher. Il avait connu la pauvreté autrefois dans ses highlands lointains et brumeux. C’était du passé maintenant, mais il n’avait jamais oublié ! on oublie jamais, l'odeur et le gout de la patate pourrie,ni les crampes d'estomac d'un ventre vide. S'il était prospére maintenant, il ne fallait pas oublier le ciel et le remercier de façon quotidienne.
Maureen était brulante de fièvre, sa tante l’arracha aux bras de sa petite sœur et l’installa avec les autres enfants dans la paille fraiche qui tapissait le fond du chariot. Elle la borda d’une fine couverture en tweed. La jeune fille gémissait doucement. La pauvre, elle n’en avait surement pas pour longtemps.
Le reste de la famille cahin-caha emboita le pas tranquille de l’immense cheval de trait.
Maureen dormait maintenant paisible, elle rêvait de son ile merveilleuse. Elle courait dans les prés et les landes. Pieds nus dans l’herbe mouillée et odorante. Elle bondissait pied joint dans les minuscules mares bordées d’ajoncs . Une eau boueuse et noire l’éclaboussait. Son rire cristallin résonnait dans les marais. Sa sœur Cathy lui souriait, assise sur un billot de bois elle lui parlait doucement comme on parlerait à un petit animal apeuré !
La tête de Maureen dodelinait maintenant son rêve avait changé. Le plancher ou elle était allongée craquait à nouveau, le ballottement de la voiture similaire à la houle, la faisait tanguer comme sur le bateau pendant cette maudite traversée, elle se sentait faible vaseuse. Elle aurait voulu se lever, voir les cotes irlandaises s’éloigner, son corps ne la portait pas. Une voix qu’elle entendit à peine, celle de sa mère la rassurait et la tira de sa mortelle torpeur.
-Chut, Maureen, nos soucis sont terminés , nous allons nous installer chez ma sœur le temps que tu guérisses, ensuite nous rejoindrons ton frère qui nous attend à Boston. Chut ! Dors ma chère enfant, nous sommes sauvés alléluia !
Ainsi, ils n’étaient plus sur ce maudit bateau, elle ouvrit les yeux essaya de transpercer l’épais brouillard n’y voyait rien.
Elle marmonna
— À boire, j’ai soif ! Avant de sombrer dans l’inconscience à nouveau !
Alaina était inquiète, elle se tourna vers son mari, Padraig , lui dit, des larmes au fond de la gorge :
— La petite est brulante de fièvre, C'est ce diable de Dieux qui la rappelle à lui, il n'a donc pas fini sa terrible moisson ?
Le géant roux baissait la tête, fermait les poings et sans regarder sa femme entonna un air de chez eux ! Tous, autour de la charrette se taisaient désormais, seul le père de famille de sa belle voix de baryton chantait !
— Pourquoi dieu nous as tu chassé de nos terres, tu devais nous protéger ?
Pourquoi nous voles-tu nos enfants nos parents, un à un ?
Pourquoi Dieu, pourquoi, qu’avons-nous fait pour mériter ça ?
Saint Patrick, sainte Brigid priez pour nous.
Laisse-nous notre enfant, tu nous as déjà tant pris !
Laisse-nous là, encore un peu !
Les foules de malheureux massés sur les quais et dans les rues des bas quartiers priaient vociféraient eux aussi. Ils se signaient au passage du lugubre attelage. Tous, avant de quitter Mayo, Sligo, Roscommon, Limerick,Tipperary...avaient perdu des proches . Combien de femmes d’ enfants et des maris reposaient dans une tourbière, dans une fosse commune ou au fond de la mer. Résignés ils serraient leurs proches encore en vie et se détournaient , un fugace signe de croix hâtivement expédié.
La charrette continuait sa marche monotone, Padraig continuait de chanter, improvisant des paroles, plus touchantes les unes que les autres. Au fond de lui il espérait sans trop y croire que sa Maureen allait vivre. Son petit écureuil, qui était venu le chercher dans ce champ ou pourrissait les patates ce jour maudit ou ils avaient compris que seule la fuite était de mise.
— O’ Dieu, protège tes enfants d’Irlande, protège Maureen, protège Alaina, protège nous tous, ceux qui sont, ceux qui ne sont plus et…
non c’était plus fort que lui, son coeur savait que Sean était son fils, qu’il l’avait choyé aimé, mais il ne pourrait lui pardonner !
C’est Alaina qui regardant son mari d’un air mauvais finit la phrase à sa place
— O Dieu! protège également notre fils Sean !
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