C’est difficile de parler d’Alex…

Mais je ne pouvais pas écrire sur ma vie sans parler de lui… Il a été un gros chapitre, et il a fait de moi ce que je suis devenue.

Ma mère m’avait toujours dit que j’avais sans cesse besoin de « sauver » les âmes perdues…

Je crois qu’elle avait raison, Alex en est la preuve.

La première fois que j’ai rencontré Alex, je me baladais sur le front de mer à Veules ; casque de walkman aux oreilles ; les Red Hot, Led Zep et les Guns m’accompagnaient.

Vanessa et Tigui étaient restés en région parisienne et à Rouen et je n’avais pas envie de monter à Blosseville.

Je me souviens qu’il faisait froid, le vent me balançait un crachin normand glacial au visage. Peu m’importait, j’étais seule avec moi-même, je me plongeais dans mes pensées et je vidais mes idées noires en pleurant et chantant sur mes musiques préférées, c’était tellement salvateur !

D’un coup, je sentis une main me taper sur l’épaule.

Je me suis retournée sans enlever mes écouteurs, surprise par cette interpellation inattendue.

Les larmes continuaient à couler sur mes joues, je ne connaissais pas la personne devant moi, je lui souris malgré tout, n’entendant plus la musique qui défilait dans mes oreilles.

Lui aussi était surpris et, à la vue de ma tête, il restait sans voix.

Je lançais alors :

- Salut, je peux t’aider ?

Il me fit signe d’enlever mes oreillettes, avec une moue à la fois amusée et compatissante.

- Oh désolée…

J’enlèvais enfin mes écouteurs.

- Alors toi, t’es vraiment pas banale comme fille…

- Ah merci, je prends ça comme un compliment – rire géné.

- Ma copine, son cousin et moi, on aimerait faire un billard mais on n’est que trois, on voudrait savoir si tu veux bien faire la quatrième ?

- Franchement ça me dit carrément mais à mon avis vous allez le regretter.

- C’est sûr que si tu continues de pleurer comme ça, ça va être compliqué…

- Ah non, ne t’inquiète pas, j’étais en train d’évacuer mais c’est bon, passer des larmes aux rires, ça m’fait pas peur. Par contre vous, vous allez pleurer de rire en me voyant jouer…

- Ce n’est pas grave, on t’apprendra.

- Ok, je vous suis !

Alex, Justine et Tom étaient adorables, on a passé l’après-midi à jouer au billard, à rire. Du pur bonheur. Le pauvre Tom était désespéré de me voir si mal jouer.

- Tu n’as pas menti, effectivement tu es vraiment nulle !!!

- Oui je vous avais prévenus !

- Alex s’en fout lui, sa meuf c’est une crack au billard ! Pas de chance il n’y avait que toi qui était assez dingue pour trainer à la plage aujourd’hui…

A force de persévérance, il réussit finalement à m’apprendre à viser correctement, je finis par devenir presque bonne ! On a même gagné la dernière partie ! Chance de débutante ? Sûrement !

- Yes Isa, tu apprends vite en fait !!! Aller je paie la première tournée !

- Tape-là on forme une bonne équipe tous les deux, tout compte fait !

- Tu bois quoi ?

- Une pression s’il te plaît.

On a bu deux bières, on a refait le monde, puis on est repartis, on ne savait pas si on allait se revoir un jour mais on avait tous passé un super moment et ça nous suffisait.

Je n’ai plus croisé ces trois là dans le village, les portables n’existaient pas à cette époque, je ne pouvais donc pas les contacter. Ce fût donc un magnifique souvenir…

Quelques mois plus tard, le centre équestre ayant fermé et Tigui ne venant plus à Blosseville, Vanessa et moi décidions de fréquenter de nouvelles personnes.

- Quand tu n’étais pas là le week-end dernier, j’ai rencontré un groupe de gars à Veules ; tu vas voir ils sont cools, tu vas les adorer. On a rendez-vous à la plage avec eux dans 30 mn. Partante ? me dit-elle

- Yep, on y va !

Arrivées à la plage, nous avons rejoint une dizaine de garçons assis sur le muret près du jardin d’enfants.

- Zabou, je te présente Julien, Bertrand, Olivier, Christophe, Damien et Alex. Les autres, je ne les connais pas encore… Les gars, voici ma pote dont je vous ai parlée la semaine dernière, Zabou.

- Euh salut… Je connais déjà Alex… On a joué au billard ensemble il y a quelques mois.

- Ah ah la reine du billard !!! Content de te revoir !

- Moi aussi, je pensais que tu avais déménagé, je ne t’ai jamais revu.

- Ah ah tu sais moi je vais, je viens, je ne suis jamais là où on m’attend !

- Non ça c’est sûr ! enchérit Julien

Comme je vous l’ai dit dans le chapitre précédent, ces garçons sont devenus ma famille, je passais tout mon temps avec eux.

Alex était celui que je connaissais le moins, il n’était pas souvent avec nous. Il vivait à Saint Valéry en caux, avait un demi-frère avec qui il passait beaucoup de temps. Sa vie de famille était extrêmement compliquée. Ils ont dû vendre leur magnifique maison dans un quartier prisé du bourg pour un appartement dans les immeubles du quartier mal famé de Saint Valéry. Je n’évoquerais pas ici les raisons, puisque nous n’en avons jamais parlé ensemble lui et moi, et que je les tiens de rumeurs que je n’ai jamais essayé de vérifier car cela m’importait peu…

Un week-end, je rejoignais mes amis dans le local de l’école que la mairie nous mettait à disposition, l’ambiance était tendue, leurs traits étaient tirés, la bonne humeur habituelle avait disparue.

- Qu’est-ce que vous avez les gars ? Vous revenez d’un enterrement ou quoi ?

- Personne ne lui a dit ?

- Quoi ? Vous ne m’avez pas dit quoi ?

- C’est Alex !

- Quoi qu’est-ce qu’il a ? Aller ça suffit ce bordel, qu’est ce qui se passe ?

- Son père est mort !

Gros blanc…

- Il a fait un AVC, Alex a essayé de le réanimer mais le temps que les pompiers arrivent, il était déjà parti.

L’inhumation était prévue dans la semaine.

Alex et sa famille ne s’en sont jamais remis.

Sa mère buvait énormément, son frère qui était déjà fragile continua sa descente aux enfers et Alex…

Alex essayait tant bien que mal de tenir la place de chef de famille, il essayait de les tenir à bout de bras, mais il était si jeune… Et il n’en avait pas les épaules, la tâche était beaucoup trop lourde.

Il s’enfonçait lui aussi dans ses travers, alcool, drogue… Je l’apprendrais bien plus tard et à mes dépends… Toutes sortes de drogues.

Nous ne le voyions encore moins qu’avant, afin de rapporter de l’argent chez lui, il avait arrêté ses études après un BEP je crois. Il avait pris un emploi dans le désamiantage comme son frère, alors qu'il devait s'engager dans l'armée et s'installer dans les îles, afin de soutenir sa famille par sa présence et son aide financière.

Pourtant, je ne sais plus pourquoi, il reparut bien plus souvent l’année 99. Cette année là était très difficile à la maison, je ne passais pas beaucoup de temps en famille. C’est aussi l’année où ma grand-mère s’est éteinte alors que j’étais seule avec elle et la nourrice de ma sœur pendant que mes parents étaient en voyage avec des amis.

Un autre garçon du groupe était revenu parmi nous après plusieurs années d’exil parisien : Stéphane.

Nous passions tout notre temps tous les trois. On fumait, on buvait, on zonait. Parfois on faisait des allers-retours pour la région parisienne, Alex allait chez des « potes » et Stéphane et moi l’attendions dans la voiture. J’adorais ce dernier, il me faisait rire, il avait un accent de titi parisien, on s’entendait vraiment bien, on se charriait, on discutait, on passait de très bons moments. Avec Alex, c’était différent, c’était le « bad-boy », ses regards me glaçaient, son côté sombre m’attirait, il était généreux et égoïste en même temps. Sa fragilité me touchait. Je n’arrivais pas à savoir si c’était quelqu’un de bien ou de mauvais. il était simplement détruit mais essayait de faire face à sa manière.

Un jour, alors que l’on revenait d’une virée tous les trois, après une pause, ils ont décidé de me parler.

- Voilà Zabou, on est tous les deux amoureux de toi. Il faut éclaircir la situation, on te demande de faire un choix, Alex, moi ou aucun des deux...

Je pense que Stéphane était celui qui m’aimait le plus sincèrement des deux.

- Si tu choisis Alex, tu le regretteras, il est trop instable, il va te faire du mal. Je suis vraiment amoureux de toi, je ne te ferai pas souffrir.

Mais voilà, finalement je ne suis pas si différente des autres filles. Le côté sombre d’Alex était bien plus attirant que le côté gentil et naïf de Stéphane. Je choisis Alex…