Partie 2 - 2
Ça commence mal. Le PIM perso en rade. Je penserai à le positionner correctement sur un des chargeurs la prochaine fois. Heureusement que le cerveau a son propre système. Une chance : chez moi il est infaillible. Je n’ose pas imaginer l’effet d’une session manquée sur ma note. De quoi ramer un bon moment. En revanche, pas le temps de prendre une douche. J’ouvre le vestiaire, attrape un bleu, l’enfile. Je passe vers le synthétiseur. Il me dégorge deux galettes et un jus multivitaminé accompagné de mon traitement « Anti-tout ». C’est plutôt efficace leur chimie à TerMarTer. C’est rare de tomber malade. Quand ça arrive, ça impressionne toujours : quatre gars de belle stature équipés comme pour aller se balader en surface. Deux qui te mettent dans un caisson, deux qui nettoient là où tu es passé. Ensuite direction la quarantaine. Pendant ce temps-là, un remplaçant fait ce qu’il peut à l’entrepôt. Parfois, il se débrouille bien ; alors, c’est la note qui fait le choix final.
Le matin, c’est le seul moment où ça bouge dans les couloirs, avec une même obsession : entrer dans un transport. J’aime bien ce moment. On a enfin l’impression d’être humain. Ça grogne, ça pardonne, ça bougonne. C’est multicolore. Les bleus, des Respots comme moi. Les rouges aux cultures. Les verts aux recycleurs. Mais on est tous TerMarTer.
Bon, j’ai dû batailler un peu. Prétendre un léger mal de dos. Mais j’y suis : côté hublot, à une rangée de la jonction. J’ai cru voir Marlo s’installer. D’habitude, c’est le contraire. Un vert s’assoit près de moi. Vu sa tête figée dans son PIM perso, je devrais être tranquille pour ma séance de recherche. C’est peut-être la première fois que j’attends avec tant d’impatience le départ et les consignes de sécurité de TransMars. Elles résonnent enfin. Je les savoure, malgré le ton synthétique. En douceur, le magnétisme fait sa magie. On ne sent rien, une légère accélération tout au plus. Pourtant, on passe de zéro à cent en un clignement d’œil.
Je reste le visage collé au hublot. Le vert, ça doit l’étonner. Je risque un coup d’œil. Même pas ! Toujours accroché à son pupitre. Je retourne à mon observation. On va passer le moment que je déteste. Le « clac ». Il n’est pas violent. Vous n’êtes pas sonné. Mais il est toujours présent. Il n’existe aucun remède. Entre les différents sites de vie sur Mars, on repasse dans la pression d’origine. Les rames compensent ce brusque changement. Il n’y a rien à craindre. Mais cela fait des années qu’il est présent et j’ai focalisé là-dessus. On y arrive. On passe les trois spots lumineux, puis « Clac ». Ça me rend dingue à chaque fois. Pourtant, beaucoup semblent s’en accommoder.
Les transports filent à toute vitesse, mais ralentissent légèrement lors de leur croisement. Je reste scotché au hublot. J’en ai presque mal aux yeux de ne pas les laisser cligner en paix. Ça y est. Je vois la luminosité changer. On ralentit. C’est comme dans un film. Ça défile au ralenti. Je vois les autres. Ils ont la même tête que nous. Rien d’étonnant. On se voit. Un autre bleu en face. Il m’a regardé ; j’en suis certain. J’ai la tête qui va exploser. J’ai dû faire un bond. Ça a gêné le vert apparemment, assez pour lui dévisser les yeux de son PIM Perso. Après m’avoir dévisagé comme si j’étais louche, il se replonge aussi sec dans son quotidien.
Moi, je suis aux cent coups. Ça ne peut pas être possible. Il m’a vu. J’ai à peine discerné son visage. Il me ressemblait un peu. Ça doit être lui. C’est complètement fou.
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