Le plongeon
Les jours passaient, et mes pensées défilaient. Comme nos messages. Au départ, j'étais intimidée. Je n'osais pas trop venir te parler par peur du rejet, de t'ennuyer, ou de me faire de fausses idées sur le fait que tu m’appréciais. Alors j'y suis allée à tâtons. On a parlé d'un membre sur mon serveur, modération, boulot, … Puis je me suis faite droguée en soirée. Je t'en ai parlé. Et de ce jour-là, un petit rituel s'est progressivement installé. Tous les jours, nos portables respectifs étaient illuminés de nos petits mots. Parfois et même souvent, on parlait pour ne rien dire, pour s'apprendre, se découvrir. J'étais morte de trouille tu sais. Une fois de plus. J'avais constamment peur que ce que je percevais devenir une amitié ou plutôt une relation (car les étiquettes, c'est vraiment nul) unique et importante pour moi ne soit en fait qu'un mirage. On en a déjà parlé, mais je me fais vite un avis sur les gens en général. Et j'ai assez peu d'entre deux. J'ai besoin de m'investir et m'impliquer activement avec les gens à qui je tiens. Il y a aussi cette chose qu'on appelle « feeling ». C'est comme un courant électrique qui te parcours des pieds à la tête, pour repartir vers ton cœur et te signaler que ce que tu vois, ce que tu entends, ça vaut la peine d'être vécu. Quoi que ce soit. Qui que ce soit. En général, il est accompagné d'une petite phrase bien placée de ta conscience. Tu sais « ce qu’est la conscience » ? « Je vais te le dire. La conscience, c’est cette tranquille petite voix que personne ne veut entendre. C’est à cause de ça que tout va mal de nos jours. ».
Cette fois, j'ai décidé d'écouter mon Jiminy Cricket. Je ne m'y autorisais plus depuis des mois voire des années, pour rentrer dans le moule, avoir une vie normale, être moins catégorique et sûrement en finir avec les jugements qui entouraient mes prises de décisions. Mais avec toi, c'est différent. Rapidement, tu as su me mettre en confiance. J'ai eu l'impression de ne plus maîtriser grand-chose à partir de ce moment, une sensation de flottement : j'étais comme un ballon de baudruche tenu par une unique ficelle. Tu m'as énormément déstabilisé tu sais. Je t'en ai presque voulu, alors que tu n'y étais pour rien. Seulement, quelques mois à peine avant de faire ta rencontre, on avait déjà joué avec mon cœur. Tantôt on s'y agrippait, on l'attachait à côté d'un autre. Tantôt on en défaisait sciemment les nœuds qu'on avait noué juste avant et on le lançait haut dans les airs, lui ordonnant de s'envoler loin dans le ciel. En fait, je pense que c'était de manière à l'avoir toujours à porter, pour pouvoir toujours l'observer. Ainsi, on avait plus à se soucier de la solidité du nœud, on se retirait cette responsabilité et on pouvait se défaire plus librement de ses propres attaches. Sauf que tu me connais déjà bien assez comme ça : mon cœur est lesté. Il n'est pas volatile, rempli d'hélium comme tant d'autres. Alors quand on finissait de défaire cette dernière boucle, rattachée à ses propres barrières, je tentais de rattraper et de renouer ces nœuds dans les miens. Quitte à m'emmêler, à se chamailler, à perdre le fil. Je jetais au feu toute les aiguilles, les bords saillants qui auraient risqué d'abîmer ces ballons de baudruche. C'est comme ça : quand quelqu'un est prêt à fuir sa réalité ou le reste, je ne suis pas du genre à tressaillir, à lâcher cette personne. Je garde toujours en moi la lueur d'espoir qu'un jour, quelqu'un aura la force de (re)-faire ces tours de ficelles par-dessus les miens ou même pour quelqu'un d'autre. Mais que même dans un chacun pour soi, on puisse continuer de tracer un chemin ensemble. Aujourd'hui, mes nœuds sont solides, mais ils ont juste besoin d'avoir des gens comme toi en tant qu'attache.
A alors commencé une nouvelle page de ma propre aventure. Un pas, puis deux, puis toi et me voilà de nouveau à valser. J’étais devant la falaise, et tu m’as poussé dans le vide, tout en me jetant le parachute, au cas où. Tel une archéologue, j’ai minutieusement mis à découvert tes névroses et j’ai tenté d’en prendre soin du mieux que je pouvais. Tu l’avais sous-entendu : tu avais besoin de temps. J’espère sincèrement t’en avoir laissé assez.
Premier week-end de septembre, j’étais au plus mal. Une amie avait disparu sans laisser de traces. A. était venu la veille pour tenter de m’aider et me soutenir. Et en parallèle, il y avait toi, avec tes messages, qui arrivait à m’arracher constamment un sourire. Tu étais un soutien important dans ce moment tortueux. Le lendemain, on devait aller voir Shang-Shi à trois, on ira à deux. C’est à ce moment là que mon embarras à commencer. J’ai eu une énorme crise d’autodénigrement, sans doute dû aux récents évènements. A quelques minutes à peine de se retrouver, je n’osais plus sortir de chez moi, j’avais une mine décrépie, j’ai pleuré pendant de longues minutes. Tu as fini par m’envoyer un message vocal en mode full ironie, pour me faire comprendre que ma peur était légitime mais inutile au moment présent. Que toi, tu t’en foutais que je ressemble à un tic-tac de Fall Guys qui se serait manger trois ou quatre rhinocéros. J’ai fini par arriver en face de toi, qui aura mis un petit moment à lever la tête. Tu as menacé de me goomer, on en a rigolé. Et on est enfin rentré. On a acheté nos tickets, on attendait pour montrer nos pass et nos places et on se toisait. Toi, je ne sais pas, mais moi je t’observais. Je t’épiais sous toute les coutures, certaines plus que d’autres. Je me noyais doucement dans tes yeux mordorés quand un délicat frisson décida de me traverser. De délicieuses et intimidantes chatouilles dans le ventre, un étrange court-circuit directement en provenance du cœur : pas de doute possible, je suis tombée amoureuse de toi à ce moment précis. Nous avons fini par pénétrer dans cette salle obscure, vide de tout être humain. Avant d’aller s’installer, tu m’as dit quelque chose. Est-ce que tu t’en rappelles ?
Tu vois, t’es jolie comme tout. Est-ce que tu as réfléchis avant de le dire ou est-ce que c’est sorti naturellement ? Est-ce que tu as eu conscience sur le moment du poids de tes mots, de leur impact ? Nul ne le sait en dehors de toi. Toujours est-il que ces sept petits mots m’ont beaucoup perturbé, parce qu’ils étaient extrêmement sincères dans ta bouche. Je crois que c’était la première fois que je prenais ce compliment pour ce qu’il était et pas pour une tentative étrange de flatterie intéressée. Et je crois que ce n’était pas la première fois que tu me faisais cet effet-là. Combien de fois tu m’avais déjà répété cette putain de phrase à cet instant ? Tu sais, les gens qui t’aiment resteront. Les autres s’en iront et c’est pas grave. Encore des mots qui m’ont énormément changé en très peu de temps. Je ne sais pas pourquoi maintenant. Ce sont pourtant des choses que j’avais déjà entendu par le passé, mais peut-être que je n’étais pas prête à l’intégrer et à la comprendre. C’est la première étape déjà de prendre conscience que c’est toi qui te mets en difficulté et non les autres. Tu vas voir ça va te libérer. Une leçon supplémentaire. J’ai fini par croire qu’en fait, tu me cachais ta véritable identité depuis le début et que tu étais en réalité Mufassa dans son petit nuage : N’oublies pas qui tu es.
Revenons à cette douce obscurité. Tu es passé devant moi, on est allé s’asseoir et quelqu’un est rentré dans la salle pour voir le film. Honnêtement, j’ai presque oublié sa présence. Le film a démarré et avec lui un vacarme intérieur particulièrement intense. Qu’est-ce qui se passe ? Je me rappelle encore l’avoir crié dans ma tête, sans pour autant avoir la force de réagir d’une quelconque manière que ce soit. S’en est suivi un premier contact assez délicat, on a réalisé, on a pris des distances. Puis le contact est revenu, non sans mal et sans hésitations. Progressivement, ta main et la mienne se cherchaient et s’entremêlaient. Je me rappelle encore t’avoir regardé et avoir pensé Mais il est tellement serein, comment il fait ?! alors que de mon côté, je m’évertuais à me rappeler comment respirer. Mon cœur battait à un rythme indécent, si bien que j’ai finis par perdre connaissance pendant un court instant. Tu m’expliqueras par la suite que tu étais dans un état similaire au miens, et honnêtement, j’ai peiné à y croire. Tu paressais si stoïque, au fait de ce qui se passait et à l’aise avec l’idée. Je n’en revenais pas. La scène post-générique passée, on est sorti dans la nuit : c’était l’heure de se dire aurevoir. Tu m’as proposé de me ramener chez moi, on a discuté à côté de la voiture, dedans, engloutis par nos pensées respectives. Après un échange de silence et de sourires niais, j’ai longuement hésité à faire le premier pas. J’avais envie de poser ce fameux premier baiser sur tes lèvres. Mais j’étais paralysée par ma peur. C’était trop intense, trop rapide, trop tout et émotionnellement, ça a été le blackout.
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