Chapitre 16
Conflans Sainte Honorine
Salma et Marie avaient imprimé plusieurs jeux de photos. John Hunt avait fait un beau travail et les quatre malheureuses victimes faisaient un peu moins peur à voir. Marie avait réussi à faire accepter un rendez-vous à son amie qui lui avait donné proposé de la retrouver dans un café au bord de la Seine.
Pendant ce temps, Salma avait prévu de se rendre à l’improviste dans quelques centres d’accueil du secteur. Elle n’espérait pas de miracle, mais ne voulait négliger aucune piste.
Le contact de Marie, Hélène Darmont, était une femme d’allure insignifiante au premier regard, mais qui dégageait une énergie perceptible lorsque l’on entrait dans sa sphère. Marie avait fait sa connaissance lors d’un stage, quelques années plus tôt. Hélène y donnait les rudiments des pratiques de négociation relationnelle à une petite assemblée de bénévoles venant de diverses associations. Marie y participait à titre personnel et avait caché son appartenance à la police judiciaire. Les deux femmes avaient sympathisé et s’étaient revues quelques semaines plus tard. Il n’avait pas fallu longtemps à Hélène pour mettre à jour la jeune fonctionnaire. Elle lui avait exposé que sa proximité avec certaines populations survivant, son mot, aux marges de la société française, la rendait particulièrement sensible aux rigueurs et brutalités de l’administration. Les forces de police constituaient pour elle le bras séculier d’un état schizophrène, professant les Droits de l’Homme sur la scène internationale, mais laissant des hommes, femmes et surtout enfants, dans le dénuement le plus abject, au seul prétexte qu’ils n’avaient plus d’identité, ayant fui guerre, intégrisme religieux ou misère systémique dans leur région d’origine.
Marie avait mollement tenté de défendre son corps d’origine et son engagement dans la police pour lutter contre le crime et établir la justice, mais elle avait bien senti que ses arguments étaient minces face à la conviction et à l’engagement d’Hélène. Les deux femmes avaient toutefois réussi à passer outre ces divergences et avaient continué à se voir en essayant d’éviter d’aborder les sujets trop clivants.
Aujourd’hui, Marie était particulièrement motivée pour demander l’aide de son amie et espérait ainsi réellement lui montrer qu’elles pouvaient de temps en temps se retrouver toutes deux dans le même camp.
En cette fin de matinée, Hélène était attablée au fond de l’établissement, un ordinateur portable ouvert devant elle, une tasse de thé fumait sur le côté. Elle parcourait le texte sur son écran, tout en prenant des notes d’une écriture nerveuse. Marie resta quelques instants devant la table avant qu’elle ne remarque sa présence et la prie de prendre place en face d’elle. Elle referma son portable et rangea ses notes dans un grand sac informe.
- Alors, dis-moi ce qui t’amène jusqu’ici. Je suppose que c’est assez grave, pour que tu fasses appel à moi.
Marie lui résuma la découverte des quatre femmes, sans trop insister sur les détails sordides, et expliqua comment le groupe était arrivé à la conclusion que les victimes étaient peut-être toutes des immigrées clandestines, ayant eu la malchance de croiser la route d’extrémistes particulièrement dangereux. Elle lui présenta les photos retouchées, rappelant qu’à ce jour, aucune des malheureuses n’avait pu être identifiée.
- Je n’attends pas de toi que tu nous aides à appréhender les coupables, mais que tu nous permettes d’identifier certaines d’entre elles. Peut-être pourrais-tu faire circuler ces images autour de toi. Ces femmes ne vivaient surement pas seules. Quelqu’un a forcément constaté leur disparition. L’une a été retrouvée près d’ici, à Achères. Nous n’avons rien contre tes protégés, nous cherchons seulement à trouver ceux qui ont fait ça, et éviter qu’ils ne continuent leur jeu macabre, car pour nous il est presque certain qu’ils tuent par défi.
- Je ne promets rien, répondit Hélène, mais je vais essayer. J’espère que tu es sûre de toi et qu’on ne va pas voir débarquer les uniformes.
- Tu as ma parole, dit Marie avec conviction. Comme tu le vois, je suis venue seule, mon chef a donné son accord à ma démarche, mais je n’ai même pas cité ton nom.
- Appelle-moi demain soir, je vais faire passer le mot et les photos d’ici là.
Marie embrassa son amie et sortit du café. Une fois dehors, elle appela Salma.
- Alors, elle va nous aider ?
- Oui, je crois qu’elle a compris où était son intérêt. Je pense lui avoir fait peur en laissant planer l’ombre d’un groupuscule néo-fasciste dans le secteur.
- Tu crois que c’est ce genre d’individus qu’on recherche ?
- Tu as entendu Ivo et Boris ?
- Oui, et ce qu’à dit le légiste, que l’on n’a pas affaire à un meurtrier unique, mais sans doute plusieurs individus.
- Alors on n’a pas de temps à perdre, il faut les arrêter avant qu’ils ne recommencent. Et toi, tu en es où ?
- Je suis à Poissy, j’ai discuté avec l’animateur d’une association d’aide aux migrants, sans succès. Je n’ai pas ton savoir-faire avec les témoins. C’est tout juste s’il a jeté un œil aux photos. Il m’a tout de même donné les coordonnées d’un foyer qui accueille des syriens à Mantes.
- Tu passes me chercher à Conflans, on y va ensemble ?
- OK, je suis là dans un quart d’heure.
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