Chapitre 23

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Versailles

Marie fut la première à se rendre dans la salle de réunion, un peu avant l’heure prévue. D’un naturel discret, elle n’aimait pas se faire remarquer, et encore moins charrier, lorsqu’elle arrivait après les autres.

Elle ne remarqua pas tout de suite la journaliste qui était installée au fond de la pièce, absorbée par le texte qu’elle était en train de taper.

— Bonjour Marie, dit Julie en l’entendant entrer.

— Oh, vous m’avez fait peur, je pensais être la première.

— Désolée, puisque nous avons quelques minutes devant nous, est-ce que ça vous dit de bavarder un peu avec moi ?

— Oui, bien sûr, répondit Marie. De quoi voulez-vous parler ?

— De vous, bien entendu. Vous savez pourquoi je suis ici. Je ne suis pas spécialiste en fait divers, ni chroniqueuse judiciaire. Je m’intéresse avant tout aux personnes et aux relations humaines. Dites m’en un peu plus sur vous, ce qui vous a amenée à entrer dans la police.

Marie s’installa en face de Julie. La journaliste referma son portable, créant une atmosphère plus intime.

— Quel âge avez-vous ?

— Je ne suis pas loin de la quarantaine, je ne suis pas mariée et je n’ai pas d’enfant. Ce n’est pas un choix, mais les circonstances de la vie. Lorsque j’étais gamine, puis adolescente, je n’ai jamais eu d’attirance pour la police. J’aurais plutôt voulu être médecin ou infirmière. Malheureusement, au lycée on a préféré m’orienter vers la filière littéraire. Adieu la médecine, alors je me suis inscrite en fac de psycho. Il m’a fallu quelques années pour comprendre que je ne pourrai pas faire carrière dans cette voie, j’ai passé le concours de l’école de police, et voilà comment je me retrouve ici.

— Vous travaillez dans ce groupe depuis longtemps ?

— Deux ans à peu près, avant, j’étais au commissariat de Nanterre. C’était un autre type de travail, j’étais surtout là pour enregistrer les plaintes. C’est fou ce qu’on peut voir défiler dans ce rôle.

— Vous préférez ce poste ?

— Je me sens bien dans cette équipe, Sega, enfin le commandant Ségafredi, est un bon chef de groupe. Bien sûr, il y a des personnalités très différentes, comme partout, et c’est parfois un peu lourd pour une femme, mais dans l’ensemble, je n’ai pas à me plaindre, avec Salma, on se serre les coudes. Elle ne se laisse pas marcher sur les pieds.

— En effet, elle a du caractère, et le sang chaud.

— Oui, et je crois qu’on se complète bien. Elle n’a pas peur de parler aux caïds, et moi je sais mettre les témoins en confiance.

Le brigadier entra à son tour.

— Oh, excusez-moi, je ne voulais pas vous déranger.

— Il n’y a pas de problème, c’est l’heure de la réunion de toute façon, répondit Julie.

Boris fut le suivant, suivi de Salma et du commandant.

— Ivo et Franck sont sur la route, ils auront quelques minutes de retard, dit Ange. Nous allons commencer sans eux. Mesdames, à vous l’honneur, qu’avez-vous trouvé ?

Marie débuta en rapportant sa conversation avec son amie à Conflans puis laissa Salma continuer pour rapporter ce qu’elles avaient découvert au Val Fourré.

— Il semblerait bien que la victime 3 soit une syrienne sans papiers, hébergée par une famille à Mantes. L’animateur de l’association d’aide a une fiche qui correspond et il a reconnu la photo. Elle a dit s’appeler Nawal Asmudi, elle a quitté Palmyre pour fuir l’Etat Islamique autant que les forces gouvernementales. Son mari est mort et ses enfants ont disparu. Elle était en France depuis six mois environ. Nous attendons un contact avec la famille qui l’a accueillie.

— Vous n’avez pas pu les voir aujourd’hui ?

— Karim, le responsable de l’association, a suggéré de les contacter lui-même au préalable.

— Oui, je comprends, mais le temps passe et le procureur s’impatiente.

— Je le rappellerai dès la fin de la réunion, répondit Salma.

— Tu peux y retourner ce soir ?

— J’avais prévu de terminer la saison 3 des Experts Las Vegas, pour améliorer ma technique, mais je suppose que ça peut attendre, conclut Salma, sarcastique.

— Merci, et toi Boris, qu’est-ce que tu as trouvé ?

— On n’attend pas Ivo et Franck ? j’ai des choses qui pourraient les intéresser.

— Tu as raison, je vais vous parler du Vésinet alors.

— Ça les concerne aussi, non ?

Les deux intéressés entrèrent dans la salle juste à temps pour mettre fin à cette passe d’armes.

— Voilà la cavalerie, osa le brigadier Demange.

— Ouais, y en qui bossent dans cette équipe, grommela Ivo.

— On se calme, j’allais donner des infos sur la victime 4, celle du Vésinet. Je suppose que ça vous intéressera.

Ange relata sa conversation avec le commissaire Costelli.

— Nous avons donc probablement sur les bras le corps d’une ressortissante marocaine, employée plus ou moins légalement par un diplomate de l’Ambassade Chérifienne. Le procureur a parlé avec les Affaires Etrangères. Ils nous envoient quelqu’un demain pour servir d’intermédiaire. Nous allons aimablement demander au conseiller El Jabri de venir reconnaitre le corps de son employée et ensuite le Quai s’occupera du reste, sans vague, espérons-le.

— Tu crois qu’il peut être impliqué dans le meurtre ? demanda Ivo.

— Si on l’avait retrouvée, le corps couvert d’ecchymoses et avec des marques de sévices sexuels, on aurait pu s’interroger, mais là on a une série de quatre meurtres avec un protocole assez similaire à chaque fois, alors je dirais non. Par contre, le conseiller habite à deux pas des Delaveaux et j’aimerais que Boris nous dise ce qu’il a trouvé sur cette famille.

Le jeune geek se redressa sur son siège avant de commencer son exposé.

— Une simple recherche sur Google nous en dit long sur la carrière du père de famille, héritier d’une des plus grosses entreprises de construction. On retrouve Antoine Delaveaux dans divers conseils d’administration, mais aussi dans l’entourage de quelques élus plutôt conservateurs, ce qui est un atout pour réussir dans le bâtiment. Du côté vie mondaine, on le voit souvent dans la presse people, toujours bien entouré, mais rarement avec sa femme Marie-Louise, elle aussi héritière bien née, mais visiblement délaissée. Si on creuse un peu plus, on trouve aussi quelques affaires anciennes, dessous de table et contrats juteux aux appels d’offres truqués, à une époque où on n’était pas encore trop regardant. Il n’y a jamais eu de procès et le business à continué à bien se porter.

— Je vois le genre, ça correspond à ce qu’on nous a dit dans son quartier, commenta Franck.

— La femme passe son temps à fréquenter des clubs mondains, golf, équitation, bridge, le genre de clubs où on ne pourrait pas payer la cotisation et où il faut de toute façon se faire coopter. Elle a encore belle allure sur les photos, à plus de cinquante ans, mais si elle a des amants, elle est discrète.

— Bon, de toute façon, ce n’est pas elle qui a étranglé la bonne de la voisine, interrompit Ivo agacé. Parle-nous du fils.

— J’y arrive, je garde le meilleur pour la fin. Jean-Charles, le portrait parfait du jeune branleur qui profite du fric de papa. Inscrit en fac à Dauphine, fréquente assez peu les amphis à en croire les réseaux sociaux. Le profil officiel est assez classique, soirées arrosées, jolies filles et week-end avec les amis. Mais il y a un autre Jean-Charles, qui fréquente le Dark Net. J’ai remonté les connexions sur son ordinateur. Je n’ai pas pu identifier les suites visités, mais il se connecte régulièrement sur TOR. Il a aussi une messagerie cryptée sur son mobile, qu’il utilise surtout à des heures avancées de la nuit.

— Tu as une chance de pouvoir la décoder ?

— Pas facile, il va me falloir un peu d’aide, et je crois que vous ne voulez pas en savoir plus. J’aurai sans doute plus de chance de m’infiltrer dans les réseaux d’activistes. Chef, tu me paies les heures de nuit ?

— Si tu nous identifies le réseau, on pourra en reparler. En attendant, j’ai les réquisitions. Tu peux pister son mobile pendant la nuit du quatrième meurtre ?

— S’il ne l’a pas éteint, logiquement oui. Et s’il l’a coupé, c’est aussi un signe. Ces gars là ne les quittent jamais.

— Pendant que tu y seras, fais la même chose avec celui d’un certain Kevin Landraud, le mécano.

— Bonne transition, compléta Ange, qu'avez-vous sur ce type ?

Ivo fit un signe à Franck, pour lui laisser la parole.

— Le gars a vingt-cinq ans, squatte aux Mureaux, mais reste à l’écart des bandes qui tiennent les quartiers. Il bosse dans un petit garage à Limay, dont le patron donne dans le social et la réinsertion d’anciens taulards. Les voisins du garage le décrivent comme un skinhead, motard à ses heures. On sait par les Renseignements qu’il propage des idées néo-nazies sur certains forums. Boris n’aura sûrement pas de mal à nous retrouver ça. Les collègues des Mureaux n’ont rien de spécial sur lui.

— OK, le profil est intéressant, conclut Ange, Boris, peux-tu croiser ça avec « Mad Dog » ?

— Pas de problème, répondit l’intéressé, je m’y colle tout de suite.

— Parfait, la réunion est terminée, ceux qui n’ont rien de spécial à faire ce soir, profitez-en et rentrez chez vous. On se retrouve tous demain matin ici à huit heures, j’espère que d’ici là Boris aura des choses à nous apprendre.

Toute l’équipe se dispersa dans un brouhaha de chaises. Julie resta seule au fond de la salle. Elle n’avait rien dit pendant toute la réunion.

— Et vous, Commandant, vous avez quelque chose à faire ce soir ?

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