Chapitre 31
Paris
Le correspondant américain de Julie avait demandé à décaler le rendez-vous, ce que Julie avait bien été contrainte d’accepter, malgré l’heure tardive. Elle ne pouvait pas se priver de tels contacts et souhaitait pouvoir repartir rapidement en reportage à l’étranger. Il était près de deux heures du matin lorsqu’elle s’était enfin glissée dans son lit. Elle appréciait la liberté que lui conférait son statut de journaliste free-lance et avait décidé de ne pas brancher son réveil. Ce fut le soleil qui la réveilla, la matinée déjà bien avancée. Simplement vêtue d’un long t-shirt et les pieds nus, elle se dirigea vers la cuisine pour se préparer un café serré, unique constituant de son petit déjeuner.
La jeune femme habitait un petit appartement dans le quartier des Buttes-Chaumont, reçu en héritage d’une tante sans enfants. Ses revenus, quoique confortables pour la profession, ne lui auraient jamais permis un tel investissement. Depuis qu’elle avait abandonné le statut de salariée, elle avait aménagé une des deux chambres en un confortable lieu de travail où elle disposait de toutes les commodités qu’offraient la technologie pour se connecter au monde entier, les vidéo-conférences étant devenues le principal mode de dialogue avec ses différents donneurs d’ordres.
Elle n’en avait pas pour autant abandonné la documentation traditionnelle, et un mur entier était aménagé en bibliothèque, les étagères croulant sous les ouvrages les plus divers, allant du guide de voyage aux traités d’économie politique, mais les sujets que recherchait maintenant Julie en priorité étaient l’impact des changements climatiques sur les populations les plus vulnérables et l’évolution, trop lente à son goût, du statut des femmes dans les sociétés en voie de modernisation.
Bien que ses reportages aient été à plusieurs reprises reconnus et appréciés, elle ne disposait toutefois pas de la notoriété suffisante pour se permettre de refuser des propositions comme celle qui l’occupait en ce moment, et qui ne la motivait que très modérément. Heureusement, hormis le côté tragique de l’affaire, le destin de ces femmes inconnues avait éveillé son intérêt, bien plus que la vie ordinaire d’un service de police judiciaire. Et puis, elle ne pouvait pas nier son attirance pour le Corse ombrageux qui dirigeait le groupe.
Son café absorbé, elle lança son ordinateur pour consulter les messages de la nuit. Elle espérait une réponse d’un journaliste allemand avec qui elle avait collaboré dans le passé et qui s’était spécialisé dans les mouvances néo-fascistes d’Europe de l’Est. Elle l’avait interrogé au sujet de ces réseaux que les flics avaient identifiés, et qui avaient publié des images assez similaires à celles des crimes français.
Parmi les nouveaux messages, Julie repéra rapidement l’adresse d’Helmut Ortiz. Elle cliqua rapidement sur l’en-tête pour ouvrir le document. Après un court texte, suivaient une série de liens et quelques pièces jointes. Plusieurs articles, publiés dans la presse allemande, mais aussi tchèque, polonaise et hongroise, relataient des séries de meurtres de femmes d’origine étrangère, retrouvées nues dans des terrains vagues, souvent en bordure de rivières ou de lacs. Les liens renvoyaient vers des blogs ou des travaux universitaires, analysant l’émergence de groupuscules ultra-nationalistes, revendiquant parfois une filiation avec le Ku-Klux-Klan américain.
Très rapidement, la journaliste perçut la similitude avec ce que les enquêteurs avaient découvert. Elle appela Ange immédiatement. Professionnelle avant tout, elle ne prit pas le temps de demander si le policier avait apprécié la soirée et lui fit part de qu’elle avait reçu.
— C’est du lourd, le dossier est très documenté. Je suis prêt à le partager avec ton équipe, mais je veux en retour pouvoir communiquer les données sur ton enquête à mon collègue allemand.
Julie perçut un moment d’hésitation à l’autre bout de la ligne.
— Ce n’est pas dans mes habitudes de communiquer des infos sur une affaire en cours, mais dès que nous aurons mis la main sur les membres de la cellule, je m’engage à tout te donner.
— OK, je te fais suivre le dossier par mail.
— Note l’adresse de Boris, tu pourras lui envoyer en même temps.
— Pas de problème. J’ai du boulot aujourd’hui, mais je passerai demain. Je pourrai discuter avec ton informaticien ?
— Je n’y vois pas d’inconvénient, mais il est plutôt en horaires décalés ces jours-ci.
— Je m’en accommoderai, à demain.
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