Dépidermite aiguë

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Sa peau se décollait.

Il n’était ni un serpent ni un étrange papillon. Après une vilaine piqûre de moustique sur l’avant-bras, il n’avait pas pu se retenir de gratter. À sa grande stupéfaction, sa peau s’était déplacée de 5 bons centimètres sous ses doigts.

Il avait cru à une allergie ou une hallucination dûe à l’alcool qu’il avait descendu avant. Pourtant, le lendemain, le phénomène persistait. Le reste de son corps n’était pas touché. Il n’y avait que la peau de son avant-bras qui donnait l’impression de se décoller, d’être trop lâche par rapport aux os et à la chair en dessous. Comme si sa peau glissait sur une autre couche de peau. Et là, il n’avait pas bu. Il n’osait même plus se gratter. C’était trop inquiétant à observer.

Peut-être que c’était justement à cause de l’alcool ? Il avait replongé hier alors qu’il se rendait aux réunions AA depuis plusieurs mois. Son corps réagissait-il à cette trahison ? Dieu le punissait-il ? Honteux, il préféra rester dans son coin toute la journée, ne parlant à personne et ne se rendant pas à son travail. Il n’avait pas non plus le courage d’aller chez le médecin.

Le phénomène semblait s’amplifier d’heure en heure. En fin de journée, il pouvait déplacer la peau de son épaule de presque 10 centimètres en massant son poignet. Il ne fallait pas attendre. Sans trouver le courage, il laissa la peur prendre le dessus et le guider jusqu’aux urgences à côté de chez lui. Malgré l’attente prolongée, il resta jusqu’à voir un médecin. Le médecin en question l’observa quelques minutes avant de déclarer que c’était sûrement un phénomène isolé dû à la piqûre et que les choses reviendraient progressivement à la normale, avant de lui conseiller de prendre un ou deux dolipranes par jour le temps que ça passe.

Dans le doute, il lui remit tout de même une lettre de recommandation pour le dermatologiste le plus proche qui accepterait de le voir immédiatement. Peut-être qu’il avait contracté une maladie rare ? Un truc qu’on ne rencontre jamais dans la vraie vie mais qui arrive quand même en haut des résultats de recherche Google ?

Toujours poussé par la peur, il marcha sans réfléchir jusqu’au lieu indiqué sur l’ordonnance. Ses yeux se levèrent vers l’imposant bâtiment qui servait de cabinet à plusieurs médecins spécialistes, dont le dermatologiste. Il pensa à ce qui lui arrivait, à sa rechute d’hier à peine, à sa peau. C’était son problème, et le dermatologiste n’allait rien lui apprendre de plus. Pas question de finir comme un cobaye de film à la con. Être disséqué à la manière d’une grenouille serait plus dégoûtant que de vivre avec ce truc.

Alors, à la place d’entrer et d’assister à son rendez-vous, il se grilla une cigarette. La fumée montait tranquillement dans l’air du soir, loin des turbulences qu’il vivait au fond de lui. Il aurait bien pris un verre pour faire passer le truc, mais au vu des résultats récents, il valait mieux se retenir.

Ses pas le portèrent jusque chez lui. Une fois la porte claquée, il ôta son t-shirt pour voir les dégâts de plus près. Maintenant, la déformation atteignait la partie gauche de son cou. Ça ne pouvait pas toucher son visage. Il ne pourrait jamais travailler dans cet état.

Une bonne partie de la nuit s’écoula avec une certaine dose de panique avant qu’il finisse par s’écrouler de fatigue. Au petit-déjeuner, il eut une idée. Avec des élastiques, il pourrait tendre sa peau jusque dans son dos et tenir comme ça pour la journée. Un seul élastique au niveau de son omoplate suffisait. Il partit travailler et revint le soir sans que personne n’ait remarqué sa bizarrerie. Sa peau était encore plus détendue. Trois jours s’écoulèrent. Il avait maintenant un à deux élastiques retenant une masse de peau derrière chaque articulation, qu’il dissimulait le mieux possible dans son habit de travail. Il lui en fallait même un à l’arrière du cou pour maintenir son visage en place. Il remontait son col sur l’élastique pour masquer sa présence.

Le soir, en rentrant du travail, il avait mal partout et sa peau pendait comme une housse trop grande pour sa couette. À l’intérieur, il se sentait presque flotter dans cette enveloppe. Il n’osait même pas se regarder dans le miroir. Son regard se porta sur le bloc à couteaux sur son plan de travail. Prudemment, il fit un pas vers l’objet et tira un couteau du bloc, laissant ses yeux glisser sur le tranchant de la lame, prenant conscience de ce qu’il s’apprêtait à faire. Il fallait qu’il sache s’il existait encore là dessous. Le couteau pesait lourd dans sa main. Il pensa à tout ce qui pourrait lui arriver de mal. S’il touchait un organe vital, il serait cuit. Dans cet état, il n’était déjà plus très humain.

Cherchant un peu de bravoure, il croisa son propre regard dans le miroir. Avec la déformation de la couche extérieure de son corps, il avait l’air visqueux, comme s’il lui manquait des os.

Ne tenant plus, il plongea la lame d’un coup sec dans le sac de chair mou qui lui servait de peau. Ce fut comme une libération. Précis, il prenait les choses en main. Il serait un nouveau lui et laisserait sa mue derrière lui.

Ses gestes tranchaient et taillaient, révélant un nouvel homme prêt à éclore. Une fois le massacre terminé, le corps dans le miroir ressemblait enfin à l’image qu’il se faisait de lui-même. Il n’était pas parfait, mais c’était un nouveau lui, et c’était grisant. Sous la peau ramollie, il y avait une nouvelle peau qui n’avait rien d’étrange. À ses pieds, l’enveloppe morte gisait dans un tas de sang et de morceaux difformes et étirés. Passé le bonheur d’être un humain normal, une seule question le saisit d’effroi.

Qu’allait-il faire de toute cette peau ?!

Comment laisser le cadavre de son ancienne vie derrière lui sans attirer l’attention ? C’était presque un meurtre, l’assassinat d’un homme pour pouvoir renaître loin de son passé.

Un homme qui avait disparu mais que personne ne rechercherait plus jamais : le crime parfait.

À condition de savoir où jeter les restes.

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