Echo d'un autre monde

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Je n’ai pas entendu l'alarme ce matin-là. Pas le genre d'oubli que tu peux ignorer. Le genre qui te colle un frisson dans le dos. Quand tu te lèves à l’heure, mais tu te rends compte que c'est déjà trop tard. Une de ces journées où tu sais que quelque chose va merder, mais tu n’as aucune idée de quoi.

C’est pas la première fois que ça m’arrive. Le pire, c’est que je ne peux même pas dire pourquoi ça me stresse. C’est une sensation bizarre, comme si j’étais sur le point de faire un truc énorme, mais que je ne savais même pas de quoi il s’agissait.

Je me lève, comme d’habitude, et regarde le ciel. Ce bleu pâle, presque insipide, comme si le monde était un vieux film qu'on repasse en boucle. Je fais mon tour du matin : le miroir, la douche, la brosse à dents. Pas de problème, tout roule. Pourtant, quelque chose cloche. Je me sens comme si je n’étais pas vraiment là, comme si je me regardais dans un écran et pas dans un miroir. Ça me fout un petit malaise, mais je laisse ça de côté. Je n’ai pas le temps de réfléchir à ça maintenant.

La maison est calme. Trop calme. Ma mère est déjà levée, bien sûr, mais elle n’est pas là. Je jette un œil à la table de la cuisine. Pas de bruit, juste le sifflement léger de la bouilloire. Elle est assise dans le salon, son téléphone à la main, les yeux fixés sur l’écran. Elle ne m’a même pas entendu arriver.

Je me sers un café, pris dans ce rituel quotidien. Je ne lui parle pas tout de suite, et elle ne me répond pas. Pourtant, je sais qu’elle est là, mais parfois j’ai l’impression qu’elle n’est pas vraiment là. Ce regard figé, un sourire de façade, comme si elle vivait dans un autre monde. Ça m’intrigue, mais ça me fatigue aussi. Je me demande si elle se rend compte que tout ça, ça ressemble de plus en plus à une comédie d’horreur, où tout le monde joue son rôle sans se poser de questions.

« T’as vu l’heure ? » je lui lance, en attrapant une pomme sur la table.

Elle me regarde à peine, comme si la question n’avait pas d’importance. Un petit hochement de tête, et elle me sourit. Ce sourire figé, comme un masque trop bien ajusté. Je lève les yeux au ciel et commence à m’habiller sans trop de conviction.

Je prends mon sac, je vais chercher mes clés et je la laisse là, figée dans son monde. Avant de sortir, je jette un dernier regard à l’appartement. Tout est trop en ordre, trop parfait. J’ai presque envie de tout foutre en l’air, juste pour voir ce qui se passerait. Mais je ne le fais pas. Parce que ça aussi, c’est un autre problème. Je sens que quelque chose va éclater, mais je n’ai pas encore trouvé ce qui.

Je traverse la rue, les pavés sous mes pieds résonnent de plus en plus fort. Le bruit de la ville me frappe comme une décharge. Les gens marchent vite, la tête baissée, plongés dans leurs téléphones. Je me sens étrangère, comme si j’étais en dehors de tout ça. Comme si je ne faisais pas partie de ce décor. Ce sentiment m’envahit presque chaque jour. Le monde autour de moi bouge, mais je reste figée.

Les premières heures à l'école sont une routine, une succession de visages que je connais sans les connaître vraiment. Mes amis rigolent, parlent de trucs banals, mais moi, j’ai cette sensation bizarre qu’ils ne sont pas réels. Je les vois, mais ça me fait comme si j’étais en train de regarder un film, un mauvais film où personne ne se souvient de ses répliques. Chaque geste est trop mécanique. Chaque sourire trop poli.

Je regarde ma montre. La minute file et s’efface. Pas de ralentissement. Rien. Mais tout me semble trop rapide. Il y a des moments où je me dis que je n’ai pas le temps de respirer, que je suis déjà en retard sur quelque chose que je ne comprends même pas.

Dans la cour, il y a une agitation qui me fait frissonner. Le bruit des voix se fait plus fort, plus nerveux. Pourtant, je ne vois rien qui justifie tout ce bruit. Tout d'un coup, tout se fige. Mes yeux vont vers l'entrée, et je le vois. Noah. Lui, c’est un genre d’ombre, un type à part. Tu vois, il ne colle pas aux autres, il ne suit pas le rythme du monde. Il reste là, comme s'il attendait quelque chose. Il me regarde, sans sourire, comme s’il savait exactement ce que je ressens. Et il y a cette intensité dans son regard qui me fait m’arrêter net.

Je détourne les yeux. Pas parce que je suis gênée, mais parce que son regard, c’est comme si ça pouvait tout casser. Je me sens à la fois attirée et repoussée, comme une ligne de vie qui ne se croise jamais avec la mienne.

« Tu viens ou quoi ? » me lance Emma, une de mes amies, qui me sort de ma transe. Je la regarde, mais je ne sais pas si elle me parle vraiment, ou si c’est juste un autre écho. Je lui souris vaguement et je la suis, mais je ne peux pas m'empêcher de jeter un dernier coup d’œil à Noah.

Les heures s'écoulent dans un flou. Et puis, une fois que l'école est terminée, je ne rentre pas chez moi. Ce n’est pas que je veux fuir, c’est que je ressens ce besoin étrange d’aller ailleurs. Le parc derrière l’école, cet endroit où personne ne va, me semble soudainement l’endroit où je dois être. C’est comme un appel silencieux. Quelque chose me dit que je vais trouver une réponse là-bas.

Je traverse le parc. Personne. C’est désert, tranquille. L’air est frais, mais je sens une étrange chaleur sous ma peau, comme une tension qui monte. Et là, je le vois. Les fissures. Des éclats de lumière, comme des veines d’argent qui traversent l’air. Elles flottent, légères, invisibles, mais si réelles à la fois. Elles me rappellent ces moments où tu fermes les yeux, et pour une seconde, tout semble différent. Comme si tu étais dans un autre monde, et que tu revenais brusquement à la réalité.

Je tends la main, mais je n’ose pas. Si je les touche, je sais que je vais basculer. Et je n’ai aucune idée de ce qui m’attend là-bas. Mais la tentation est forte. C’est comme si ces fissures m’appelaient, m’offraient une porte de sortie, une chance de comprendre ce qui ne va pas.

Je reste là, à les observer, à les fixer. Et je me dis qu’un jour, je n’aurai plus le choix. Un jour, je franchirai cette frontière. Mais pas aujourd’hui. Pas encore.

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