1er Décembre
Je rabats la couette sur ma tête lorsque la sonnerie désagréable du réveil me sort des limbes agréables du sommeil. La reprise du lundi me fait toujours cet effet, bien que j’aime mon travail. Je passe les mains sur mon visage, essayant de me motiver, avant de sortir de mon lit, le froid ambiant de décembre me faisant frissonner malgré le chauffage. Je sors de ma chambre, traversant le petit couloir jusqu’au salon pour rejoindre la cuisine adjacente et faire chauffer la bouilloire pendant que je retourne me préparer. J’allume la radio qui traîne sur le plan de travail une fois prêt, chantonnant les chansons de Noël qui passe en cette période l’année.
Je déjeune vite, voyant que l’heure tourne sur la pendule et que je vais finir par être en retard. Ce serait sacrément dommage pour un propriétaire de café librairie. Si je ne suis pas là, la boutique ne risque pas de faire des ventes. Je vérifie une dernière fois que tout est bien éteint dans l’appartement avant de partir rapidement en direction dans mon magasin. Dans mon petit malheur, j’ai la chance qu’il se situe quasiment en bas de chez moi. Je traverse les rues de Saint Malo, reniflant l’air marin avant d’arriver à ma boutique, mon meilleur ami et associé se trouvant déjà devant la porte de sa partie du magasin.
- Panne de réveil ? Se moque-t-il en me serrant contre lui.
- Ne te moque pas Elio.
- Je n’oserai pas, tu penses.
Il me gratifie d’un clin d’œil amusé alors que j’ouvre la librairie, nous séparant quelques instants pendant qu’il fait de même avec l’autre. Une fois la boutique allumée, je le rejoins dans sa partie, ouvrant la double porte qui nous sépare, offrant un accès direct au café depuis l’intérieur de la librairie et inversement. Je suis très fier de notre concept qui est unique sur Saint Malo, recevant un accueil particulièrement chaleureux depuis l’ouverture, les deux parties ne désemplissant presque pas. Elio passe une main dans ses cheveux blond avant de faire couler mon thé habituel. Tous les matins, le rituel est le même.
Après l’ouverture c’est généralement assez calme, les clients n’arrivant que vers neuf heures, nous partageons donc un thé ou un café avant que le vrai travail ne commence. Bien que nous nous voyions tous les jours, nous trouvons toujours quoi se raconter et c’est ce que j’aime dans notre amitié. Tout est simple. Il me parle des décorations de Noël presque achevé de mon côté alors que les siennes sont complètement fini depuis quelques jours. Marisol, la vendeuse polyvalente qui nous aide tous les deux, va les terminer avec moi cet après-midi. J’ai hâte de voir le sapin monté, j’ai toujours aimé cette période de l’année.
- Alors Noah, tu comptes inviter Marisol à dîner où tu attends que quelqu’un d’autre franchisse le pas pour toi ?
- Qu’est-ce qui te fait dire que je veux sortir avec elle ?
- Toi, je ne sais pas mais elle, elle en a envie c’est certain.
La clochette du café nous coupe dans cette conversation qui devenait gênante pour moi. Je n’ai pas été en couple depuis des années, ma dernière relation s’étant terminé par le décès de ma petite amie. Je l’aimais tellement, nous avions avait prévu de nous marier mais la vie me l’a arraché. J’ai mis du temps à m’en remettre et même si je vais mieux à présent, je ne sais pas si je suis prêt à tout recommencer avec quelqu’un. Marisol est une femme magnifique, avec son teint métis, ses cheveux bouclés et ses yeux noisette. Ce n’est pas qu’une question de physique. Elio veut ce qu’il y a de mieux pour moi, je le sais. Lui aussi a perdu une amie au décès de Salomé.
- Bonjour les garçons.
Marisol s’approche de nous le sourire aux lèvres, signant le vrai début de la journée. Elle nous fait une bise chacun, demandant un thé aux fruits rouge à Elio qui s’exécute. Marisol s’installe près de moi au comptoir, posant ses affaires sur celui-ci dans un bruit sourd. Je l’observe passer sa main dans ses cheveux bouclés, lui offrant un sourire quand ses yeux se pose sur moi. Nous racontons nos week-ends respectifs, Marisol parlant pour trois, comme d’habitude, mais nous aimons bien écouter ses anecdotes toujours plus improbables les unes que les autres.
Comme cette fois où elle a fini en serviette devant tout son internat à cause d’une fille stupide qui avait déclenché l’alarme incendie. Marisol se trouvait sous la douche mais elle a été contrainte de sortir pied nu et en serviette à l’extérieur. Un grand moment de fou rire d’après elle. Ou encore cette fois où elle a atterri la tête dans le sable après une chute de cheval, elle n’est plus jamais remontée après ça. Je pourrais exposer sa vie pendant des heures tellement il y a d’anecdote à raconter. Après quelques minutes, nous retrouvons nos occupations pour la journée. Je pars derrière mon comptoir commencer à gérer mes stocks pour une prochaine livraison. Marisol restant avec Elio pour servir les clients qui affluent afin de boire un chocolat bien chaud.
Lorsque la fin de journée arrive, la libraire est entièrement finie, un énorme sapin rempli de fioriture trône au milieu de la pièce, rendant l’esprit de Noël encore plus présent dans mon esprit. Les enfants entrant la librairie étaient impressionnés par la décoration de cette année, tout en rouge et or. Le dernier client de la journée quitte la boutique les bras chargés de nouveaux achats et le sourire aux lèvres, cela me rappelle pourquoi j’aime tant mon métier. Voir la joie sur le visage des gens, c’est ce qu’il y a de mieux. Une fois qu’il a passé la porte, je tourne le panneau « Fermé », verrouille le magasin avant d’éteindre la caisse et l’ordinateur de mon comptoir pour rejoindre Elio et Marisol de l’autre côté. Ils terminent de nettoyer la salle en chantonnant les chants de Noël qui passent à la radio m’arrachant un rictus amusé, voyant Elio se dandiner avec son balai. Je me moque gentiment, les faisant rire, avant de finir d’essuyer les dernières tasses présentes dans l’évier. Marisol me remercie avant de se remettre à chanter « Let it snow ». Amusé, je fini les imiter.
Lorsque nous quittons le bâtiment nous nous souhaitons une bonne soirée, partant chacun de notre côté. Je prends la route de mon appartement, faisant un petit détour par la plage malgré le froid. J’ai toujours aimé l’air marin, c’est pour cette raison qu’après mes études à Paris, j’ai embarqué Elio pour que nous montions notre propre boutique ici. A Saint-Malo. Pourquoi cette ville précisément ? Je ne sais pas. Mais quand la question d’où monter l’entreprise c’est posé, Saint-Malo est apparu comme une évidence. Nous avons laissé nos familles et nos amis pour partir tous les deux, il y a quelques années maintenant. C’est ici que nous avons rencontré Salomé, elle aussi fraîchement débarqué d’une petite ville de Bretagne, ayant emménager quelques mois avant nous. C’est naturellement qu’elle s’est proposée comme guide touristique le temps qu’on prenne nos marques. Elle était également présente lors de l’ouverture officielle de la boutique, ayant participer aux rénovations des deux bâtiments. Je me souviens encore de la fierté dans ses yeux ce jour-là. Je ne me souviens plus vraiment de comment c’est arrivé mais nous sommes tombés amoureux. C’était simple, c’était beau, c’était nous… Puis il y a eu la maladie.
Personne n’a rien vu venir. Un jour, au café, Salomé à fait un malaise. Immédiatement, Elio a appelé les pompiers qui l’ont emmené à l’hôpital. Elle n’a jamais quitté le bâtiment. Ce sont suivit de long mois de deuil, de tristesse… C’est grâce à la boutique que nous avons le coup avec Elio. Salomé avait été si fière de notre évolution. Nous nous devions de nous battre pour elle. Cela a été long, chaque jour nous nous sommes battus contre le deuil qui nous enveloppait. Même si elle nous manquera toujours, aujourd’hui, nous essayons de supporter son absence. Une part de moi l’aimera toute ma vie, je le sais, elle fait partie de moi. Salomé aimait tellement l’océan, chaque vague me ramène son souvenir. Mon visage s’éclaire, entendant le son que faisait son rire lorsqu’elle sautait dans l’eau glacé.
Je fini par arriver devant mon immeuble, le cœur plus léger malgré les souvenirs qui m’ont traversé. Aujourd’hui, je pense à elle sans pleurer. Aujourd’hui, je pense à elle avec le sourire aux lèvres, me sentant chanceux d’avoir pu la connaître. Je monte les escaliers quatre à quatre, impatient de rentrer me reposer après cette journée. Je n’ai pas vraiment eu le temps de faire une pause, les clients se sont enchaînés toute la journée, enfin je ne vais me plaindre. La librairie et le café fonctionnent très bien, je suis fier de ce que nous avons construit avec Elio. J’ouvre la porte de mon appartement, laissant mon blouson et mes chaussures dans l’entrée.
- J’avais hâte de te voir, Noah.
Je sursaute, manquant de m’étaler sur le sol de mon salon. Un petit chat noir, semblable à celui de Kiki la petite sorcière, un animé de Hayao Miyazaki, est assis sur ma table basse. Je rêve où je l’ai entendu parler ? Je ne me suis pourtant pas cogné la tête contre un meuble… Le chat m’observe avec ses grands yeux verts, sa queue fouettant doucement l’air.
- Je ne suis pas fou, tu as bien parlé ? Demandé-je complètement perdu.
- Effectivement. Je suis bien réel.
Je fronce les sourcils à deux doigts de tomber dans les pommes. J’ai l’impression d’être dans un rêve. Le chat, lui, ne semble pas perturbé pour autant. Ses yeux continuent de me fixer, ça me ferait presque peur. Je me pose mille questions, j’ai l’impression que mon cerveau va exploser.
- Tu te moques de moi ? Craché-je sans vraiment le contrôler.
- Je comprends que cela soit difficile à croire mais je ne suis pas un ennemi.
- Un animal qui parle ? C’est vrai que je dois trouver ça normal !
- Je peux tout t’expliquer si tu le souhaite.
Je hoche la tête avant de m’installer sur le canapé. Je ne sais pas si c’est la fatigue ou un début de folie mais je le regarde se tourner pour me faire face et se rassoir. Je me sens perdu dans le brouillard.
- Je m’appelle Nox. Je suis un ange, j’ai été envoyé ici par quelqu’un qui t’es cher.
Je ne sais pas pourquoi mais je pense à Salomé, ce serait tellement son genre de faire ça. Bien que j’aie du mal à y croire, c’est comme si je ne pouvais pas m’empêcher de faire confiance à ce chat qui parle… Comme si mon propre esprit m’ordonnait de croire en lui. Je le fixe sans répondre, tiraillé entre deux parties de mon cerveau. Patient, il attend, son regard vert visé sur moi et sa queue fouettant encore l’air.
- Je comprends que cela soit difficile. Dans le monde d’aujourd’hui, le surnaturel n’existe pas. Pourtant Noah, il existe beaucoup de forme de magie dont personne n’a conscience. Ce n’est pas parce que tu ne vois pas quelque chose que ça n’existe pas, me souffle gentiment Nox.
Dans le fond, je sais qu’il a raison. Le monde est rempli de mystère. Il suffit de voir l’océan, personne ne sait vraiment ce qu’il y a là-dessous. Sur 70% de la surface océanique, seulement 5% n’est réellement connu par les Hommes. Qu’est-ce qui peut bien se cacher sous la surface ? Je crois que personne n’a réellement envie de le savoir. J’imagine qu’on ne doit pas tout connaître sur la surface terrestre non plus, après tout, on ne peut pas avoir tout vu, c’est impossible. Enfin, cela ne change pas mon problème, qu’est-ce que je dois faire ?
- Je veux bien te croire, mais alors, dit moi pourquoi tu es là ?
- Je ne peux pas te le dire, je dois veiller sur toi et t’aider un peu. Je n’ai simplement pas le droit de dévoiler la raison. Je l’ai promis à la personne qui m’envoie.
- Je n’ai pas besoin d’aide, je vais très bien.
- Tu comprendras plus tard, ne t’inquiète pas.
- Ce chat est franchement étrange, mais il émane de lui une aura apaisante. Je ne me suis pas senti aussi bien depuis des années.
Ses yeux verts continuent de me fixer alors que j’ai la sensation qu’il tente de me faire un sourire mais cela ressemble vraiment à une grimace à laquelle je ne peux pas m’empêcher de rire.
- Je te fais confiance Nox. Alors qu’est-ce que je dois faire ?
- Je t’expliquerai en temps voulu. Tu n’aurais pas quelque chose à grignoter ?
- Je ne savais pas que les chats anges mangeaient, plaisanté-je.
- Tu ignores encore beaucoup de choses, Noah.
Son ton mystérieux, m’intrigue mais je ne pose pas plus de question, je ne suis plus à ça près en termes de mystère après tout.
- Tu peux réellement te changer en humain ?
Après avoir pris ma douche et préparer le repas pour nous deux, Nox m’a expliqué un peu sa magie. J’ai toujours la sensation de nager dans un rêve éveillé mais je dois avouer que c’est vraiment fascinant. Nox disait qu’elle restait limitée malgré tout. Par exemple, il ne peut pas ressusciter les morts, ni guérir des maladies… De ce que j’ai compris elle ne sert qu’à aider les personnes chez qui il est envoyé, ni plus, ni moins. C’est comme si ses capacités s’adaptaient à chaque fois. C’est vraiment fascinant.
- Bien sûr. Elle s’adapte mais elle a des capacités qui restent les mêmes. Celle de me transformer en est une. Elle me permet de pouvoir sortir et de parler sans éveiller les soupçons.
- J’aimerais bien voir ta forme humaine.
- Si tu y tiens !
Souplement, Nox saute de la table pour s’asseoir par terre face à moi. Il ferme les yeux quelques secondes avant de les rouvrir, un léger halo de lumière commençant petit à petit à l’entourer. De petites billes lumineuse tournant autour de lui de plus en plus vite et en plus grande quantité, si bien que je fini par ne plus distinguer Nox, complètement submergé par ce que je suppose être de la magie. Il se passe quelques minutes où les petites billes montent jusqu’à faire la taille d’une personne pas très grande, pour disparaître doucement, faisant apparaître devant moi la forme humaine de Nox. Je commence à distinguer des cheveux noirs ainsi que des oreilles de chat sur le sommet de son crâne, un visage doux et des yeux verts perçant, un corps fin et de petites jambes. Je cligne rapidement des yeux lorsque j’aperçois sa queue de chat, fouettant l’air. Il a une forme hybride. C’est dingue. J’ai la sensation d’être à l’intérieur d’une mauvaise série Netflix. Ses habits noirs me rappellent son pelage semblable au charbon qu’il portait juste avant.
- Qu’est-ce que tu en penses ? Interroge Nox avec un véritable sourire sur les lèvres.
- Eh bien, franchement, ça me fait bizarre.
- Comment ça ?
Il me regarde perplexe, ce qui me fait sourire pendant que je lui réponds :
- Je crois que je te préférais en chat.
Nox éclate de rire, ses oreilles gigottant dans tous les sens alors que sa tête part en arrière. Je trouverai presque ça étrange. Vraiment, je préfère la version félin qui parle. Sans hésitation.
- Pourquoi ? Questionne Nox avec un sourire.
- Je crois que je suis moins mal à l’aise quand tu es en chat.
- C’est comme si c’était fait.
En un clin d’œil et avec un petit peu de lumière, l’hybride laisse place au petit chat noir, laissant apparaitre ses crocs dans une sorte de sourire que j’imite ravi. Nous discutons encore un moment, avant que je parte dans ma chambre, laissant à Nox le soin de choisir un endroit agréable sur le canapé. C’est un chat après tout, cela devrait être assez confortable.
Le réveil sonne de façon lointaine alors que j’émerge des limbes du sommeil. Ma main qui s’étend sur mon lit pour trouver la table de nuit rencontre une touffe de poil me faisant ouvrir précipitamment les yeux. Un chat noir. Que fait-il chez moi ?
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