2 décembre
Tout se mélange alors que j’essaie de me réveiller correctement. Je secoue la tête pour me remettre les idées en place. Tout va bien. C’est Nox. Nox, l’ange arrivé la veille. L’ange… Rien que cette pensée me paraît absurde. Pourtant, il est toujours là, allongé sur mon lit, dormant comme tout chat lambda pourrait le faire. Mon côté amoureux des animaux m’ordonne de le caresser mais ma conscience me rappelle sa véritable nature, me faisant sortir du lit pour aller me soulager la vessie. Je me lave les mains avant de rejoindre la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Je n’ose pas réveiller Nox. Est-ce qu’il doit venir avec moi ? Est-ce qu’il reste là ? Je ne sais pas… Ma bouilloire sonne, m’annonçant que l’eau est prête. Toujours en réfléchissant, je verse l’eau dans ma tasse avant d’infuser mon délicieux thé aux fruits rouges et d’attraper l’un des paquets de gâteaux qui trainent sur le comptoir. Je m’installe sur l’un des tabourets du bar, dégustant mon repas et buvant ma boisson qui me brûle la gorge, me réveillant petit à petit. Mes yeux se dirige vers la pendule murale, ce matin, j’ai le temps. Perdu dans mes pensées, je manque de renverser ma boisson lorsque Nox saute souplement sur le plan de travail.
- Tu m’as fait peur, marmonné-je.
- Excuse-moi, Noah.
- Ce n’est pas grave. Qu’est-ce que tu veux manger ?
- Ce que tu as, commence Nox en foutant sa queue dans l’air, Tu sais c’est plus par plaisir que par nécessité, ajoute-t-il malicieusement.
Amusé, je lui souris, tendant un bout de gâteau dans sa direction. Il croque dedans, éternuant lorsque des miettes vole dans son nez. Sans me soucier de la bizarrerie de la situation, je continue de manger à mon tour, discutant des banalités avec Nox qui est sans aucun doute le chat le plus cultivé que je n’ai jamais vu. Cette pensée me fait rire alors qu’il boit dans un verre de lait servit plus tôt.
- Est-ce que tu m’accompagnes au travail aujourd’hui ? Interrogé-je.
- Je suis là pour te guider donc évidemment, je viens avec toi ! s’exclame Nox.
Je bois une gorgée, réfléchissant un instant. Je ne sais pas laquelle de ses deux formes est la mieux. Autant il est simple de cacher des oreilles en mettant un bonnet, autant sa queue je ne suis pas très convaincu. Nox doit saisir mon interrogation car il s’empresse d’ajouter :
- Hier, tu as vu ma forme hybride, je l’aime bien mais je suis capable de me transformer en humain normal.
- Je ne savais pas comment cacher ta particularité, ri-je soulagé.
- Je trouve que tu t’es adapté très vite à la situation.
- Si c’est vraiment quelqu’un qui m'est cher qui t’envoie, je sais que je n’ai pas à m’en faire. La personne que j’ai perdue tenait à moi, j’ai confiance en elle. De plus, si ce tout cela s’avère faux, je me réveillerai sûrement bientôt.
- C’est une bonne logique.
- Je te remercie. Il est bientôt l’heure de partir, je vais me préparer. Tu veux quelque chose ?
- Je t’attends, ça ira pour moi.
Je retourne rapidement dans ma chambre me préparer avant de me coiffer un minima et de me brosser les dents. Dans le miroir, je replace une mèche brune à sa place, vérifiant le col de ma chemise au passage. Je réajuste ma tenue avant d’enfiler un pull de Noël. Depuis l’ouverture du magasin en deux mille dix-sept, nous avons mis en place une petite tradition, nous portons tous les jours quelques choses de différent. Cela fait beaucoup mais par chance, Salomé à toujours aimé coudre et c’est elle qui a assemblé la totalité des pulls de Noël que nous avons aujourd’hui. Comme une pro, elle a également brodé le nom de la boutique.
« Une histoire de café »
Lorsque nous nous sommes posé la question pour l’entreprise, il nous semblait évident de lier les deux dans le nom. Nous avons éparpillé plusieurs idées sur une feuille avant de nous décider mais finalement lorsque celui a été choisis, ce fût une évidence. Mes doigts caressent délicatement la broderie couleur or, si je me concentre, je suis certain de sentir l’odeur de Salomé dans les mailles. Je secoue la tête, ce n’est pas le moment. La période des fêtes est toujours un peu dure. Nous avions prévu de nous marier en décembre, pour Noël. C’est une date qui tenait vraiment à cœur à Salomé, ses grands-parents fêtaient leur anniversaire de mariage le même jour. Je n’ai plus de contact avec sa famille depuis l’enterrement qui a eu lieu deux mois avant la cérémonie.
- Tu es prêt, Noah ?
Cette fois, je me ressaisis vraiment, replaçant mes vêtements avant de quitter la pièce pour rejoindre Nox. Lorsque j’arrive près de lui, je sursaute en remarquant que le chat noir à laisser place à un humain, tout ce qu’il y a de plus classique. C’est fou, si je ne connaissais pas son apparence naturelle, je n’y verrais aucune différence.
La magie, c’est vraiment fascinant. Salomé serait folle devant Nox.
- Tu es vraiment incroyable, soufflé-je sans pouvoir m’en empêcher.
- Merci. Je m’appelle Nox pour ton travail ?
- C’est un nom étrange mais cela ira.
Il frotte ses habits couleur charbon et je me demande si je ne dois pas lui prêter quelque chose de plus festif. Après tout, au vu de ce que j’ai prévu, lui aussi va devoir être assorti.
- Tu n’as pas des vêtements plus… Joyeux ? Interrogé-je, cherchant mes mots.
Nox analyse ma tenue quelques instants avant de claquer des doigts pour changer l’aspect tissus passant du noir à des coloris plus festifs et pour couronner le tout, c’est assorti à mon pull. Ravi, nous discutons, quittant l’appartement pour rejoindre la boutique. Nox semble joyeux à l’idée de visiter la ville. En quelques minutes, nous rejoignons Elio qui m’attend avec le sourire, surpris de me voir accompagné. Je le salue avant d’enchaîner sans attendre sa question :
- Je te présente Nox, c’est le neveu de Madame Berton. Il voulait faire un stage dans une librairie, j’ai oublié de t’en parler.
- Oh. Enchanté Nox, je suis Elio, l’associé de Noah, se présente gentiment mon ami.
- Noah m’a beaucoup parlé de vous, sourit l’ange.
Je tique. Je ne me souviens pas de cela. Peut-être la personne qui l’envoie. Une fois de plus aujourd’hui, le visage de Salomé traverse mon esprit, il n’y a qu’elle pour raconter des anecdotes sur Elio. Mon ami déverrouille le magasin et je l’imite de mon côté, enlevant l’alarme avant d’inviter Nox à me suivre à l’intérieur. Elio fait de même avant de me rejoindre dans la librairie sous les yeux surpris de mon invité qui n’avait pas remarqué la porte liant nos deux boutiques.
- Noah m’avait parlé de votre concept mais c’est vraiment intéressant, j’ai hâte de le voir fonctionner.
- C’est le rêve de notre vie, admet Elio offrant un rictus à Nox, Je vais allumer les machines, je vous sers quoi ?
- Comme d’habitude et toi, Nox ?
- Un chocolat chaud.
- Parfait, je vous prépare ça.
Il s’éloigne à nouveau pendant que je fais visiter la librairie à Nox. S’il doit travailler là, c’est important qu’il connaisse les lieux et les différentes catégories vendu ici. Il me suit dans les rayons, écoutant religieusement chacune de mes explications.
- C’était une très bonne idée. Tu évolues avec les générations, remarque Nox en observant la partie numérique.
- La boutique a cinq ans mais cette partie n’a que deux ans. Après le Covid, le magasin a connu une période creux. Le café à bien repris mais la librairie a eu du mal, j’ai décidé d’inclure la zone « connectée » afin de redonner un peu de peps et de modernité.
- Cela a eu l’effet escompté ?
- Oui ! Même plus. Cela nous a rapporté une clientèle plus jeune que cela soit des enfants ou des ados. De plus cela permet aux parents de découvrir l’endroit.
Nox acquiesce puis nous quittons la librairie pour rejoindre Elio. J’ouvre la double porte, préparant ainsi le magasin pour l’ouverture. L’horloge au-dessus du bar indique neuf heures moins le quart, largement le temps de dégusté une bonne boisson chaude avant l’arrivée des premiers clients.
- Bonjour Noah, chantonne la voix fluette de Marisol.
Je lui embrasse la joue avant de montrer mon ami du doigt :
- Marisol, je te présente Nox, il est en stage à la librairie pour le mois de décembre.
- Enchantée, sourit mon amie, serrant la main de Nox.
Elio pose le thé et le chocolat sur le comptoir, invitant Nox à s’asseoir. Je m’installe, suivis de mon invité, qui remercie Elio. Le début de journée se passe sensiblement comme la veille. Nous dégustons nos boissons en discutant, mes amis posant des questions à l’ange qui ment comme un expert. Cela m’ennuie de leur cacher une chose comme celle-ci mais je ne peux décemment pas leur avouer. C’est signé un aller sans retour à l’asile.
Le début de matinée passe à la vitesse de l’éclair alors que je fais mine d’expliquer la vente à Nox qui écoute avec intérêt ce que je lui raconte. Il semble tellement pris au jeu que j’en oublie presque son apparence originel. Pour le moment, il se contente simplement d’observer ma vie sans émettre la moindre réflexion mais je me doute que sa présence n’est pas sans objectif. Nox me l’a fait comprendre hier soir lorsque nous discutions pour faire connaissance. J’ai beau réfléchir, je ne parviens pas vraiment à savoir qui me l’a envoyé. Salomé est sans aucun doute derrière tout cela. Impossible de savoir et Nox reste imperturbable.
Tellement frustrant.
Dans le fond, j’ai surtout envie de comprendre pourquoi il est là et surtout maintenant. Si c’est vraiment ma Salomé… Pourquoi aujourd’hui ? Elle aurait dû être là après sa disparition. Vivre un Noël comme celui de sa mort… Je ne le souhaite à personne. Deux milles vingt ne fût vraiment pas la meilleure année. Je secoue la tête sous l’œil attentif de Nox qui encaisse un jeune homme. Marisol n’est pas venu de notre côté, étant deux et le café n’a pas cessé de se remplir, nos clients partant directement lire leur nouvel achat du côté de Elio.
L’après-midi se passe sensiblement de la même façon. Les gens affluent dans les deux boutiques et je dois reconnaître que l’aide de Nox est précieuse. Tout le monde s’arrache le livre d’une nouvelle autrice, Neige, ce n’est pas son véritable nom mais il colle parfaitement au style d’histoire qu’elle écrit. Les lecteurs s’arrachent sa nouvelle romance de Noël. Un roman doux teinté de suspense. Je ne suis évidemment pas forcé de lire tous les livres que je vends mais je dois admettre que sa plume fait partis de mes préférés. Puis, qui n’aime pas les histoires de Noël ? J’apprécie laisser des notes sur mes coups de cœurs. Cela me permet de facilement conseiller mes nouveaux clients et ils achètent plus facilement avec un avis.
- Qu’est-ce que tu prépares ? interroge Nox.
- Les romans mystères.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Un concept que j’ai essayé l’an dernier. J’avoue ne pas avoir eu l’idée seul. Cela fonctionne très bien. J’enveloppe une dizaine de livres chaque semaine, dessus je laisse une petite note décrivant le genre du roman et un synopsis très vague.
- Le but est de créer de la curiosité, j’imagine ?
- Exact. Je l’ai découvert en lisant et j’ai été fan de l’idée. Je l’ai reprise et les clients ont adoré. J’essaie de mettre cela en place toutes les semaines pendant l’hiver et une fois par mois le reste de l’année.
Nox hoche la tête, une mèche charbon tombant devant de ses yeux. D’un geste, il la remet en place avant de continuer de ranger les nouveautés sur les étalages centraux. Je m’éloigne quelques instant, la boutique est toujours calme en début d’après-midi, je peux me permettre de laisser Nox seul le temps d’aller boire un thé. Je retrouve Elio en plein essuyage de verre, le rush est fini pour le moment. De son côté, Marisol nettoie les tables vides, ses cheveux rebondissant sur ses épaules à chaque mouvement de tête. Comme toujours en cette période, une playlist de Noël résonne dans le café.
- Que me vaut ta visite ? plaisante mon ami.
- Un besoin de théine. J’ai rarement eu autant de monde, ri-je en m’installant au bar.
- Tu laisses déjà Nox seul ? S’étonne-t-il.
- Il apprend très vite, heureusement qu’il était là d’ailleurs.
- C’est vrai. Nous aussi nous avons été débordés.
Marisol nous rejoint, le plateau chargé de tasses. Je suis toujours autant impressionné de la voir faire le service. J’ai bien tenté le coup lorsque nous avons ouvert les boutiques, cela s’est simplement soldé par un rachat de vaisselle, laissant Salomé et Elio hilare. Au moins, lorsque je fais tomber un livre, celui-ci ne se brise pas.
- Cela a été ce matin ? Interroge la voix chantante de Marisol.
Je hoche la tête, réfléchissant aux mots de Elio. Je n’avais pas vraiment remarqué le regard différent que me porte mon amie. C’est vrai qu’en y faisant attention, je me mets a remarquer le ton joyeux qu’elle prend en me parlant. Jamais, elle n’a parlé comme cela à Elio. Il a sûrement raison dans le fond, seulement, je ne pense pas être prêt. Parfois, j’espère encore voir Salomé passé les portes de la librairie en chantant comme elle en avait l’habitude. C’est tellement dur la période des fêtes.
Elio doit lire dans ma tête car sa main se pose sur la mienne doucement. Pour lui aussi ce n’est pas évident. Elle comptait tellement. Pendant quelques mois après sa perte, j’ai été suivis par un professionnel, je me sentais partir et il était hors de question d’abandonner Elio. Même si nous avons des familles bien différentes, il est mon frère, je ne pouvais pas l’abandonner. Je ne pouvais pas laisser notre rêve s’éteindre avec Salomé, elle ne l’aurait pas supporté. Malgré la tristesse de ce moment, je sais que Salomé respire dans chaque coin de ses murs car elle était là lorsqu’ils se sont construits.
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